Prolifération de la jacinthe d’eau :La survie des barrages menacée à Ouagadougou

La jacinthe d’eau est une plante invasive

La jacinthe d’eau, de son nom scientifique Eichhornia crassipes Mart Solms, est une plante herbacée, aquatique, prolifique, envahissante de la famille des Pontederiaceae, originaire d’Amérique du Sud. Apparue au Burkina Faso dans les années 1980 sous forme de plante ornementale, elle s’est aujourd’hui installée dans certains barrages au point d’être une menace pour les activités socio- économiques dans ces zones. C’est le cas des barrages de Ouagadougou où si l’on n’y prend garde, l’approvisionnement en eau de ladite ville risque d’être menacé.

 Le long du barrage 2 de Ouagadougou, côté nord, s’offrent en spectacle des tas de plantes mortes à plus d’un mètre de haut. A côté, sont en activité dans l’eau, en cette matinée de 12 octobre 2022, une dizaine de jeunes hommes munis de bâtons, de fourches et portant des gilets, des bottes et des gants. C’est la « guerre » contre la jacinthe d’eau. « Nous sommes des pêcheurs et tous les jours, du matin au soir, nous sommes ici pour détruire cette plante envahissante du barrage qui freine notre activité.  A cause d’elle, les poissons sont de plus en plus rares et on a des difficultés à lancer nos filets », informe le président des pêcheurs écologistes du Kadiogo,  Sayouba Balgo. A l’entendre, c’est lui et ses camarades qui, depuis 2004, se battent pour la mettre hors d’état de nuire avec l’appui de l’Agence de l’eau du Nakanbé.

En effet, la jacinthe d’eau est une plante aquatique, flottante,  originaire d’Amérique du Sud. Elle serait arrivée au Burkina Faso, selon le spécialiste en étude et lutte contre les espèces exotiques envahissantes, Louis Ouédraogo, à partir de la Côte d’Ivoire et du Niger, à la suite des informations issues des enquêtes ethnobotaniques réalisées. Dès sa première apparition, les pépiniéristes s’en sont emparés pour la multiplier pour se faire de l’argent. Du  canal de l’hôpital Yalgado Ouédraogo, elle atteint la forêt classée de Parc Bangr-Wéogo et les trois barrages de la capitale, Ouagadougou. A partir de là, elle émigre au Bazèga, notamment au barrage de Koubri. Quant à l’Ouest du pays et selon M. Ouédraogo, la plante a été introduite par un agriculteur dans la rivière Son, à Dougoumato, sur la route de Bobo-Dioulasso. Les paysans voyant que son développement était inquiétant, ils ont interpellé la personne qui n’a pas voulu comprendre. Trois mois plus tard, il a lui-même compris que la plante était dangereuse, mais c’était trop tard pour la stopper. L’auteur a engagé des manœuvres pour son extraction sans succès. Entre temps, il tombe malade et décède. Son fils interpellé décline la responsabilité de l’affaire et le mal s’est aggravé. « Nous avons été interpellés sur les lieux en 1995. Du point de contagion, elle a été trainée par l’eau jusqu’à 15 km, en direction de la Bougouriba », dit le spécialiste.

De la description faite par le maître de recherche en biologie et écologie végétales au département Environnement et forêts de l’Institut de l’environnement et de recherches agricoles (INERA), Souleymane Ganaba, la jacinthe d’eau est un végétal aquatique des zones humides dont les tiges forment des tapis flottants, denses.

Des tas de jacinthe d’eau sortis de l’eau

Les impacts de la plante

La jacinthe se retrouve maintenant sur les cinq continents et dans plus de 50 pays. C’est une plante aquatique à fort potentiel d’invasion. La croissance de cette plante est une des plus rapides, voire la plus rapide, du règne végétal, selon des chercheurs.  Le herbacé se développe à une vitesse vertigineuse. En guise d’exemple, en huit mois, dix plants de jacinthe d’eau peuvent générer plus de six-cents nouvelles plantes. Sa prolifération est une source de nuisances environnementales, économiques et sociales dans les milieux aquatiques. Elle est devenue l’un des fléaux les plus importants pour les étendues d’eau douce, rivières et lacs des tropiques.

A entendre Louis Ouédraogo, les impacts de la présence de l’espèce sont catastrophiques, pour un pays sahélien comme le Burkina Faso où le problème d’eau est une priorité. Elle facilite l’évaporation par un coefficient se situant entre 3,7 et 7 avec l’augmentation de la température. « Cela veut dire que pour une évaporation se situant autour de 2 m/an dans la zone de Ouagadougou, la présence de la jacinthe peut engendrer un tarissement d’un plan d’eau de 10 m de hauteur », révèle-t-il. On peut citer les plans d’eau de Loumbila et de Ziga, ce qui peut compromettre l’approvisionnement en eau des villes de Ouaga et de Ziniaré.

Pour le chercheur Ganaba, la plante envahissante forme de véritables tapis opaques, asphyxiant les cours d’eau et empêchant aussi la navigation et la collecte de l’eau pour l’irrigation. Elle rend donc la vie difficile à d’autres espèces de plantes et d’animaux aquatiques dont les poissons qui ne peuvent supporter les taux élevés de nutriments organiques qui finissent par s’accumuler. Elle tue la biodiversité en captant l’oxygène de l’eau. Elle est dangereuse aussi bien vivante que morte. En outre, lorsqu’elle meurt, elle libère dans le milieu tous les polluants qu’elle a eu à piéger. Le milieu aquatique devient ainsi très pollué.

