Maïs contaminé par l’aflatoxine au Burkina : ce poison qui nous tue en silence

Maïs non inspecté en vente au marché de Léo

Le maïs produit au Burkina Faso ne semble présenter, à vue d’œil, aucune anomalie. Pourtant, de nombreux chercheurs burkinabè ont révélé après des analyses, qu’il est contaminé par l’aflatoxine, une toxine produite par un champignon microscopique (moisissure) appelé Aspergillus flavus. Le plus fort taux enregistré à ce jour est de 517 microgrammes d’aflatoxine par kilogramme de maïs contre une norme de 15 microgrammes d’aflatoxine par kilogramme de maïs recommandée par la CEDEAO. La santé du consommateur pourrait être engagée si des actions vigoureuses ne sont pas entreprises.

Avec ses beaux grains blanchâtres ou jaunâtres, le maïs produit au Burkina Faso affiche une apparence trompeuse. Des échantillons de cette céréale testés dans les laboratoires par des chercheurs du Centre national de la recherche scientifique et technologique (CNRST) montrent qu’ils sont bourrés d’aflatoxine, une toxine produite par un champignon microscopique appelé Aspergillus flavus que l’on retrouve dans les sols et les débris des végétaux, principalement dans les régions chaudes et humides.

Compte tenu de son effet dévastateur sur la santé humaine et animale, plusieurs chercheurs sont aux trousses de ce parasite mortifère. Dans le cadre de la lutte contre les aflatoxines, Dr Adama Néya, chercheur à l’Institut de l’environnement et de recherches agricoles (INERA) de Farako-Bâ (Bobo-Dioulasso), y a consacré depuis 2009, ses travaux de recherche, en collaboration avec l’Institut international d’agriculture tropicale (IIAT) dont le siège se trouve au Nigéria. Ce phytopathologiste tire la sonnette d’alarme sur l’ampleur de la contamination des céréales et plus particulièrement du maïs.

« Au cours d’une séance de formation, tenue en avril 2010, nous avons acheté le maïs et la farine de maïs dans différents marchés de Ouagadougou comme si c’était pour faire la cuisine. Quand nous avons effectué les tests, nous avons découvert des taux d’aflatoxine très élevés dans certains échantillons. Si bien que nous avons beaucoup hésité avant de montrer les résultats aux participants venus de plusieurs ministères et institutions partenaires. Au moment des interviews avec la presse, j’ai disparu des radars, car je suis resté sans voix au regard de l’ampleur de la contamination », informe-t-il.

Le hic est que, précise-t-il, vu de l’extérieur, les grains de maïs ne présentent aucun signe visible de contamination. Ils n’ont pas d’odeur, ni couleur encore moins de saveur particulière. Difficile donc, de son avis, de détecter, sur la base d’une simple observation à

Selon Siaka Sanon, DG d’Agroserv industrie,90% du maïs acheté avec les coopératives agricoles formées aux bonnes pratiques agricoles n’est pas contaminé.

l’œil nu, un maïs infecté. Dr Hamidou Compaoré, Maître de recherches en biochimie-microbiologie-mycologie au Département technologie alimentaire (DTA) de l’Institut de recherche en sciences appliquées et technologies (IRSAT), affirme en revanche que l’apparition de moisissures sur les repas est une piste sérieuse de leur possible contamination par l’aflatoxine.

« Quand vous conservez le tô (pâte de maïs ou de sorgho) pendant deux ou trois jours, vous voyez une espèce de pellicule blanchâtre ou jaunâtre qui se développe à la surface. Dans la plupart du temps, ce sont des moisissures qui secrètent l’aflatoxine », fait-il savoir.

Des taux d’aflatoxine au-delà des normes

Des révélations faites par Dr Adama Néya, on dénombre environ 2 500 mycotoxines d’où sont issues les aflatoxines. Les plus dangereuses selon lui sont les aflatoxines B1 et B2 qui sont produites principalement par Aspergillus flavus, les aflatoxines G1 et G2 produites par Aspergillus parasiticus. On a également les aflatoxines M1 et M2 qui sont présentes dans le lait et les produits à base de lait. Elles sont dérivées respectivement du métabolisme des aflatoxines B1 et B2. Adama Néya affirme que les Aspergillus ont été découverts pour la première fois dans une ferme avicole en Angleterre dans les années 60.

Mais pourquoi depuis lors, on n’en parle pas au Burkina Faso? « Parce que les recherches sont guidées par des intérêts », réplique-t-il. Le hic est que la molécule résiste très bien à la chaleur et survit après la cuisson des aliments. Pour la dégrader complètement, il faut qu’elle soit chauffée jusqu’à 269°C. « Or, à cette température, on obtient du charbon », se désole Dr Néya. L’ingérence d’aliments contaminés expose le consommateur à des risques sanitaires.

