Utilisation des désherbants chimiques : une « main-d’œuvre » pernicieuse

A Finlandé, ces herbes agonisantes viennent d’être traitées aux herbicides.

Au Burkina Faso, l’utilisation des herbicides est en train de prendre des proportions inquiétantes. Faute de main-d’œuvre, nombre de producteurs s’acharnent de nos jours sur ces produits chimiques, pourtant nuisibles à l’environnement et à la santé humaine et animale. Constat dans la région des Hauts-Bassins.

L’hivernage bat son plein dans la région des Hauts-Bassins. Point de répit pour les paysans qui ont renoué avec les champs depuis plus d’un mois. A Finlandé, à une trentaine de kilomètres de Bobo-Dioulasso, certains producteurs sont déjà au sarclage tandis que d’autres s’évertuent encore dans le labour et les semis. Dans plusieurs parcelles, des spéculations comme le maïs sont au stade de levée-montaison.

Nous sommes dans la deuxième décade du mois de juillet 2023. Malgré cette période d’intenses travaux champêtres, le village grouille de monde, ce mardi 11 juillet. Assis par petits groupes, des hommes devisent devant leurs concessions. Les femmes, elles, s’affairent aux activités ménagères. Après une journée de dur labeur, Hamidou Ouattara, la quarantaine révolue, est en train de récupérer à l’ombre d’un arbre au milieu de sa cour.

Il fut un temps où il n’osait pas regagner son domicile avant la tombée de la nuit. Mais depuis près de 20 ans, M. Ouattara semble jouir d’une grande liberté pendant la saison humide. Pas qu’il a abandonné ses exploitations agricoles ou diminué leurs superficies. Mais parce qu’il a vu ses charges de travail se réduire considérablement et ce, grâce aux désherbants chimiques. L’air taquin, le producteur ironise qu’il mène désormais une vie de fonctionnaire. « Maintenant, je n’attrape plus la daba pour cultiver.

Dès que je pulvérise les herbicides dans mon champ, aucune herbe n’y pousse encore jusqu’à la récolte », confie-t-il, sourire aux lèvres. Pour la présente campagne agricole, Hamidou compte emblaver plus de 10 hectares dont cinq sont déjà effectifs pour le maïs. A ce qu’il dit, tous les producteurs du village ne jurent que par les herbicides. C’est ce qui justifie leur présence à la maison à cette heure-ci (14h).

A la lisière des concessions, un tapis d’herbes jaunâtres s’étend sur une grande superficie. Tout porte à croire que le propriétaire du terrain s’apprête à le labourer pour semer du maïs. Puisque cette spéculation trône déjà dans des parcelles voisines où aucune adventice n’est visible. Cette couleur ambrée des herbes indique qu’elles viennent de subir la sentence de leurs bourreaux que sont les herbicides.

Lentement, le tapis vert cède sa place à de la paille sèche. L’option des désherbants chimiques a été motivée, selon les convictions de Hamidou Ouattara, par la lutte contre la pauvreté et le manque de main-d’œuvre. Car, à l’écouter, l’atteinte de l’autosuffisance alimentaire passe par l’exploitation de grandes superficies et la disponibilité de bras valides. Grâce à cette forme de « main-d’œuvre », il a pu doubler sa superficie cultivable.

Manque de main-d’œuvre

Selon le président de la CRA des Hauts-Bassins, Moussa Traoré, l’impact des herbicides sur le sol est déjà perceptible.

Moussa Ouattara, lui, est entrepreneur agricole travaillant à Niafogo, un village du département de Péni. Il dispose de près de cent hectares sur lesquels il a emblavé cette année le maïs, le soja, le riz et le niébé. Tout comme Hamidou, il a aussi jeté son dévolu sur les désherbants chimiques. Ici également, ce sont les mêmes raisons qui sont avancées pour justifier ce choix. « C’est la question de la main-d’œuvre qui m’a poussé vers les herbicides. Ils font gagner en temps et permettent d’économiser », clame-t-il.