Des pêcheurs s’activent au nettoyage du barrage

Dans le domaine de la santé, la plante constitue un lieu privilégié de prolifération de moustiques, vecteurs du paludisme qui reste l’une des premières causes de mortalité infantile. Cependant, la plante peut servir à d’autres fins.

Valorisation de la jacinthe d’eau

Selon M. Ouédraogo, dans les pays où il pleut régulièrement et ayant un problème de restriction des réserves d’eau dans l’année, la herbacée est parfois utilisée pour l’épuration des eaux parce qu’elle absorbe la pollution de l’eau. C’est donc un dépolluant. Elle est parfois utilisée dans l’artisanat, la fabrication de compost, du biogaz, etc. La jacinthe est transformée en briquettes de charbon au Bénin. Elle est utilisée dans la production de biogaz, soit 392,37 litres/kg de matière sèche. Pour M. Ganaba, la jacinthe entre aussi dans la production de fourrage. Les feuilles mélangées à l’ensilage de maïs et de paille peuvent servir d’alimentation des zébus sans effet défavorable dans leur croissance. Par ailleurs, les fleurs intégrées à des granulés sont aussi très riches pour l’alimentation des lapins.

« Mais dans un pays sahélien où les besoins d’eau sont compliqués, avec une concurrence ardue entre les hommes et les autres composantes de la nature, ces avantages sont difficiles à exploiter, à valoriser », affirme le chercheur Ouédraogo.

De la lutte

Pour endiguer le phénomène, plusieurs démarches ont été menées. A écouter le spécialiste Ouédraogo, un projet pluridisciplinaire a été initié en 1996 dans le cadre de la lutte contre la jacinthe d’eau, par le département Production forestière (aujourd’hui département Environnement et forêts) de l’Institut de l’Environnement et de recherches agricoles (INERA), avec comme méthodologie la lutte intégrée, alliant lutte biologique, lutte mécanique et chimique. Il a été constaté que la plupart des eaux dans lesquelles prolifère la jacinthe d’eau sont des eaux riches en matières phosphorées et azotées. Les études sont menées sur deux types de sites : sites où l’eau reste permanente toute l’année, (Nagbangré à Koubri, le Son à Dougoumato) et où l’eau tarit  complètement (Barrage 2 de Ouagadougou.)

Sur le premier type de sites (plans d’eau pérennes), les chercheurs ont utilisé la lutte physique (arrachage pour destruction et valorisation de la biomasse par compostage (20%)) et biologique (80%). Celle-ci fait intervenir deux prédateurs que sont   Neochetina eichhorniae et N. bruchi, deux Curculionidae strictement jacinthophages. Adultes et larves de ces insectes détruisent la plante par broutage et perforation de ses tissus et leur efficacité croît avec leur densité.

Au niveau du deuxième type de sites (plans d’eau temporaires), trois méthodes de contrôle ont été utilisées de manière combinée : la lutte physique (25%), la lutte biologique (70 %) et la lutte chimique (5 %). Pour la lutte chimique, le choix a porté sur le glyphosate, herbicide dont l’innocuité a été testée sur des alevins. Il est utilisé par pulvérisation à une concentration de 3l/ha, surtout sur les plantes à inflorescence maximum, pour empêcher la fructification.

Le travail a abouti à plusieurs publications dont une a remporté le prix Forum national de la Recherche scientifique et des innovations technologiques (FRSIT) du ministère en charge de l’environnement en 2004. Le travail a également abouti à la rédaction de fiches techniques qui devaient aboutir à la mise en œuvre d’un fonds pour combattre la plante, à en croire M. Ouédraogo. Ce qui n’a pas été fait, souligne-t-il. Toutefois, il précise : « Nous avons, grâce à une petite subvention de l’Office national de l’eau et de l’assainissement (ONEA), Direction régionale de Ouagadougou, y compris le reste des fonds du projet, mis en pratique les fiches techniques dans la lutte contre la plante dans les plans d’eau de Ouagadougou. Au bout de quatre années, les résultats étaient remarquables. Cependant,  il fallait juste un petit fonds pour le suivi du résultat pendant trois années pour confirmer la disparition totale de la plante dans l’eau. Cette ressource a manqué ». Pour lui, les responsables pensaient que c’était juste pour leur subtiliser de l’argent, puisque la plante n’était plus visible dans les plans d’eau. « Ainsi, au bout des trois années prévues pour le suivi, sans réellement l’être, la plante est revenue et depuis, sa propagation ne fait que s’empirer», souligne-t-il. M. Ouédraogo déplore aujourd’hui que la jacinthe d’eau soit en route pour Bagré depuis la grande inondation de Ouagadougou, le premier septembre 2009. «Si elle atteint Bagré, il n’y aura plus de poisson, ni d’électricité et la riziculture sera également compromise, du reste tout le grand pôle de Bagré», prévient-t-il.

Le président de l’Association des pêcheurs écologistes du Kadiogo, Sayouba Balgo demande un soutien en équipements

Louis Ouédraogo croit que la recherche a apporté sa contribution à la lutte contre la plante mais il se trouve qu’entre des ministères il y a des bagarres de leadership pour la conduite du travail.

Il y a lieu de souligner que les conditions climatiques du Burkina Faso,  notamment la longue saison sèche complique les activités de contrôle de la plante dont l’évolution est cyclique. La période de saison sèche présente des températures très élevées (40°C) induisant une interruption de l’activité des prédateurs biologiques et provoquant leur mortalité massive. La plante s’est adaptée à la sécheresse par la production massive de graines et une incrustation de ses racines dans la vase jusqu’au retour des conditions idéales de son développement.

 

Habibata WARA