Viande de chien à Dano: Un produit prisé pour ses vertus mystiques

La viande de chien est fortement consommée dans le Ioba. Pour la plupart des habitants de cette localité, il n’y a pas de meilleure viande que celle du chien, en raison de son goût et surtout de ses vertus thérapeutiques et mystiques supposées. Même si dans les abattoirs du Burkina Faso aucune place ne lui est prévue, le service vétérinaire de Dano s’est saisi de la question.

 

A Dano, les chiens n’errent pas au hasard comme dans certaines localités du Burkina. Et pour cause ? Ils sont traqués pour leur viande. Près d’une centaine de chiens abattus sont enregistrés par mois au niveau de la direction provinciale des ressources animales du Ioba. Selon Louis Nikièma, responsable de cette direction, de 870 chiens tués en 2017, le nombre est passé à 1047 en 2018. 60% de ces chiens abattus sont des mâles, détaille-t-il.

Le dernier recensement des chiens vivant dans la commune de Dano donne un effectif de 4 479 individus.  Toutefois, à notre passage le samedi 19 janvier 2019, pas un chien n’a pointé le bout du nez sur la voie publique, dans les maquis et autres lieux à forte affluence humaine.

A 11h, toujours pas de chiens errants. Les gérants de maquis et les bouchers sont déjà à l’ouvrage. Les premiers clients se sont confortablement installés et sirotent la bière. Au niveau des cabarets, les «dolotières» aussi s’activent. Jean Urbain Somé et Benjamin Kpoda ont pris place sur un banc brinquebalant. Ils sont en train de  boire  le dolo et aimeraient bien l’accompagner de viande de chien.

Malheureusement, ils n’en trouvent pas. Durant ces 72 dernières heures, les mangeurs de chien n’ont pas eu de quoi dégourdir la mâchoire. Foi du vétérinaire Victor Ouédraogo, aucune carcasse de chien n’a été enregistrée à son service pour une quelconque inspection. Malgré tout, nous nous dirigeons vers le secteur n°2 de la ville où se trouve un «four ». Il sert à préparer la viande de chien. Le «chien au four» a été mis au point par Auguste Charles Kambouolé depuis 1990.

Une viande au goût différent

A notre passage, il n’y avait personne sur les lieux. Renseignement pris, le boucher est à la recherche de chiens dans les différents villages de la commune. En réalité les chiens se font de plus en plus rares, ce qui est compromettant pour la bonne marche de ses affaires, nous confie-t-on. « Il arrive que je gaspille mon carburant pour me déplacer et revenir bredouille », se désole M. Kambouolé.

De nombreux Danolais sont friands de la viande de chien et les avis sont partagés sur les raisons de cet engouement. Louis Nikièma, directeur provincial du ministère des Ressources animales du Ioba, parle du goût caractéristique de cette viande. «La différence avec les autres viandes, dit-il, c’est un peu comme la viande du poulet et celle de la pintade».

«C’est la meilleure viande ici », déclare Luc Dabiré qui soutient qu’il raffole de cette viande, non seulement parce qu’elle est appétissante, mais aussi pour des raisons culturelles.

Pour Benjamin Kpoda, habitant de la commune rurale de Dissin, cette viande ne comporte pas de risques sanitaires comme celle du porc. «Même si elle n’est pas bien cuite, on peut la manger sans problème», dit-il. Il avoue qu’il est incapable de résister à la soupe de la viande de chien qui, en plus, aiguise son appétit. «Elle est très bonne», insiste-t-il.

Même son de cloche chez son compagnon Jean Urbain Somé, attiré lui, par sa saveur toute particulière. « Le goût est meilleur que les autres viandes », martèle-t-il.

Un mangeur de chien est «protégé» contre les sorciers

Si pour les uns, la viande de chien est la meilleure par son goût particulier, pour d’autres c’est pour ses multiples vertus. Benjamin Kpoda croit savoir qu’elle aide à soigner les maladies du foie. En outre, elle sert de bouclier mystique qui permettrait de lutter contre les mauvais sorts. Luc Dabiré, mécanicien de son état, est catégorique: «Les sorciers ne peuvent pas attraper un mangeur de chien». Benjamin Kpoda, rencontré dans un cabaret, est du même avis, car dit-il : «Elle nous éloigne des mauvais sorts parce que le chien voit les esprits la nuit et les chasse». Sur ce, Kounilè Dabiré précise comment les choses se passent. « Quelqu’un qui se frotte avec la graisse de chien ne peut pas être attrapé par les sorciers ». Pour se mettre à l’abri de ces malfaiteurs, Jean Urbain Somé s’applique à enduire son corps de la graisse de chien. Ce qui lui permet, pense-t-il, de préserver son âme contre les sorciers. Il évite néanmoins de le faire tout le temps à cause  de la forte odeur qu’elle dégage.

