Une alerte inamicale

Décidément, pour le Quai d’Orsay, le ministère français de l’Europe et des Affaires étrangères, les trois pays du Sahel que sont le Mali, le Niger et le Burkina, sont pris en étaux par l’hydre terroriste. Et il serait hasardeux et risqué pour les citoyens de l’Hexagone de s’y aventurer par ces temps qui courent. Après l’attaque terroriste de Kouré au Niger, le 9 août 2020, au cours de laquelle deux Nigériens et six humanitaires français ont été tués, le Quai d’Orsay a proposé une autre coloration de la situation sécuritaire. Pour le Mali, ce sont trois grandes villes – Kayes, Sikasso et Ségou – qui sont passées au rouge. Le Niger, à l’exception de Niamey, la capitale, tout est en rouge. A la date du 15 août dernier, la couleur orange a royalement cédé sa place au rouge sur la carte du Burkina. Seule une petite portion du territoire est encore en orange.

L’on peut comprendre aisément la volonté des autorités françaises de prévenir leurs citoyens contre d’éventuelles attaques terroristes dans les trois Etats, mais de là à s’adonner à ce coloriage terrorisant, il y a comme quelque chose d’incongru. Au nom de quel principe la France se donne-t-elle le droit de présenter le niveau de la menace terroriste au Mali, au Niger et au Burkina Faso à un tel seuil d’alerte ?

Il est vrai que, depuis quelques années, ces trois pays croisent le fer avec les groupes terroristes qui tentent d’imposer leur diktat, mais cette manière de l’Hexagone d’appréhender la situation, frise un certain piétinement de la souveraineté de ces pays qu’elle considère comme des partenaires au développement. D’ailleurs, au nom de cette lutte contre le terrorisme, la force française Barkhane est présente au Sahel aux côtés des forces armées de ces pays.

Quelle serait la réaction des autorités françaises si un autre Etat se permettait de peindre la carte de la France en rouge après les attaques terroristes dont elle a été la cible ? Présenter la menace terroriste dans ces trois pays de cette manière alarmiste, c’est donner l’impression que rien n’est fait pour endiguer la menace.

C’est en filigrane concéder une relative victoire aux groupes terroristes qui seraient en train de gagner du terrain. Ce serait nier tous les sacrifices consentis sur le terrain par les différentes forces armées de ces trois pays pour en découdre avec les terroristes. En un mot, ce serait réduire la menace terroriste aux seuls trois pays alors que l’on sait que la menace est partout. Cette alerte rouge au goût d’ingérence est préjudiciable à l’image du Mali, du Niger et du Burkina. Aucun pays au monde ne peut se targuer d’être à l’abri d’une quelconque attaque terroriste. Face à ce fléau qui est en train de plomber toutes les initiatives de développement dans l’espace du Sahel, il serait mieux qu’ensemble, les Etats œuvrent à mettre en place une solution efficiente et efficace.

Cette attitude à la limite paternaliste du Quai d’Orsay vis-à-vis de pays souverains doit être revue. Tout le monde sait aujourd’hui que le péril terroriste, qui étreint les pays du Sahel puise ses racines dans la déstabilisation de la Lybie en 2011 par un certain Nicolas Sarkozy et autres. Il y a plus d’un demi-siècle que ces pays ont acquis leur souveraineté. Et la France devrait se garder de convoquer ses réflexes coloniaux quand elle veut parler de ces Etats.

Karim BADOLO

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