Mobilisation des eaux de surface dans les Cascades: l’insuffisance des barrages, une préoccupation majeure

Plusieurs gros utilisateurs se disputent le barrage de Moussodougou.

La région des Cascades compte parmi les zones les mieux arrosées du Burkina Faso. Sa pluviométrie moyenne annuelle varie entre 800 et 1 200 millimètres. Malgré ce potentiel, elle n’enregistre que deux grands barrages pour stocker l’eau dont la majeure partie s’écoule vers les pays côtiers. Du coup, la pression des exploitants sur ces infrastructures hydrauliques devient de plus en plus forte. Constat autour des barrages de Moussodougou dans la Comoé et de Niofila dans la Léraba.

Un plan d’eau à perte de vue s’étendant sur une superficie de plus de 600 hectares, accueille les visiteurs. A la surface de l’eau, des vagues successives formant des rides se laissent admirer. Emportées par le souffle du vent, elles se brisent invariablement contre le flanc d’une digue nouvellement renforcée. Ce mercredi 6 décembre 2023, seuls les clapotements de l’eau mêlés aux gazouillements des volatiles tentent de rompre le silence de cimetière qui règne dans les environs.

Encastré au milieu d’une chaine de montagnes et d’une végétation luxuriante, l’ouvrage qui abrite cette précieuse ressource offre une stature impressionnante. Nous sommes sur les berges du barrage de Moussodougou, encore appelé barrage Comoé, à une soixantaine de kilomètres de Banfora, dans la région des Cascades. Construit sur le fleuve Comoé et mis en eau en 1991, l’infrastructure joue un rôle capital dans le développement socioéconomique des populations et de régulation du cours de ladite rivière afin d’obtenir une disponibilité d’eau suffisante en saison sèche.

A cet effet, elle permet d’irriguer les champs de canne à sucre de la Nouvelle société sucrière de la Comoé (SN-SOSUCO) et la plaine rizicole de Karfiguéla, d’alimenter les villes de Banfora et de Bérégadougou en eau potable et de favoriser la pêche. Cette retenue d’eau d’une capacité de stockage de plus de 38 millions de mètres cubes (m3) fait la fierté de la commune de Moussodougou, des villages environnants et de toute la région des Cascades.

Le préfet et Président de la délégation spéciale (PDS) de Moussodougou, Daniel Compaoré, exprime sa joie d’avoir un tel ouvrage dans sa commune et qui constitue une source de richesses pour ses habitants. Car, à l’écouter, le barrage a favorisé le développement des activités génératrices de revenus telles que le maraîchage et la pêche. Outre les usages domestiques, il n’oublie pas non plus les éleveurs qui disposent de l’eau en permanence pour abreuver leurs animaux.

4 000 ha de canne à sucre à arroser

Mais au-delà, c’est tout le Burkina Faso qui en tire les bénéfices à travers l’irrigation de la plaine sucrière de la Comoé. Aux dires du chef de service ressources en eau et infrastructures hydrauliques de la direction régionale de l’eau et de l’assainissement des Cascades, Ali Barro, la SN-SOSUCO fait partie des plus grands utilisateurs du barrage de Moussodougou grâce à une convention signée avec l’Etat burkinabè. A travers ce partenariat, rappelle celui qui assure également l’intérim de la direction régionale, ce sont environ 4 000 hectares de canne à sucre qui sont arrosés en saison sèche.

Le préfet et PDS de Moussodougou, Daniel Compaoré : « Notre commune n’est pas alimentée par l’eau du barrage ».

Le deuxième grand partenaire et usager de l’eau du barrage est l’Office national de l’eau et de l’assainissement (ONEA) qui l’utilise pour alimenter le chef-lieu de la région en eau potable. En plus de ces deux gros utilisateurs, la plaine rizicole de Karfiguéla n’est pas en reste. Avec ses 350 hectares, elle a un énorme besoin en eau pendant la campagne sèche, à telle enseigne que toute la superficie n’est pas souvent exploitée. Il en est de même pour les producteurs installés dans la bande de servitude et qui siphonnent l’eau en permanence.

Selon le président du Comité local de l’eau (CLE) de la Haute Comoé, Fossène Tou, il n’y a que trois principaux barrages dans la zone de compétence de sa structure, à savoir ceux de Toussiana, de Moussodougou et du Lobi, dans le village de Bodadougou. Nonobstant la forte pluviométrie dans la zone, informe-t-il, les capacités de stockage de ces retenues d’eau ne sont pas à la hauteur des attentes des utilisateurs. Pis encore, elles se sont amenuisées au fil du temps à cause de l’ensablement.