Les plus fréquents sont le cancer de foie, l’affaiblissement du système immunitaire aussi bien sur l’homme que sur l’animal, le retard de croissance de l’enfant… Le centre international de lutte contre le cancer dont le siège se trouve à Lyon en France, a identifié, en 1985 l’aflatoxine B1 comme étant la plus cancérigène. « Lors du calcul des taux d’aflatoxine dans les grains de maïs, le pourcentage de la B1 est donné à part et le total des trois autres (B2, G1, G2) aussi à part », fait observer Dr Néya.

Face aux impacts négatifs de l’aflatoxine sur la santé humaine et animale, des normes ont été définies afin de mieux contrôler le niveau de toxicité des denrées alimentaires. Le règlement n°1881/2006 de la Commission européenne fixe le taux maximum d’aflatoxine à 4 microgrammes par kilogramme d’aflatoxines totales dans les produits destinés à la consommation directe pour l’alimentation humaine.

Ce taux est ramené à 2 microgrammes par kilogramme d’aflatoxine pour l’aflatoxine B2, au

Fulbert Nikièma exhorte les acteurs à vérifier la qualité de leur maïs avant de le mettre sur le marché.

regard de sa forte nocivité. Les produits importés qui ne respectent pas ces normes sont interdits d’entrée dans cet espace communautaire. Les Etats-Unis, un des plus gros producteurs de maïs dans le monde, ont fixé leur norme à 20 microgrammes d’aflatoxine par kilogramme de maïs contre 15 microgrammes par kilogramme de maïs recommandée par la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO).

Toutefois, aucune mesure contraignante n’est imposée aux Etats membres quant à l’application de cette norme communautaire. « La norme est d’application volontaire », souligne Fulbert Nikièma, en poste à la Direction du contrôle des aliments et de la nutrition appliquée (DCANA) de l’Agence nationale pour la sécurité sanitaire, de l’environnement, de l’alimentation, du travail et des produits de la santé (ANSSEAT).

Après avoir testé des échantillons de maïs au laboratoire, Dr Adama Néya dit avoir enregistré des taux élevés atteignant 517 ppb (partie par billion), c’est-à-dire qu’un kilogramme de maïs contient 517 microgrammes d’aflatoxine alors que la norme communautaire n’admet que 15 microgrammes par kilogramme de maïs. « Les chiffres font peur », s’inquiète Dr Néya.

L’aflatoxine fait des ravages

Dans les Hauts-Bassins, l’Union provinciale des professionnels agricoles (UPPA) du Houet qui regroupe plusieurs coopératives agricoles a entamé la formation et la sensibilisation de ses membres sur les effets nocifs des aflatoxines. Soumaïla Sanon, secrétaire général de l’organisation, salue la détermination des uns et des autres à suivre les directives édictées par les encadreurs agricoles. Il se félicite également de l’adhésion des membres de la faîtière à cette cause noble qui leur permet aujourd’hui de produire du maïs sans aflatoxine.

Adama Néya laisse entendre que les aflatoxines ne sont pas venues d’ailleurs à travers les semences ou les aliments importés. Les champignons poussent de manière naturelle dans le sol au niveau des zones situées à 35° de part et d’autre de l’Equateur. Changement climatique oblige, les zones tempérées qui étaient à l’abri, sont de nos jours, impactées. Les chercheurs persistent et signent qu’aucune culture n’est épargnée par l’aflatoxine. On peut citer entre autres le riz, le sésame, le mil, le sorgho, le piment, le gingembre, l’anacarde, les mangues séchées, le cacao et le café.

Au Burkina Faso, le maïs occupe la deuxième place en termes de contamination après l’arachide. Ollo Roland Somé, chirurgien-cancérologue au Centre hospitalier universitaire Souro Sanon (CHU-SS) de Bobo-Dioulasso, reconnaît que l’aflatoxine fait des ravages dans la sous-région et particulièrement au Burkina Faso. Pour preuve, il affirme que son service a enregistré, au cours des six dernières années, environ 1 300 cas de malades de cancer toutes catégories confondues, dont 50% sont à un stade avancé où la chirurgie ne peut plus guérir.

« C’est rare que nous enregistrons des cancers de foie au début alors que c’est à ce niveau que l’aflatoxine sévit. Ce sont des cancers qu’il faut opérer et pour y parvenir, il faut les dépister tôt », relève Pr Somé. Il pense que l’aflatoxine y est pour quelque chose dans l’augmentation du nombre de malades de cancer. Il signale d’ailleurs que la plupart des intoxications alimentaires sont dues à la consommation d’aliments contaminés par l’aflatoxine. Un avis partagé par Dr Hamidou Compaoré du DTA de l’IRSAT. « L’aflatoxine tue beaucoup de personnes en silence », déplore-t-il.