Même son de cloche chez Moussa Traoré, agriculteur et arboriculteur dans le Kénédougou. Pour lui, il fallait pallier le manque de personnel créé par l’orpaillage en faisant recours aux désherbants chimiques. « Mais les gens ont adopté les herbicides sans tenir compte de leur impact sur l’environnement », déplore celui qui est par ailleurs le président de la Chambre régionale d’agriculture (CRA) des Hauts-Bassins.

Pour son Secrétaire général (SG), René Ouattara, la ruée des producteurs vers les herbicides est due au fait qu’ils permettent d’améliorer les rendements agricoles tout en diminuant la pénibilité de leur travail. Agronome de formation, Moussa Ouattara indique être soucieux de la qualité des produits qu’il utilise pour traiter son champ. C’est pourquoi, ses choix sont toujours portés sur les herbicides homologués. « J’ai acquis une formation dans l’utilisation des herbicides.

Je respecte donc toutes les prescriptions techniques recommandées », fait-il savoir. Quant à Hamidou Ouattara, il fait ses achats d’herbicides sur le marché local sans être sûr de leur homologation. Ne maîtrisant pas bien les produits, ce sont les commerçants qui le guident dans ses choix. A cet effet, il soutient avoir déjà été victime d’abus de confiance de la part de certains d’entre eux. « Chaque année, il y a de nouveaux modèles d’herbicides qui apparaissent sur le marché.

Le commerçant peut dire que c’est bon, mais généralement ce n’est pas le cas », regrette Hamidou Ouattara. Pour s’assurer que les produits qu’il achète sont homologués, il s’est attaché les services d’un seul commerçant, basé à Bobo-Dioulasso, avec qui il se ravitaille depuis une vingtaine d’années. Désormais, il ne professe que sur la bonne foi de ce dernier. On rencontre toute une gamme variée de désherbants chimiques sur le marché burkinabè, très prisés par les producteurs.

Moussa Ouattara, entrepreneur agricole à Péni : « Il faut que les dirigeants aient un œil regardant sur la qualité des herbicides ».

Ces produits proviennent de divers horizons, notamment de la Chine et des pays de la sous-région ouest-africaine. Dénonçant une utilisation abusive des herbicides par la majorité des producteurs dans les Hauts-Bassins, le Directeur régional (DR) en charge de l’agriculture, Pascal Eric Adanabou, note que la plupart de ces produits ne sont pas homologués. Car, ajoute-t-il, les producteurs estiment que les produits conseillés sont inaccessibles du fait de leur coût élevé et de leur indisponibilité.

Parmi les herbicides homologués par le Comité sahélien des pesticides, rapporte le DR, il y a entre autres, le Nicosulfuron (Nicomaïs), le sel de dimethylamine (Malo Binfaga, en dioula), le Metolachlore (Metonyx), la Pendiméthaline (Pendistar), le Diuron (Powder), l’Oxadiazon (Oxo) et le Glyphosate (Finish). En fonction de la culture et de son stade de développement, les producteurs utilisent soit les herbicides totaux avant ou juste après les semis, soit les herbicides sélectifs pendant la période de levée des adventices.

Malgré leur coût qui n’est pas à la portée de toutes les bourses, les désherbants chimiques s’arrachent comme de petits pains au début de chaque campagne agricole. Pour avoir un

bidon d’un litre du bon produit, aux dires de Hamidou Ouattara, il faut débourser entre 4 000 et 5 000 F CFA. « Cela fait au moins quatre ans que les coûts des herbicides ont grimpé. Avant, nous achetions le litre à 1 250 F CFA mais aujourd’hui, il a franchi la barre de 4 000 F CFA », se souvient-il. Le 10 juillet dernier, il a acheté un carton d’herbicide sélectif (Nicochem) à 60 000 F CFA pour le traitement de son champ de maïs.

