Dans les Cascades, les mangues sont vendues moins cher. Le tas de quatre à huit mangues s’achète à 25 FCFA, en fonction de la variété. Ces fruits sont alors vendus en vrac sauf au niveau des unités où on utilise une unité de mesure. De 2024 à 2025, le prix du kilogramme (kg) de mangues fraîches (trois mangues environ) est resté inchangé à 55 FCFA. Les seuls acteurs de la chaîne qui semblent tirer leur épingle du jeu, ce sont les commerçants et les transformateurs. Chez les producteurs par contre, ces prix font grincer des dents.
Des mangues fraîchement cueillies, exposées à même le sol aux pieds des arbres, attendent preneurs à Moussodougou, commune rurale de la province de la Comoé, région des Cascades. Ce vendredi 11 avril 2025, les odeurs des mangues picotent les narines du visiteur. Celles dégagées en revanche par les mangues pourries le rebutent. Les mouches s’y invitent et profitent même se multiplier. Ces mangues appartiennent à des pisteurs, des intermédiaires qui se font désormais appelés techniciens de récolte et qui écument de jour en jour les vergers. Les marchandises sont confiées à des gardes, recrutés dans le tas au village. Un pisteur est repéré à la périphérie de la ville.

Elle se nomme Korotimi Sanou, une vraie battante qui totalise une dizaine d’années d’expérience dans le métier. Depuis des années, elle achète les mangues en brousse, les fait transporter par des tricycles avant de les céder aux commerçants en ville. Mme Sanou, contrairement à ses collègues, ne vend pas avec des marges. Elle perçoit après livraison de la marchandise, une commission en contrepartie. Le montant est déterminé en fonction du prototype de véhicule. Sur chaque chargement d’un camion de 5 t et 10 t, la commission varie respectivement entre 25 000 FCFA et 50 000 FCFA.
Du début de la campagne de mangue à sa clôture, elle peut encaisser environ 500 000 FCFA de recette. Les pisteurs ont la mauvaise réputation de s’enrichir sur le dos des producteurs. C’est du moins la conviction d’Ibrahim Doumbia, technicien à l’Union nationale des producteurs de mangues du Burkina (UNPM-B). L’ancien président de cette structure, Paul Ouédraogo semble avoir la même lecture. Il dénonce la surenchère, une pratique qui nuit aux intérêts des producteurs et qui les maintient dans la précarité. Ce sont les pisteurs, indexe-t-il, qui sont à l’origine des problèmes.

« Je vous assure que moi-même qui produit et transforme la mangue, je n’ai pas les mains libres souvent pour l’amener en ville », avoue M. Ouédraogo. De tous les maillons de la chaîne (production, transformation et commercialisation), estime M. Doumbia, le producteur est le plus lésé. Paul Ouédraogo évoque également les effets de la loi de l’offre et de la demande qui induit une baisse notable des prix grâce à l’abondance des mangues.
« Lorsqu’une relation d’argent à produit est négociée, le producteur est généralement en position de faiblesse. Non pas parce qu’il n’a pas de bon produit, mais parce que son besoin d’argent peut être pressant », souligne-t-il. Il rappelle enfin qu’acheter quatre mangues ou plus à 25 FCFA était dans le temps un bon business. Puisque, poursuit-il, le chargement d’un camion bâché se vendait à 15 000 FCFA et le gros camion 10t autour de 160 000 FCFA.
Des mangues bradées

Tout naturellement, les époques n’étant pas les mêmes, ce qui était considéré comme un business juteux semble avoir de nos jours, un goût amer. Une idée défendue par bon nombre de producteurs qui récusent le prix non rémunérateur de leurs mangues. La plupart d’entre eux tirent déjà le diable par la queue et aspirent désormais à vivre dignement de leur activité. Drissa Hébié est le président de la Coopérative fruitière de Moussodougou (COFRUMO) et propriétaire d’un verger de 100 hectares (ha) de manguiers.
D’importantes récoltes y sont attendues. Pour lui, céder quatre à huit mangues à 25 FCFA aujourd’hui est loin d’être une bonne affaire pour lui. C’est à la limite, fulmine-t-il, un bradage qui ne dit pas son nom. « La vente en vrac profite plus au client qu’au producteur », déplore-t-il. Ce gros producteur ne s’affiche pas comme un nanti. Pourtant, il se compte parmi les millionnaires qui ont fait fortune dans la vente des mangues. Au sortir de la dernière campagne, plus de 10 millions FCFA sont entrés dans son escarcelle.
Des recettes qui auraient dû doubler, d’après lui, si les mangues écoulées avaient été pesées dès le départ. Actuellement sa mangue est arrivée à maturité et la récolte imminente. Seulement, les clients trainent toujours les pas. A ce rythme, Drissa Hébié

