Souvent recommandé pour prévenir les carences en iode, le sel iodé n’est pas toujours utilisé de manière optimale dans les foyers. Entre erreurs de dosage, mauvaise conservation et conditions de vente peu adaptées, sa valeur nutritionnelle peut en être considérablement altérée. Abdoulaye Gueye, nutritionniste à la direction de la nutrition, livre des explications sur les bonnes pratiques à adopter pour tirer pleinement profit de cet ingrédient essentiel, tout en évitant les risques pour la santé.
Sidwaya (S) : On recommande l’usage du sel iodé, mais est-il toujours utilisé de manière correcte lors de la préparation des repas dans les foyers ?
Abdoulaye Gueye (A.G.) : Sauf en cas de contre-indication médicale, le sel fait partie intégrante de nos habitudes culinaires. Cependant, comme le dit l’adage, « c’est la dose qui fait le poison ». Il est essentiel de respecter certaines règles d’utilisation du sel. Il est notamment préférable d’ajouter le sel en fin de cuisson. Cela permet de mieux contrôler la quantité utilisée et d’éviter les excès. Selon les recommandations de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), un adulte ne devrait pas consommer plus de 5 grammes de sel par jour, soit environ une cuillère à café. Or, au-delà du sel que nous ajoutons volontairement, il faut aussi prendre en compte le sel naturellement présent dans les aliments, ce qu’on appelle le sel caché. L’eau, les aliments, les minéraux contiennent déjà une certaine quantité de sel. Si on n’y prend pas garde, l’accumulation peut facilement conduire à une surconsommation. Par exemple, le pain contient déjà du sel. En cumulant plusieurs aliments riches en sel, on atteint rapidement des niveaux excessifs, ce qui est néfaste pour la santé.
En outre, certaines habitudes alimentaires peuvent altérer nos papilles gustatives, modifiant notre perception du goût salé. C’est pourquoi un plat peut sembler modérément salé pour une personne et excessivement salé pour une autre, bien qu’elles mangent le même repas. Il est donc recommandé d’utiliser le sel avec modération, surtout le sel iodé, sauf en cas de pathologies telles que l’hypertension. Certains ménages gardent du sel sur la table pour permettre aux convives d’ajuster leur assaisonnement, ce qui peut être une pratique judicieuse si cela évite de trop saler pendant la cuisson. Un autre point à noter : les plats conservés d’un jour à l’autre paraissent souvent plus salés. Cela s’explique par l’évaporation de l’eau, qui concentre les saveurs.
S : Peut-on attribuer l’apparition du goitre à une mauvaise utilisation du sel iodé en cuisine, ou s’agit-il essentiellement d’un apport insuffisant en iode dans l’alimentation ?
A.G. : Le goitre est principalement causé par une carence en iode et non par une mauvaise utilisation du sel en général. Cette déficience résulte souvent d’une alimentation pauvre en iode sur une période prolongée. On distingue notamment le goitre exophtalmique où les yeux paraissent proéminents, donnant l’impression qu’ils vont sortir de leurs orbites. Ce signe est souvent précurseur d’une évolution plus grave, avec l’apparition d’un nodule au niveau du cou, nécessitant parfois une intervention chirurgicale.
Certaines zones montagneuses sont naturellement pauvres en iode et les populations qui y vivent sont particulièrement à risque si des mesures préventives ne sont pas mises en place. Par ailleurs, certains aliments comme le chou, le manioc ou les choux de Bruxelles contiennent des substances qui peuvent neutraliser l’effet de l’iode. Heureusement, la cuisson permet de détruire ces composés indésirables.
S : Quels sont les bons réflexes à adopter pour une utilisation efficace et bénéfique du sel iodé dans l’alimentation quotidienne ?
A.G. : Le premier conseil est de s’assurer que le sel acheté est iodé. Ensuite, il faut bien le conserver : dans un récipient opaque, à l’abri du soleil et éloigné du foyer de cuisson. Les rayons UV détruisent l’iode, et le sel a aussi tendance à absorber l’humidité, ce qui peut entraîner une perte de sa concentration. Enfin, il est recommandé d’ajouter le sel en fin de cuisson, pour en préserver la teneur en iode et améliorer le contrôle de la quantité utilisée.
S : La manière dont le sel est conservé, notamment lorsqu’il est stocké dans des sachets, compromet-elle son efficacité nutritionnelle ?
A.G. : Effectivement, conditionner le sel dans des sachets plastiques pose plusieurs problèmes. D’une part, ces sachets sont des produits dérivés du pétrole, et leur contact avec les aliments peut poser des risques à long terme. Il faut aussi se rappeler que la mer, principale source de production du sel, est l’un des environnements les plus pollués au monde. Même si le sel est rigoureusement traité et analysé en laboratoire lors de sa production, une mauvaise manipulation ou un conditionnement inadapté par la suite peut compromettre sa qualité. Lorsque le sel est laissé à l’air libre, exposé à la chaleur, à la pluie ou à la poussière, il perd ses propriétés. L’iode s’évapore et il ne reste plus qu’un sel sans réelle valeur nutritionnelle.
S : Dans nos marchés, le sel est souvent exposé à l’air libre, vendu dans des sacs ouverts ou conditionné dans des sachets. Ce mode de commercialisation pose-t-il un problème pour la conservation de l’iode qu’il contient ?
A.G. : Oui, malheureusement, cette pratique est très répandue. En Afrique, il est courant d’exposer les produits pour attirer les clients, mais cela se fait souvent au détriment de la qualité.
Dans les marchés, on voit souvent du sel disposé dans des bassines, sous un soleil ardent, tout au long de la journée. Cette exposition continue dégrade inévitablement le sel. Et ce problème ne concerne pas uniquement le sel, mais aussi beaucoup d’autres produits alimentaires qui subissent des conditions de conservation inappropriées.a
Interview réalisée par : Wamini Micheline OUEDRAOGO