Dans sa maison, d’autres types d’herbicides (liquide et en poudre) sont entreposés, chacun vantant son efficacité à travers son emballage. Hamidou se dit convaincu que les herbicides ont perdu un peu de leur efficacité. Car, avance-t-il, il y a 20 ans de cela, on pouvait utiliser un litre d’herbicide pour un hectare ; alors que de nos jours, il en faut deux. C’est aussi l’avis de Moussa Ouattara lorsqu’il déclare qu’il a des soucis avec les herbicides sélectifs des légumineuses dont la qualité reste douteuse à ses yeux.Pourtant, les prescriptions des fabricants de ces produits n’ont pas changé. Sur les emballages, la dose recommandée est toujours d’un litre par hectare.

Un mal nécessaire

Au regard des facilités qu’offrent les herbicides aux producteurs, ceux-ci ne semblent pas prêts à renoncer à leur utilisation. Moussa et Hamidou ne diront pas le contraire. «Abandonner les herbicides ? Non, c’est impossible. Il ne faut pas que l’Etat y pense. Il faut plutôt être regardant sur leur qualité », telle est la réponse de Hamidou Ouattara quand la question lui a été posée sur une éventuelle interdiction de ces produits.

Moussa Ouattara abonde dans le même sens. Lui aussi n’est pas prêt à faire machine arrière, pour ne plus utiliser les herbicides. Pour sa part, le président de la CRA, Moussa Traoré, estime que proscrire les herbicides n’aura pas d’effet à cause de la porosité des frontières. En attendant, tous les producteurs sont unanimes à reconnaître les conséquences désastreuses des désherbants chimiques sur l’environnement. M. Traoré informe que la zone de production du coton est la plus touchée dans les Hauts-Bassins.

Le DR en charge de l’agriculture des Hauts-Bassins, Pascal Eric Adanabou, recommande aux producteurs d’utiliser toujours
les herbicides homologués.

« Là-bas, l’impact est déjà perceptible sur le sol. Il y a des endroits où l’herbe ne pousse plus », révèle-t-il. Du côté des techniciens, les méfaits des herbicides égrenés font froid dans le dos. Le DR Adanabou énumère, entre autres, la destruction de la végétation herbeuse et arbustive, la pollution atmosphérique et des eaux, la réduction de la biodiversité végétale et animale, la baisse de la fertilité des sols, la réduction des superficies cultivables et des pâturages, la dégradation des forêts et l’accentuation des effets du changement climatique.

Outre l’environnement, les herbicides impactent aussi sur la santé humaine et animale. Nonobstant les consignes données sur les emballages des produits et les différentes sensibilisations, la majorité des producteurs ne portent pas d’équipements de protection adaptés lors du traitement des champs. Hamidou admet qu’il ne se protège pas avant de pulvériser son champ. Juste un cache-nez et le tour est joué. « Si je dois pulvériser par exemple trois hectares avec le corps masqué, je ne pourrai pas respirer », justifie-t-il.

A ce niveau, le DR Adanabou indique que tous ceux qui utilisent les herbicides sans équipements de protection adaptés s’exposent à des intoxications. Des intoxications aigües qui se manifestent par des maux de tête, des vertiges, des larmoiements, des irritations, des inflammations, des vomissements, la diarrhée, la toux, des troubles respiratoires, des crises épileptiformes, etc. Et des intoxications chroniques pouvant aboutir aux cancers, aux malformations, à la diminution de la fertilité masculine, à la contamination du lait maternel, etc. Face à cette situation, l’agriculture biologique semble être une alternative pour freiner l’utilisation des désherbants chimiques.

Malheureusement, elle n’est pas encore ancrée dans les habitudes de nombreux producteurs. La raison avancée est que ce type de culture est pénible et ne peut pas se pratiquer sur de grandes superficies. « Il sera difficile de nos jours de pouvoir assurer la sécurité alimentaire en se basant uniquement sur l’agriculture biologique », souligne le DR Adanabou. Pour réduire l’utilisation des herbicides, le président de la CRA demande non seulement un accompagnement mais également une implication des services techniques de l’Etat. Et son SG, René Ouattara, de renchérir que la CRA, en tant qu’organisation paysanne, va continuer à apporter sa contribution en termes d’information, de formation et de sensibilisation des producteurs sur les méfaits des herbicides.

Mady KABRE