craint fort que les mangues ne pourrissent entre ses mains. S’il trouve des preneurs, il se fera du fric, vu que les manguiers ont bien produit. Autour de Banfora, les vergers foisonnent. Des comptoirs d’achat à ciel ouvert aussi. Salia Sirima exploite un hectare de manguiers à la périphérie de la ville.
Les acheteurs arrivent au compte-goutte. Depuis le début de la campagne, c’est seulement en mi-avril qu’il est parvenu à écouler quelques cartons de mangues à raison de 4000 FCFA l’unité. M. Sirima n’est pas totalement satisfait de vendre à ce prix lorsqu’il constate que le même carton de mangues se vend à 10 000 FCFA à Ouagadougou. « Nous avons bataillé dur pour augmenter le prix du carton à 5 000 FCFA en vain. Les acheteurs se sont vigoureusement opposés à cela », se lamente-t-il.

A la campagne précédente, il a récolté cinq cents cartons de mangues dans son verger qui lui ont rapporté deux millions FCFA. Veuve depuis 2004, Minata Ouattara est la présidente de l’Union régionale des producteurs de mangues des Cascades (URPM-C). A défaut d’avoir une unité de mesure conventionnelle, claironne-t-elle, les producteurs de la région se contentent de la caisse. Par contre, précise Mme Ouattara, les clients nationaux l’achètent bord champ en vrac. « Ce sont les femmes qui viennent ramasser avec des tricycles et des Peugeot bâches », informe-t-elle.
Par rapport au prix, Mme Ouattara dit faire avec, étant donné qu’elle a affaire à un produit périssable. « La campagne de cette année s’annonce bonne mais le marché est lent à cause du manque de gaz dans les unités de séchage », martèle Mme Ouattara. Dans les Cascades, les récoltes sont abondantes mais les prix restent volatiles. Abou Dramane Sourabié, Secrétaire général (SG) de la COFRUMO, a l’habitude de discuter du prix des mangues avec les clients. De ses explications, il ne dérogera pas à la règle cette année. D’ores et déjà, les ventes ont commencé sous ce format.

Le tas de six mangues de la variété Amélie est vendue à 25 FCFA alors que trois mangues, précise-t-il, pèsent souvent plus d’un kilogramme (kg). Quant aux variétés Lippens et Brooks communément appelé « retard », le tas de sept à huit mangues est cédé au même prix c’est-à-dire à 25 FCFA. Producteur fruitier à Moussodougou, Seydou Barro, membre de la coopérative simplifiée Faso Djiguidemsodougou, a mis l’accent sur trois variétés à savoir la Lippens, la Brook et l’Amélie.
Les deux premières sont vendues à 50 FCFA le tas de six mangues contre 5 FCFA l’unité pour la variété Amélie. En somme, c’est contre mauvaise fortune bon cœur que de nombreux producteurs bazardent leurs fruits à travers des ventes en vrac, dans des paniers, des cartons et des caisses. « C’est le manque d’organisation des acteurs qui crée ce désordre », persiste et signe Abou Dramane Sourabié. Cependant, la mangue est pesée lorsqu’elle est vendue aux unités de séchage. Si cette démarche contribue à valoriser un tant soit peu ce produit, force est de constater que les quantités de mangues concernées sont très minimes.

Ashley Souratié, Présidente du groupement des transformateurs de mangues de Moussodougou, reconnait que les unités ne peuvent prendre qu’une infime partie de la production. Et ce, même en cas de grosses commandes. Chaque année à l’approche de la campagne, producteurs et transformateurs se retrouvent pour convenir d’un prix d’achat. Pour la présente campagne, ils l’ont maintenu à 55 FCFA. Aux unités de transformation qui se sont ravitaillées auprès de la COFRUMO en 2024, le kilo de mangues fraîches était au même prix.
Il reste donc inchangé, assure le SG de la COFRUMO. Ashley Souratié fait remarquer que ce prix négocié ne concerne pas toutes les variétés, à l’image de la Brook, au motif qu’elle n’est pas arrivée. Minata Souratié est l’une des rares femmes qui exploite un verger à Moussodoudou. Comme la plupart des producteurs, elle ne retient que les quantités livrées aux unités de séchage. En effet, Mme Souratié avoue avoir vendu à la dernière campagne 5 t de mangues à l’une d’elles à 275 000 FCFA. Les mangues vendues en vrac n’étant pas enregistrées, la bonne dame ne dispose d’aucun chiffre en la matière.

