Fonds missionnaire Burkina Faso: les promesses tardent, la population désespère

L’ignorance et la misère qui en découle constituent un terreau fertile de business exploité à fond par divers acteurs. Dans la province du Kourwéogo, des individus organisés sous forme d’ONG, écument les villages où ils recensent les nécessiteux, au prétexte de leur venir en aide. Depuis le milieu d’année 2018, cette ONG récolte d’importantes sommes d’argent autour de promesses qui tardent à se réaliser.

Entre juin et juillet 2018, des individus agissant au compte du Fonds missionnaire Burkina Faso-United mission (FMI-BF/UM) ont débarqué dans la province du Kourwéogo, région du Plateau central, pour aider les nécessiteux. Ils étaient bien «sapés» avec des bacs et des mallettes.

Ils présentent leur structure comme une ONG suisse, avec un nom qui sonne comme une institution financière sise à Brettons Wood (FMI) ou un organisme spécialisé de l’ONU (United mission). Aux populations, ils proposent trois types de services. Le premier est composé d’offres d’emplois occasionnels, moyennant 20 000 FCFA à l’inscription. Le deuxième service est une aide directe, composée de vivres et d’argent. 1000 francs sont requis à l’inscription. Enfin, le troisième est une assistance financière pour réaliser des infrastructures. Les candidats à ce service paient aussi  1000 FCFA. Et le tout sans quittance de paiement ou avec un reçu bidonné.

Issouf Ilboudo, élève de 3e à Boussé, s’est inscrit. Avec l’aide de ses parents, il a payé 20.000 FCFA, le montant requis pour décrocher un emploi. L’écolier tout heureux a enfoui son reçu au fond de sa valise, caressant le secret espoir d’embrasser son premier emploi pendant les vacances de 2019. Idrissa Sawadogo, habitant de Raongo, a misé 4 000 FCFA espérant s’offrir des vivres pour sa famille. Comme lui, Daniel Somlaré, habitant de Mouni, a inscrit  en tout 7 personnes. «C’était au moment de la famine et on ne savait pas quoi faire», fait-il remarquer avant d’ajouter «Quand quelqu’un a faim, ses yeux ne voient plus. Tout ce qu’on lui présente, il prend».

2 millions récoltés au premier jour à Mouni

Le Burkina Faso a vécu un déficit céréalier important en 2018 qui n’a pas épargné la province du Kourwéogo. En pleine crise alimentaire, l’instinct de survie a poussé les villageois à s’accrocher à toutes sortes de promesses. L’aide du Programme alimentaire mondial (PAM) a été utilisée par certaines familles pour satisfaire aux conditions du Fonds missionnaire Burkina Faso-United mission. Du moins, révèle Daniel Somlaré, une partie de cet argent destiné à l’achat des vivres s’est retrouvée entre les mains des recruteurs de FMI-BF. « Certaines personnes qui n’avaient pas les moyens d’inscrire tous les membres de leurs familles ont profité de l’argent du PAM pour effectuer leurs inscriptions », explique-t-il. Le chef coutumier, le catéchiste, les fidèles, les commerçants et autres sont tombés dans ce qui apparaît à présent comme un piège.

Clément Somlaré, président du Conseil villageois de développement (CVD) de Mouni s’est acquitté, avec enthousiasme, de la somme de 20 000 FCFA. Il a aussi inscrit les autres membres de sa famille à 16 000 FCFA.

La cour royale de Mouni est aussi tombée dans le coup. Le chef coutumier a payé 8 000 FCFA. « Le premier jour, ils ont eu plus de 2 millions FCFA dans mon fief», confie-t-il, tout furieux.

150 mille pris à des fidèles

Biba Ouédraogo, gérante d’une gargote à Raongo, elle, s’est endettée pour sauver sa famille. Après avoir payé 20 000 FCFA au chapitre «candidate à l’emploi », elle a également misé 14 000 FCFA pour ses enfants et proches. «On a contracté des crédits de gauche à droite pour payer», se lamente-t-elle.

Les fidèles catholiques ont approché cette fondation pour lui soumettre un projet de construction d’un édifice. Tout semblait bien parti car la seule condition du «bailleur» providentiel était d’établir un devis d’un édifice religieux digne de ce nom, c’est-à-dire dont la valeur numéraire est d’au moins 40 millions FCFA.  «Ils ont dit qu’à moins de 40 millions FCFA, ils se désengagent», soutient Lassané Somlaré, porte-parole du catéchiste.

