Fête de Tabaski : « L’animal que l’on veut égorger doit être licite », imam Ismaël Tiendrébeogo

L’imam Ismaël Tiendrébeogo : « si je sais qu’un animal est volé, même si mon argent est licite, cet animal ne peut pas être utilisé pour le sacrifice ».

La communauté musulmane célèbre la fête de Tabaski, demain vendredi 6 juin 2025. Au Burkina, les fidèles s’apprêtent aussi à vivre ces moments de célébration et de spiritualité. Dans cette interview, Ismaël Tiendrébeogo, juriste de formation et imam, donne le sens de cette fête et invite les fidèles à être solidaires vis-à-vis des indigents.

Sidwaya (S) : Demain 6 juin, sera célébré la Tabaski. Quel est le sens de cette fête pour les musulmans ?

Ismaël Tiendrébeogo (I.T.) : Comme d’habitude, les fêtes musulmanes ont lieu à l’occasion d’une intense activité spirituelle. Pour le Ramadan, c’est après un jeûne de 29 ou 30 jours. Pour la fête de Tabaski, c’est concomitamment avec le hadj. La fête de Tabaski intervient le dernier mois du calendrier musulman. Les musulmans, à l’image des pèlerins, sont amenés à faire trois choses. La première est l’interdiction de se raser ou de se couper les ongles, comme les pèlerins le font une fois qu’ils sont en tenue de sacralisation. La deuxième chose, c’est d’avoir un animal à sacrifier. Et, la troisième est d’observer une ferveur spirituelle intense pour les 10 premiers jours du dernier mois musulman. Certains savants disent qu’ils sont meilleurs que les jours du mois du Ramadan.

S : Pourquoi, il est interdit de se raser ou de se couper les ongles ?

I.T. : Dès le coucher du soleil du dernier jour du mois qui précède celui de la Tabaski, on ne se coupe plus les ongles. On ne se coupe plus les poils, quand on a l’intention de sacrifier un animal ou quand on ne désespère pas de sacrifier un animal. Après le sacrifice que l’imam va faire sur l’aire de la prière, le fidèle peut sacrifier son mouton. En ce moment, on peut alors couper ses ongles et ses poils sans aucun problème.

S : Qu’en est-il pour ceux qui se sont déjà raser par méconnaissance alors qu’ils ont l’intention d’immoler un mouton ?

I.T. : Le prophète Mohamed (paix et salut sur lui) dit que Dieu ne punit pas sa communauté pour trois types de péchés. Le péché commis par ignorance, sous la contrainte et par oubli. Donc, lorsqu’on a oublié, on ne savait pas, où on a été contraint à faire, Dieu ne te tient pas rigueur. C’est une « sunnah » et non une obligation. Le fait de couper volontairement ses ongles, ses poils, veut dire qu’on n’a pas respecté une « sunnah », mais cela n’invalide pas pour autant le sacrifice que tu comptes faire.

S : Quelle explication peut-on donner à l’immolation de l’animal ?

I.T. : Le sacrifice du mouton est fait en commémoration du sacrifice du père du monothéisme, Ibrahim, le père de la multitude. Quand il a voulu offrir son fils en sacrifice, Dieu l’a remplacé par un bélier considérable. Vous pouvez voir, par ailleurs, que tous les rites du pèlerinage tournent autour de ce père du monothéisme. Il y a plusieurs types d’animaux qui peuvent être immolés. Mais l’animal, le plus méritoire, c’est le bélier. Le bélier le plus méritoire est celui dont le museau est entouré de noir, les yeux sont cerclés de noir et les pattes ont un bout noir. Si on n’a pas ce type de mouton, on peut sacrifier les autres peu importe le pelage. L’idée, c’est de tester notre volonté à nous allier sur ce que Dieu veut.

Mais on ne peut pas égorger un animal qui a un défaut, à savoir un animal ou un bélier qui manque une corne, un bélier chétif, un bélier dont la queue est coupée et un bélier de moins de 6 mois. A défaut d’avoir le bélier, on peut égorger une brebis à condition qu’elle ne soit pas en gestation. Si nous n’avons pas de brebis, nous pouvons nous rabattre sur un bouc ou une chèvre qui n’est pas en gestation ou un bœuf. Nous pouvons nous associer pour sacrifier un bœuf. Mais le nombre ne doit pas dépasser 7 personnes. Nous pouvons aussi aller à 7 personnes pour sacrifier un chameau.

En plus, l’animal que l’on veut égorger doit être un animal licite. Licite du point de vue de l’argent qui a contribué à l’acheter et licite du point de vue de l’origine de l’animal. Si je sais qu’un animal est volé, même si mon argent est licite, cet animal ne peut pas être utilisé pour le sacrifice. Parce que le prophète dit : « Dieu est pur et il n’accepte que ce qui est impur ».

S : Après l’immolation, comment se fait la distribution de la viande ?