« Les prix ne nous conviennent pas mais nous n’avons pas mieux que ça », relève-t-elle. A Moussodougou, la délégation spéciale assiste, impuissante, à l’anarchie qui règne dans la commercialisation des mangues. Celles-ci sont généralement entassées sous des arbres, des espaces publics non adaptés à ce type de commerce. Le Président de la délégation spéciale (PDS), Konwendmanégré Daniel Compaoré, dénonce cette pratique assimilable à de l’incivisme, rappelant qu’elle ne peut en aucun cas prospérer dans sa commune. « Quand il y a du désordre, la commune ne tire aucun profit de cette activité. Il est difficile pour elle de percevoir les taxes liées aux produits de cru », signifie-t-il.
Vite une unité de mesure et un prix planché
Aux dires de M. Doumbia, c’est grâce à l’abondance des mangues que les deux autres maillons de la chaîne fonctionnent normalement. Aujourd’hui, il se dit persuadé que nul ne profite mieux de la vente de ces fruits plus que les transformateurs et les commerçants. « Les producteurs souffrent. Certains roulent sur de vieilles motos alors que les autres

friment avec de belles voitures », avance Ibrahim Doumbia. A ces producteurs qui se battent pour la revalorisation de leurs produits, l’interprofession leur apporte son soutien, prêtant ainsi une oreille attentive à leurs doléances.
C’est ce combat qu’a mené l’ancien président de l’UNPM-B Jean-Noël Lamokri jusqu’à sa mort le 17 septembre 2024. A sa mémoire, ses héritiers entendent intensifier la lutte jusqu’à obtenir gain de cause. Cette lutte porte essentiellement sur la tarification de la mangue ainsi que le choix d’une unité de mesure légale. L’étude de faisabilité qui en a découlé, financée par le Projet de résilience et de compétitivité agricole (PReCA), est terminée. Le rapport provisoire a été déposé en décembre 2024. Il devrait être amendé et validé par l’ensemble des acteurs.

En attendant, son contenu est gardé top secret. « Les prix qui ont été proposés dans l’étude ont été acceptés par les producteurs parce qu’ils ont été calculés avec une marge qui tient compte de leurs investissements », révèle M. Doumbia. Pour lui, la dévalorisation de la mangue résulte aussi de l’absence d’un prix plancher, occasionnant du même coup une faible rétribution des producteurs. « Quand vous allez à Banfora par exemple, vous remarquerez que ce sont les mangues fraîches destinées à l’export qui sont pesées dans des caisses.
Mais les mangues destinées à la transformation sont vendues dans des cartons ou en vrac. A Orodara, c’est un autre système de décompte qu’on appelle Gbué qui est pratiqué, à Bérégadougou ce sont des paniers », s’indigne Ibrahim Doumbia. En somme, il urge, selon lui, de remettre rapidement de l’ordre dans ce commerce. Pour ce faire, M. Doumbia se dit favorable à l’adoption urgente d’une unité de mesure uniformisée et légale. Même son de cloche chez Moussa Zallé, assistant technique au sein de l’interprofession mangue au Burkina.

Il présente cependant l’agriculture contractuelle comme une panacée aux maux qui minent ce maillon de la chaîne qu’est la commercialisation des mangues. « Si ces questions sont résolues, les producteurs s’occuperont bien de leurs vergers et mieux se portera la filière », martèle M. Zallé. A propos des instruments de mesure, il déclare : « Il faut qu’on arrive à uniformiser l’unité de mesure. Celle reconnue mondialement est le kilogramme », tranche Moussa Zallé. De même, il suggère que l’adoption d’un prix plancher soit consolidée par des mécanismes de contrôle.
Les outils de commercialisation de la mangue méritent d’être améliorés, renchérit pour sa part Athanase Ouédraogo, chef d’antenne du PReCA dans les Cascades. Cette structure s’est engagée à réorganiser la commercialisation des fruits dans cette région. C’est dans ce cadre qu’elle a entrepris la réhabilitation des comptoirs d’achat de fruits de Banfora, Moussodougou et Sindou. La réalisation de ces infrastructures marchandes suscite déjà de l’espoir et la joie au sein des producteurs.