Finalement, le devis à 40 millions minimal n’était pas la seule condition. Les fidèles devraient aussi apporter une contribution et une quête a été organisée à cet effet. Très enchantés à l’idée de construire un magnifique lieu pour le Seigneur, les fidèles, même les plus démunis, n’ont pas hésité à mettre la main à la poche. Au décompte, «on a eu environ 150 000 FCFA pour eux», de l’avis de M. Somlaré.

La logique du bon sens et la transparence n’ont pas toujours habitées les animateurs de cette supposée ONG. Si bien que des personnes avisées du village de Tangsèghin, sentant de l’escroquerie, ont repris les frais de leurs inscriptions. De l’avis du conseiller municipal, Noël Sawadogo, l’attitude des recruteurs n’était pas nette et les villageois de  Tangsèghin se sont fait rembourser illico presto.

Des pratiques suspectes

Le maire de Boussé, Nicolas Sawadogo, croit toujours à la bonne foi des responsables de cette organisation

D’abord, ils ne remettaient pas de reçu à tout le monde. Lorsqu’Idrissa Sawadogo, habitant du village de Raongo, dans la commune rurale de Niou, a exigé un reçu, il s’est attiré la colère de l’agent recruteur. Puis, plus calmement, l’agent lui a demandé de patienter et que tout serait réglé auprès du chef du village. «Il disait qu’il allait remettre les reçus de tous les inscrits au chef du village», confirme Amado Guélbéogo, habitant du même village. Il n’avait pas été si convaincu par son vis-à-vis mais «comme on avait faim, regrette-t-il, on ne voyait plus la ruse».

De même, un passeport (qui vaut au moins 50 000 FCFA) était requis au demandeur d’emploi. Rares sont les villageois qui en disposaient et rares sont également ceux qui pouvaient s’en procurer.  Evidemment, pour les aider, les recruteurs se sont contentés de photos d’identité, en promettant d’établir le précieux « sésame » au profit de chaque personne.

Dans son principe, les aides de cette ONG étaient servies aux individus ayant au moins 10 ans. Mais pour aider les gens, ils ont fini par recenser même les nouveau-nés.  « Ils enregistraient tous les nourrissons en prenant le soin de noter à côté que chacun d’eux avait 10 ans », témoigne Daniel Somlaré, habitant du village de Mouni.

Par ailleurs, le délai fixé pour les aides alimentaires n’a pas été respecté. «Ils ont donné un délai d’un mois pour remettre à chacun son dû», rappelle Idrissa Sawadogo, habitant de Raongo qui a dû payer 4000 F pour lui et sa famille.

Les offres d’emploi pour lesquelles 20 000 francs sont requis  aux candidats n’existaient pas au départ. Seuls des vivres, des réalisations d’infrastructures et de l’argent liquide étaient proposés. Mais finalement, les animateurs de cette boîte ont demandé à ceux qui le voulaient bien de s’inscrire à ce montant, pour devenir membre de la structure, ce qui fera d’eux les premiers responsables des chantiers qui seront réalisés par l’ONG. Il fallait nécessairement un passeport et des diplômes qui prouvaient qu’ils avaient des qualifications mais qu’ils étaient simplement au chômage. Finalement, de simples photos d’identité ont été demandées, tout ça pour les aider.

Des leaders d’opinion inclus

L’ONG a pu mener ses activités sans être dérangée parce qu’elle a pu s’entourer de quelques préalables ayant convaincu ses clients. Elle a lancé une «campagne de recrutement» (sic) en bonne et due forme à Saaba, commune située à la périphérie-Est de Ouagadougou, activité couverte par des médias. Ce qui lui a donné une certaine crédibilité. Ensuite, les responsables de FMI-BF se sont adossés aux élus locaux. Des maires ont participé à des rencontres organisées par cette structure. A Niou, le maire, arrivé à la fin de la rencontre, a reconnu qu’il n’avait pas tous les contours concernant les bienfaiteurs mais qu’il tenait pour sa part à ce que tous les responsables des comités villageois de développement soient présents afin qu’aucun village ne soit oublié, si les promesses venaient à se réaliser. De même, à Boussé, le FMI-BF a tenu une rencontre en présence de nombreuses personnes dont le maire Nicolas Sawadogo. «Ils nous ont convoqués à la mairie de Boussé et il y avait beaucoup de personnes dont le préfet et des maires. Ce qui nous a donné de l’assurance», révèle Somlaré Clément, CVD Mouni. «Le maire de Boussé (Nicolas Sawadogo) a pris la parole et les gens ont applaudi», ajoute-t-il.