« Les besoins des usagers pendant la période de forte demande d’eau, notamment de mars à juin, étaient estimés à 53 916 663 m3 en 2022. Pourtant, les trois barrages n’avaient que 26 312 000 m3 d’eau à la même période. Donc, le manque à combler était de 27 604 663 m3 », explique M. Tou. Une situation qui démontre que le manque d’eau est criant en saison sèche, dit-il.

Une région bien arrosée avec peu de barrages

Malgré une pluviométrie parfois excédentaire, entre 800 et 1 200 millimètres d’eau par an, la région des Cascades n’est pas mieux lotie en termes de mobilisation des ressources en eau. Ali Barro de la direction régionale en charge de l’eau estime le nombre de barrages dans les Cascades à 18. Un nombre nettement en deçà des attentes des populations, selon lui. Parmi ces ouvrages hydrauliques, note-t-il, deux seulement ont de grandes capacités de stockage. « Les deux plus grands barrages de la région sont celui de Moussodougou, avec 37,5 millions de m3 d’eau et celui de Niofila/Douna, avec environ 38 millions de m3 », détaille-t-il, avant de signaler que les autres infrastructures hydrauliques ont une capacité de moins de 10 millions de m3.

Pour le président du CLE de la Haute Comoé, Fossène Tou, les tensions entre les utilisateurs de l’eau sont légion.

Au regard de la forte demande en eau des populations, M. Barro reconnaît que 18 barrages sont insuffisants pour toute la région. C’est pourquoi, il soutient qu’il y a lieu d’en construire d’autres en vue d’une meilleure mobilisation des ressources en eau. « La région des Cascades est caractérisée par une pluviométrie abondante. Dans le cadre de la mobilisation des eaux de surface, il faut des ouvrages plus importants pour retenir la grande quantité d’eau qui s’écoule vers les pays voisins », plaide-t-il.

A Moussodougou, les populations bénéficient certes, des avantages du barrage mais sont restées jusqu’à présent sur leur soif. Car, aux dires du PDS, la commune n’est toujours pas alimentée en eau potable à partir de cet ouvrage. « Nous avons entrepris des démarches auprès de l’ONEA pour avoir l’eau mais, malheureusement, ce n’est pas encore effectif », déplore-t-il. Pour l’instant, fait savoir Daniel Compaoré, ce sont les forages qui permettent aux habitants de Moussodougou et environnants de s’approvisionner en eau potable. Compte tenu de la forte pression exercée par les usagers sur le barrage, le PDS sollicite la réalisation d’une autre infrastructure du genre dans la zone afin de soulager les populations.

L’envasement des barrages, un phénomène inquiétant

Tout comme à Moussodougou, la pression autour du barrage de Niofila/Douna est énorme. Toutefois, celui-ci enregistre moins de gros consommateurs d’eau. Barrage à vocation agricole, son eau est essentiellement utilisée pour l’irrigation de la plaine aménagée de la Léraba. Sur le terrain, le canal primaire qui relie l’infrastructure hydraulique à ce périmètre est constamment gorgé d’eau. Actuellement, le Projet d’aménagement et de valorisation de la plaine de la Léraba (PAVAL) est le principal usager de l’ouvrage.

Il en assure la sécurité à travers l’auscultation, le traitement mécanique du bassin versant et le suivi des apports d’eau dans la retenue. Ce sont plus de 22 millions de m3 d’eau qui servent annuellement à l’irrigation de 410 hectares (ha) aménagés entre 1985 et 1987. Alors que la plaine a un potentiel de 1500 ha, la disponibilité et la gestion efficiente de l’eau sont des équations à résoudre.

A entendre le coordonnateur du PAVAL, Silamane Kaboré, un nouveau périmètre de 170 ha a déjà été aménagé tandis que 600 autres ha sont en cours d’aménagement. Ces nouveaux aménagements vont contraindre les responsables de la plaine à revoir la capacité de stockage du barrage de Niofila. Et M. Kaboré de préciser que des études sont en cours à cet effet. « Le barrage date également des années 1985-1987. De cette période jusqu’à aujourd’hui, il y a des phénomènes d’ensablement qui font que sa capacité est réduite.

L’étude va permettre de savoir si l’eau est suffisante pour tout l’aménagement projeté sur la plaine de la Léraba », indique-t-il. En attendant, le coordonnateur du PAVAL prône une bonne gestion de l’eau au niveau de l’irrigation afin d’éviter des pénuries sur la plaine. Pour joindre l’acte à la parole, Silamane Kaboré annonce la réhabilitation de tout le réseau d’irrigation de l’ancien périmètre où des fuites d’eau ont été constatées, du fait de la vétusté des canaux.