Le PDS de Moussodougou s’impatiente de voir ces marchés s’ouvrir au plus vite, convaincu des impacts positifs qu’ils auront dans sa commune en termes de perception des taxes. Le hic est que certaines de ces infrastructures marchandes, à l’image de celle de Moussodougou, sont toujours en chantier. Côté gestion, les acteurs ont déjà appris les rudiments sous la houlette du PReCA.
A en croire Athanase Ouédraogo, le modèle économique envisagé est celui du Groupement d’intérêt économique (GIE). D’après ses analyses, les questions liées au prix plancher de la mangue et à l’unité de mesure uniformisée trouveront des réponses lorsque ces infrastructures seront fonctionnelles. Si toutes ces mesures sont mises en œuvre, il est fort à parier que ceux qui grinçaient les dents retrouveront, à coup sûr, de beaux sourire.
Ouamtinga Michel ILBOUDO
Les transformateurs se frottent les mains
Transformatrice de mangues fraîches à Moussodougou, Ashley Souratié s’approvisionne auprès des coopératives avec lesquelles elle a signé des contrats d’achat. Pour la présente campagne, le kilogramme de la mangue fraîche est fixé à 55 FCFA. Dans l’enceinte de son unité de transformation, c’est le remue-ménage en attendant l’arrivée de la matière première. Des ouvrières munies de balaies, de râteaux et de savon s’activent à nettoyer les magasins, ateliers, bureaux et machines. Deux variétés, les plus sollicitées par ses clients, sont transformées. Il s’agit de l’amélie et du brook. « Nous ne prenons pas les autres variétés par manque de commande », soutient-elle. A entendre Mme Souratié, la mangue est si abondante en période de campagne que les unités de séchage n’arrivent pas à tout transformer. « Même si nous avions de grosses commandes, ce n’est pas évident », note-t-elle. Pendant que les producteurs grincent des dents, les transformateurs s’en lèchent les babines. En tout cas, ce maillon de la chaîne semble bien se porter.
O.M.I
Les structures de gestion se mettent en place
La commercialisation des fruits constitue une source de revenus qui concourt au bien-être de nombreux ménages dans la région des Cascades. Les mangues, un produit qui devrait être mieux valorisé grâce à l’implantation des unités de séchage et des unités industrielles, continuent cependant à être bradées. Il faut ajouter à cela, les pourritures qui constituent des pertes énormes pour les producteurs. Pour remédier aux multiples maux qui minent le maillon commercialisation, le Programme d’appui aux filières agro-sylvo-pastoral (PAFASP) a décidé en début 2014 de construire un comptoir d’achat de fruits et légumes à Banfora avec des relais à Sindou et Moussodougou. Ce projet ambitieux était destiné à organiser la chaîne d’approvisionnement des fruits dont les mangues. Malheureusement, ce programme s’est clôturé sans atteindre ses résultats. Par la grâce de Dieu, le Projet de résilience et de compétitivité agricole (PReCA) a pris le relais pour parachever les travaux. Le marché de fruits de Banfora est bien réhabilité et les deux autres aussi en cours. Mais bien avant, les responsables de ce projet ont échangé avec les parties prenantes afin de comprendre pourquoi ces infrastructures sont restées pendant longtemps en souffrance. Un diagnostic a donc été fait. Les conclusions ont été validées par les acteurs. La priorisation des besoins d’achèvement notamment ceux considérés comme basiques, s’impose. Ils sont au nombre de neuf. Il s’agit entre autres de la clôture de l’infrastructure, la réalisation des ponts bascules, la réhabilitation d’ouvrages annexes, d’une mini adduction d’eau potable, l’éclairage du site, la guérite, un dispositif sanitaire. A cause des contraintes budgétaires, le PReCA a retenu quelques priorités indispensables au bon fonctionnement de ces infrastructures marchandes. Les marchés ont été confiés à des entreprises qui, hélas, se sont révélé défaillantes. D’où leur résiliation et leur réattribution à d’autres entreprises avec des délais impartis. Le projet a anticipé en procédant à la mise en place des structures et des organes de gestion. Le mode de gestion adopté est le Groupement d’intérêt économique (GIE) qui est enregistré au Centre de formalités des entreprises (CEFORE). Ces infrastructures de commercialisation et de soutien à la production devraient à terme contribuer à assainir les circuits de distribution des fruits dans la région et mieux, permettre aux acteurs concernés d’en tirer le maximum de profit.
O.M.I