Et pour les esprits cartésiens qui en douteraient, Kounilè Dabiré explique que cette viande a un caractère mystique qui échappe le plus souvent à la science. «En mangeant les pattes de chien, on court plus vite et on ne peut pas se faire attraper en cas de problème », dit-il.

A en croire le directeur provincial des Ressources animales, Louis Nikièma, la consommation de la viande de chien a pris de l’ampleur dans la commune de Dano. Cependant, mentionne-t-il, il n’y a pas une boucherie où l’on peut en trouver tout le temps. «Elle se vend dans les domiciles et les cabarets », soutient-il. Il affirme en outre qu’elle est tellement prisée qu’elle se vend sur commande. «La demande est plus forte que l’offre», atteste-t-il. En effet, Charles Kambouolé avoue qu’il peine à satisfaire tous ses clients. « Ill suffit d’alerter un seul client que la viande est disponible et tout le reste est aussitôt informé », raconte-t-il.

La viande de chien n’est pas sans risque

L’abattage des chiens à Dano, et a fortiori au Burkina Faso, n’est pas encadré par des textes. «Il n’y a pas une règlementation», indique M. Nikièma.  Ainsi, poursuit-il, il n’a pas été prévu une place pour l’abattage des chiens à l’abattoir.

Mais vu la forte consommation de cette espèce à Dano et vu les risques sanitaires, les services vétérinaires ont pris leur responsabilité. Dans ce cadre, les bouchers font inspecter les carcasses de chien avant la mise en consommation sur le marché. «Dans la province du Ioba, la consommation de cette espèce est assez élevée si bien qu’elle entre dans nos attributions de l’inspecter comme tout autre espèce », note-t-il.

Cette inspection est soumise à des règles strictes. Par exemple, toute carcasse qui se présente devant les services vétérinaires sans un seul organe en place est immédiatement saisie et systématiquement détruite. «Pour inspecter, il faut amener toute la viande avec les différents organes en place, y compris la peau, la tête, les pattes, la rate…», détaille Louis Nikièma.

Le directeur provincial des ressources animales explique le cas d’une carcasse de porc qui a été détruite la veille à cause du manque d’un seul organe à savoir la rate.

D’autres cas de figure se présentent également. Il cite par exemple, les viandes cadavériques qui sont systématiquement retirées de la consommation et calcinées. «C’est quand par exemple on appelle le boucher pour lui dire qu’il y a un chien qui est mort quelque part», révèle-t-il. Il n’occulte pas non plus les risques liés à la manipulation de la viande d’un chien atteint de la rage. Pour Louis Nikièma, les deux maladies fréquentes et dangereuses que l’on rencontre chez les chiens sont la rage et la maladie de carré.

L’abattage clandestin est plus important

Des vaccins existent et les propriétaires de chiens sont constamment sollicités à les vacciner à l’avance. « Les risques se situent au niveau de la manipulation de la viande fraîche d’un chien enragé ; le consommateur a moins de problème parce que le virus ne résiste pas à la chaleur », souligne-t-il.

En dépit des efforts consentis par les services en charge de l’élevage, les abattages clandestins sont légion dans la province du Ioba, surtout dans les zones les plus reculées. «Ce que nous trouvons à l’abattoir n’est rien par rapport à l’abattage clandestin qui est beaucoup pratiqué dans les villages », constate Louis Nikièma.

Pour savoir si la viande vendue est de bonne qualité ou pas, il donne des indices. « Si la viande a la couleur de l’oignon, on peut l’acheter. Mais si elle a une couleur rouge ou carrément blanche, il faut s’abstenir car ce n’est pas une bonne viande », prévient M. Nikièma. Mais dans la ville de Dano, tous ne mangent pas la viande de chien. C’est le cas de Issaka Birba, mécanicien de profession. «C’est à cause de ma religion que je n’en consomme pas », se justifie-t-il. De toutes les manières, la cohabitation entre les mangeurs et non mangeurs de chien ne pose aucun problème. Là où apparaît le danger, ce sont les morsures de chien.

Elles sont fréquentes dans la province du Ioba, fait remarquer Louis Nikièma. Toute chose qui interpelle le ministère en charge des ressources animales sur la nécessité de poursuivre la sensibilisation afin que les propriétaires de chien les fassent vacciner. Comme un aveu d’impuissance, M. Nikièma conclut que ce sont les citadins qui font vacciner leurs chiens et contrôler leurs viandes. En campagne, la réalité est tout autre. Au-delà de la province du Ioba, la viande de chien est consommée dans toute la région du Sud-Ouest, dans les régions voisines et dans les centres urbains. Les amateurs sont nombreux. Mais comme certaines pratiques ancestrales couvertes de discrétion ou de tabou, peu de gens le revendiquent, ce qui explique que cette viande n’ait pas de place prévue par les textes dans les abattoirs du pays.

 

 

Ouamtinga Michel ILBOUDO

Omichel20@gmail.com