A en croire Pr Somé, il existe deux types d’intoxication alimentaire à savoir l’intoxication aigüe et l’intoxication chronique. L’intoxication aigüe est, de son point de vue, la forme la moins sévère. « Nous avons vu des cas où des membres d’une même famille ont consommé des aliments à base de céréales et se sont tous retrouvés aux urgences.C’est une intoxication aigüe que l’organisme arrive à gérer », se convainc-t-il. Par contre, poursuit-il, l’intoxication chronique est la forme la plus dangereuse, pouvant inéluctablement conduire à la mort.

Il s’agit d’une contamination qui survient à la suite d’une consommation constante et à faible dose d’aliments infectés par l’aflatoxine et qui entraîne des dégâts à long terme comme le cancer de foie. « Nous savons que dans la sous-région, il y a beaucoup de cancers de foie que nous pouvons rattacher à l’aflatoxine mais qui ne sont pas documentés », assure Pr Roland Somé. L’aflatoxine attaque aussi les globules blancs, ce qui se traduit par un affaiblissement du système de défense de l’organisme aussi bien chez l’homme que chez l’animal.

Le président de l’UPPA-Houet, Soumaïla Sanon affirme que les membres de la faîtière produisent du maïs sain.

L’aflatoxine perturbe les vaccins L’aflatoxine induit également une réduction de la production avicole. De l’avis du Dr Adama Néya, cela se manifeste par la diminution de la ponte des œufs et du poids des poules au cas où la volaille est alimentée par des aliments contaminés. Les chercheurs ont aussi démontré que l’on peut être contaminé par l’aflatoxine avant la naissance.

Des explications du Dr Néya, si la mère est contaminée, elle transmet l’aflatoxine à son bébé par le sang via le cordon ombilical. Pire, cette contamination peut se poursuivre après la naissance avec le lait maternel et même après le sevrage si l’enfant est nourri avec des aliments fabriqués à base de produits infectés par l’aflatoxine. La conséquence est que cette intoxication induit un retard de croissance de cet enfant, notamment durant les 1 000 premiers jours de sa vie.

Il faut également noter qu’il existe une interaction entre l’aflatoxine dans le sang et dans les urines avec les vaccins. Dr Adama Néya soutient qu’elle perturbe le bon fonctionnement des vaccins reçus par l’homme ou l’animal. En effet, avance-t-il, lorsque l’homme ou l’animal a un taux d’aflatoxine élevé dans son sang et reçoit une dose de vaccin, l’effet de ce vaccin peut être affaibli.Outre les risques sanitaires sur l’homme et l’animal, l’aflatoxine entrave la bonne marche du commerce des produits agricoles. Les produits incriminés sont interdits d’exportation.

Même au niveau national, des rejets ont été déjà enregistrés lors des achats institutionnels (l’exemple du PAM) et par des industries de transformation comme Agroserv Industrie SA qui appliquent les normes. Le maïs déclaré non conforme après les analyses est systématiquement rejeté, souligne Souleymane Soudré, coordonnateur de l’Unité nationale de mise en œuvre du Cadre intégré (UNMO-CIR), un programme du ministère en charge du commerce avec l’appui de plusieurs organismes internationaux visant à assister les pays les moins avancés à identifier les secteurs à fortes potentialités d’exportation.

M. Soudré rappelle que des études ont démontré que le taux de contamination du maïs est très élevé et que la santé des consommateurs pourrait être engagée. La Direction du contrôle des aliments et de la nutrition appliquée (DCANA)de l’ANSSEAT, ex-Laboratoire national de santé publique (LNSP), a pour mission principale de traquer le risque à travers le contrôle des denrées alimentaires. Fulbert Nikièma, directeur de la DCANA, explique que les analyses toxicologiques effectuées sur les échantillons de maïs visent non seulement à rechercher les aflatoxines mais aussi l’ochratoxine qui est une toxine qui attaque les reins avec une possibilité d’évoluer en insuffisance rénale.

A l’écouter, ces contrôles permettent en outre de détecter d’autres substances toxiques qui altèrent parfois la qualité du maïs. M. Nikièma pointe aussi la responsabilité des producteurs qui s’emploient de plus en plus à utiliser certains produits chimiques non homologués dans le traitement des champs. « Nous détectons souvent les traces de ces produits dans le maïs », mentionne-t-il. A l’entendre, les commerçants et les producteurs semblent bien profiter d’un vide juridique car aucun texte ne les oblige à vérifier la qualité de leur maïs dans un laboratoire avant de le vendre.