Tout cela leur a permis aussi d’avoir la confiance de la population. Le maire de Boussé, Nicolas Sawadogo, croit toujours à la bonne foi de FMI-BF qui a promis construire un CSPS dans sa commune.

Les chefs coutumiers ont été souvent impliqués. Guélbéogo Noraogo, le conseiller à Raongo, raconte que c’est chez le chef de Niou que la population a été invitée pour prendre connaissance des offres de cette organisation. «Ce jour-là, ils ont dit qu’ils travaillent avec les chefs coutumiers et les chefs de terre, qu’ils n’ont rien à cirer avec les conseillers», relate-t-il. Toutes nos tentatives pour rencontrer les responsables de cette ONG sont restées vaines. Contactés à plusieurs reprises pour avoir leur version des faits, ils nous ont promis des rendez-vous qu’ils n’ont jamais honorés.

Le doute s’installe

Comme Issouf Ilboudo, les candidats à l’emploi qui ont versé 20 000 FCFA chacun ont eu droit à un reçu bidonné

Arnaque ou pas, le doute s’est installé dans l’esprit des gens. Le chef de Mouni est dans l’embarras. « Si, par exemple, je pars au marché et que les vieilles femmes me réclament leur argent, que ferais-je ? », s’interroge-t-il avant de conclure «ce n’est pas moi qu’ils ont trompé, c’est Dieu».

Daniel Somlaré espère toujours. «Personne n’a pensé à une arnaque. On est toujours dans l’attente». Le CVD de Mouni reste aussi optimiste : «On a toujours espoir parce qu’ils (responsables du FMI-BF) continuent d’en parler».  Mais visiblement, il est habité par le doute. « Si on les appelle de nos jours, c’est toujours le même refrain…qu’ils arrivent mais ne sont jamais arrivés», dit-il.

Pour Lassané Somlaré, il y a de quoi s’inquiéter désormais. «Je pense qu’ils nous ont arnaqués. On ne les connait pas. C’est un d’entre eux qu’on connait, mais on ne connait pas ses patrons», fait-il savoir.

Amado Guélbéogo qui était impatient d’avoir des vivres est à présent résigné. «Nous les laissons avec Dieu», soupire-t-il. Et pour que Dieu le reconnaisse, il décrit le recruteur comme quelqu’un qui «était bien sapé avec un bic, des papiers et une mallette entre les mains».

Mariam Ouédraogo, habitante de Niou fait jusque-là preuve de patience même si elle semble ne pas trop y croire. « On les attend toujours » avant d’invoquer le courroux du ciel : «S’ils n’ont pas pitié de nous, ils n’ont qu’à nous tromper. Ça ne nous gêne pas. Sur terre ils vont bouffer, mais au-delà chacun va payer de ses actes».

Passées ces menaces, aucune poursuite n’est envisagée, comme dans la plupart des cas similaires. On en tire des enseignements. « Cette affaire est un conseil pour la population », note Noraogo Guélbéogo. Comme d’habitude au Burkina, on tire les leçons et on attend le prochain messie.

Ouamtinga Michel ILBOUDO

Omichel20@gmail.com


FMI-BF, aucune trace au Burkina, ni en Suisse

FMI-BF se réclame être une ONG suisse. Mais il n’est pas reconnu des services de l’ambassade suisse au Burkina Faso. De plus, le personnel de cette ambassade nous a confié que le gouvernement suisse ne finance aucune de ses activités. A la direction des libertés publiques du ministère de l’Administration territoriale et de la décentralisation ainsi qu’au Secrétariat permanant des ONG (SPONG), pas de trace de FMI-BF.

FMI-BF, fonds ou fondation ?

Des reçus bidonnés ont été délivrés aux candidats à l’emploi qui ont payé chacun au moins 20 000 FCFA. D’abord, le sigle FMI-BF figurant sur le reçu n’a pas la même signification que celui qui se trouve sur le cachet du responsable. Il désigne un « Fonds » sur le reçu et une « Fondation » sur le cachet du directeur. Ensuite, le paiement a été fait le 22 août à Boussé mais il a été mentionné sur le reçu qu’il a été effectué à Ouagadougou. Alors, où est donc le sérieux dans tout ça ?

O.M.I