Environ 4 000 ha de canne à sucre sont irrigués à partir du barrage de Moussodougou.

Pour le management d’irrigation, ajoute-t-il, des formations sont en cours et un comité d’irrigants est mis en place pour assurer la bonne gestion de l’eau. Le phénomène d’ensablement est aussi observé au niveau des autres barrages de la région. L’intérimaire Ali Barro parle d’un problème d’ordre national qui n’épargne pas les Cascades. Il pointe surtout du doigt les producteurs qui occupent les bandes de servitude d’être les principaux acteurs de l’envasement des retenues d’eau. « Pour le moment, je n’ai pas la situation réelle du niveau d’ensablement des barrages mais ce qui est sûr, le phénomène est réel et se constate pendant les périodes d’étiage », relève M. Barro.

Il garde toujours en mémoire ce qui est arrivé au barrage de Moussodougou le 1er septembre 2022 où une forte pluie a provoqué son remplissage jusqu’à sa côte maximale. La situation était assez critique au point que le gouverneur d’alors de la région, le colonel Jean Charles dit Yenapono Somé, a fait un communiqué administratif, le lendemain 2 septembre, pour informer les populations aux alentours et en aval du barrage de l’ouverture des vannes pour évacuer le trop plein d’eau. « Conçu pour stocker un volume d’eau de 38 millions de m3, la quantité d’eau dans le barrage à la date du 1er septembre 2022 était de 45 millions de m3 ; d’où un surplus de 7 millions de m3 », déclare-t-il dans le document.

Des tensions autour de l’utilisation de l’eau

A écouter le président du CLE de la Haute Comoé, Fossène Tou, les pratiques agricoles incompatibles à la gestion des ressources naturelles sont légion dans la zone. Il cite en outre la coupe abusive du bois et les ruissellements d’eau qui contribuent également à boucher le lit des barrages. Daniel Compaoré abonde dans le même sens en dénonçant certains comportements aux antipodes de la bonne gestion des ressources en eau. « Le barrage de Moussodougou n’est pas utilisé à bon escient par tous les usagers. Jusqu’à présent, certains producteurs ne comprennent pas la nécessité de respecter la bande de servitude.

Il y a aussi l’utilisation abusive des herbicides et des pesticides qui contribue à polluer l’eau », déplore le préfet-PDS. Pour sa part, Ali Barro du service des ressources en eau et infrastructures hydrauliques appelle les exploitants à prendre soin des retenues d’eau qui sont réalisées à coût de milliards F CFA. Pour le moment, la répression n’est pas à l’ordre du jour contre les contrevenants. La direction régionale en charge de l’eau des Cascades préfère plutôt jouer la carte de la sensibilisation à travers le service police de l’eau qui regroupe plusieurs acteurs.

« Ce service a pour mission de sensibiliser les exploitants aux dangers du non-respect de la bande de servitude et la nécessité de préserver les retenues d’eau », soutient M. Barro. L’insuffisance des ouvrages hydrauliques provoque parfois des tensions entre les utilisateurs de l’eau. Pour Fossène Tou, les conflits ne manquent pas dans la zone du CLE de la Haute Comoé. Il se souvient qu’une année, des maraîchers mécontents ont failli prendre en otage le gouvernorat des Cascades, sous le prétexte qu’ils sont délaissés dans la distribution de l’eau du barrage de Moussodougou.

« Cela a prévalu à la mise en place d’un cadre d’échanges avec toutes les catégories d’utilisateurs, notamment les maraîchers, les riziculteurs de la plaine de Karfiguéla et la SN-SOSUCO, l’ONEA étant un cas exceptionnel dans l’utilisation de l’eau », relate M. Tou. Il se réjouit du fait qu’avec le soutien du CLE, les trois acteurs arrivent toujours à trouver un consensus et à briser les tensions. En vue de rendre pérennes les barrages existants dans la région, l’Agence de l’eau des Cascades est en train d’entreprendre un certain nombre d’activités en vue de la protection de leurs berges.

Il s’agit des travaux d’entretien, de reboisements et parfois de réhabilitation. A cet effet, le barrage de Moussodougou a connu une réhabilitation en 2019 à hauteur de près de 16 milliards F CFA. Selon Fossène Tou, en 2023, le projet Eau, CLE du développement durable (ECDD) a permis au CLE de la Haute Comoé de reboiser une partie des berges du barrage du Lobi. Par rapport à l’ensablement, il estime que des actions de curage sont nécessaires. Au-delà des travaux d’entretien, la plupart des acteurs pensent que la réalisation d’autres barrages dans la région permettra de mieux mobiliser les eaux de surface, au grand bonheur des populations.

Mady KABRE

dykabre@yahoo.fr