Du maïs non conforme revendu aux consommateurs

M. Nikièma fait comprendre que le maïs n’est soumis au contrôle que lorsque les commandes sont faites par des instituions. Le client qui veut toujours, à travers le certificat de conformité délivré par l’agence de contrôle, s’assurer de la qualité du maïs avant de payer. En cas de non-conformité du produit soumis au contrôle, la vente est annulée mais le produit reste entre les mains de son propriétaire.

En clair, le produit incriminé n’est ni saisi ni incinéré. Partant de ce constat, le directeur de la DCANA propose une approche qui prend en compte la préservation de la santé du consommateur final de ce genre de produit. « Lorsque le maïs est déclaré non conforme, nous ne sommes pas sûrs que le producteur ou le commerçant ira le détruire ou le jeter. Il faudrait faire en sorte qu’il y ait une coordination entre les structures de contrôle en vue d’empêcher que de tel produit soit réintroduit dans les canaux de distribution », suggère-t-il.

En somme, imprimer une certaine rigueur dans le contrôle du maïs, c’est préserver la santé de la population contre toutes formes d’intoxication alimentaire. Souleymane Soudré raconte la mésaventure d’un opérateur économique burkinabè, une des nombreuses victimes de l’aflatoxine dans le milieu des affaires. « Il avait obtenu un gros marché de maïs auprès d’un industriel. Pour honorer la commande, il a contracté de gros crédits en banque en hypothéquant ses maisons.

Dr Adama Néya est angoissé après la découverte des forts taux
de contamination du maïs.

Au moment de la livraison, le client a fait tester le maïs et a constaté qu’il est contaminé par l’aflatoxine. Du coup, il refuse de prendre. L’opérateur économique qui ne savait plus à quel saint se vouer est venu me voir pour savoir la conduite à tenir, vu qu’il avait un gros crédit et une soixantaine d’employés à sa charge », témoigne-t-il. Agroserv industrie SA est une entreprise de transformation du maïs en farine, en semoule et en son. Le directeur général de cette société, Siaka Sanon, déclare que son entreprise ne prend pas n’importe quel maïs. Pour ce faire, elle s’approvisionne auprès des organisations paysannes à travers des contrats de production lui garantissant la qualité du maïs.

Parmi ses fidèles fournisseurs de maïs sain, figurent en bonne place la Coopérative des entrepreneures agricoles de Kouremangafesso (CFEA/K) dans la commune rurale de Karangasso-Vigué et l’Union provinciale des professionnels agricoles (UPPA) du Houet. Le secrétaire général de l’UPPA-Houet, Soumaïla Sanon avoue que les membres de l’union ne produisent que du maïs sain, grâce aux formations reçues dans le cadre de la lutte contre les aflatoxines au Burkina.

Le chemin a été certes long mais vu les résultats constatés aujourd’hui, il se réjouit du professionnalisme des membres qui, non seulement utilisent le produit aflasafe BF01 dans le traitement des champs mais aussi ont adopté les bonnes pratiques agricoles de récolte et de post-récolte. Agroserv dispose en outre d’un laboratoire en son sein qui lui permet de vérifier à tout moment le taux d’aflatoxine dans le maïs qui entre dans son usine. A écouter Siaka Sanon, son entreprise est certifiée ISO 9001 version 2015 depuis février 2022.

Preuve, selon lui, qu’Agroserv est une entreprise citoyenne qui se soucie de la santé de la population. « Nous avons remarqué que le maïs tout venant ne règle pas le problème de l’aflatoxine. Presque 80% du maïs que nous achetons avec les commerçants est contaminé à l’aflatoxine alors que 90% du maïs acheté avec les coopératives dont les membres ont été formés sur les bonnes pratiques agricoles est sain.

Cela veut dire que le maïs tout venant, les commerçants l’achètent avec les producteurs qui ne sont pas sensibilisés aux bonnes pratiques agricoles », atteste-t-il. Agroserv industrie ravitaille les Brasseries du Burkina (BRAKINA) en gruits de maïs, une des matières de base dans la fabrication de la bière. Avant d’en arriver là, la BRAKINA préférait importer sa matière première du Brésil et d’Argentine au détriment de la production nationale. Pour Adama Néya, le politique ne pouvait pas comprendre que ce refus n’était pas un boycott au maïs local mais plutôt à cause de sa mauvaise qualité. Le Burkina étant en mesure de produire du maïs conforme aux normes de l’UE, la BRAKINA ne trouve plus d’inconvénient à s’approvisionner sur place.

Ouamtinga Michel ILBOUDO

omichel20@gmail.com