I.T. : Une fois que l’on égorge l’animal, il nous est recommandé de repartir la viande en trois parties, qui ne sont pas forcément égales. Une partie pour la famille, une pour les amis et les connaissances et une dernière partie pour les indigents. Le prophète a dit, le pire des festins c’est le festin auquel on invite ceux qui n’en ont pas besoin et on chasse ceux qui en ont besoin.

S : Il y a des personnes nanties qui n’ont pas encore compris la nécessité de sacrifier un mouton. Que leur répondez-vous ?

I.T. : Le sacrifice du mouton est une sunna. Il n’est pas une obligation, au sens où si on ne le fait pas, on peut entrer en enfer pour cela. Mais, c’est une grande sunna dont la négligence, nous prive de beaucoup de bénédictions. Le fait d’avoir les moyens et de ne pas sacrifier est une preuve soit d’insouciance, soit de retournement de sa veste spirituelle. C’est-à-dire qu’on n’est pas véritablement musulman.

Donc quand on a une sunna qui nous est prescrite en tant que musulmans, dès qu’on a les moyens, on doit s’exécuter. Le prophète dit : « je vous ai recommandé des choses, je vous en ai interdit d’autres. Ce que je vous ai recommandé, pratiquez-les autant que vous pouvez. Ce que je vous ai interdit, abstenez-vous de cela ». Cela veut dire que nous devons être dans la dynamique de faire autant que nous pouvons pour plaire à Allah.

Pour ceux qui sont dans l’indigence, qui n’ont pas les moyens, le Coran dit : « Allah ne tient aucune âme pour responsable au-delà de ce qu’il lui a donné ». Nous n’avons donc pas à emprunter ou à aller demander un animal, si nous n’avons pas les moyens de nous l’offrir.

S : Y a-t-il des personnes qui sont exemptées du sacrifice ?

I.T. : Les personnes qui sont exemptées de l’immolation sont uniquement celles qui n’en ont pas les moyens. La femme qui en a les moyens doit égorger son animal. Le jeune, ou la personne impubère, qui a un mouton et qui veut égorger, cela n’est pas interdit. Je précise qu’islamiquement, il n’y a aucune interdiction à ce que la femme égorge elle-même son mouton, si elle en a le cœur.

D’un point de vue religieux, l’homme et la femme peuvent égorger le mouton. On peut aussi faire égorger le mouton par quelqu’un d’autre. Cela n’est pas interdit. Seulement, le jour du sacrifice, on n’égorge pas le mouton avant que l’imam derrière lequel on a prié, n’ait égorgé son mouton.

La tradition du prophète, c’était d’observer le jeûne du jour du Arafat, c’est-à-dire le jour qui précède la fête. Donc, le 5 mai, on observe un jeûne et également le jour de la fête, on observe un mini jeûne. Après avoir égorgé l’animal et le dépecé et on rompt son jeûne avec le foie du mouton.

S : Dans le contexte actuel marqué par la crise sécuritaire, quel appel lancez-vous aux Burkinabè pour une cohésion sociale ?

I.T. : Le message que j’ai à lancer, beaucoup de gens l’ont perçu. En tant que musulmans, on a cette solidarité au niveau des différentes associations. On a des solidarités individuelles de personnes qui accueillent des gens chez eux, parce qu’ils ont été chassés de leur lieu de résidence habituel.

La deuxième chose, c’est la spiritualité pour accompagner les efforts que nous faisons pour sortir de cette situation. Je lance aussi un appel à faire attention aux facteurs de divisions. Nous sommes à la croisée des chemins du fait des difficultés de sécurité que nous rencontrons. Malheureusement, c’est l’occasion pour certaines personnes d’exceller négativement dans la promotion des anti valeurs sociales. Notre pays vit déjà une situation difficile et il ne faut pas en rajouter.

Nous devons éviter dans nos prises de position, dans nos comportements, d’aggraver déjà la situation que nous avons. Un autre appel est celui de l’espoir. En tant que musulman, le prophète dit que la foi et le désespoir n’habitent pas dans le même cœur. En tant que croyant, nous devons être optimistes. Nous devons avoir foi que les choses vont forcément s’améliorer. Et si, nous faisons nos invocations, Allah va nous répondre. Mais si, nous sommes dans la dynamique de ceux qui doutent ou qui ont désespéré que la situation s’améliore, il est évident que les prières que nous ferons risquent d’avoir un impact limité.

S : Quels sont vos vœux à l’orée de la fête de Tabaski ?

I.T. : Mes vœux pour la fête, c’est qu’Allah guérisse ceux qui sont malades, qu’il console ceux qui sont affligés, qu’il les ramène dans la sécurité, dans la paix. Ceux qui ont perdu leur famille ou leur maison à cause de la situation sécuritaire, qu’il ramène la paix au Burkina. Qu’il inspire nos dirigeants dans la prise de bonnes actions au profit de toute la population et qu’il fasse également de chacun de nous des modèles, des exemples pour permettre au Burkina d’être résiliant et de se relever de ce problème.

Interview réalisé par
Abdoulaye BALBONE
Lydia BILLA
(Stagiaire)

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