Dr Djibril Yonli, maître de recherche en malherbologie : « La graine du Striga peut survivre pendant 14 ans dans le sol »

Dr Djibril Yonli : « la capacité de production d’un seul pied de Striga est de plus de 100 000 graines ».

Plante parasite, le Striga cause chaque année d’énormes pertes de rendement aux producteurs agricoles. Malgré les multiples luttes, l’espèce résiste toujours. Dans cet entretien accordé à Carrefour africain, Dr Djibril Yonli, chercheur à l’Institut national de l’environnement et de recherche agricole (INERA) et maître de recherche en malherbologie, donne des éclaircissements sur cette plante, ainsi que les mécanismes pour y faire face.

Carrefour africain (C.A.) : Qu’est-ce que le Striga ?

Djibril Yonli (D.Y.) : Le Striga est une plante parasite qui attaque les cultures hôtes par les racines. Il y a deux types de plantes parasites. Celles qui attaquent les cultures par la partie aérienne et celles qui le font par le système racinaire comme le cas des espèces de Striga. Depuis plus d’une dizaine d’années, un inventaire d’espèces a permis de répertorier 13 espèces de Striga au Burkina Faso. Parmi ces espèces, deux affectent vraiment la production agricole. Il y a une qui attaque les cultures céréalières qu’on appelle Striga hermonthica et une autre qui assaille les légumineuses, dénommée Striga gesnerioides. Ce sont les deux espèces qui sont les plus répandues et qui affectent considérablement la production agricole.

C.A. : Quelles sont les zones les plus affectées par le Striga au Burkina Faso ?

D.Y. : En termes de distribution géographique, les espèces de Striga se retrouvent partout au Burkina Faso, mais avec une forte infestation et une sévérité plus élevée dans les zones autres que celles cotonnières. Si on prend le Plateau central, le Sahel et l’Est, ce sont vraiment les zones de prédilection du Striga. A l’Ouest, on trouve parfois des poches de forte infestation, mais l’aire de distribution avec une forte densité n’est pas aussi élevée que ça. Sinon, de nos jours, dans toutes les localités du Burkina Faso, on retrouve les espèces de Striga.

C.A. : Cette herbe cause d’énormes soucis aux producteurs agricoles. Quel est son impact sur les rendements ?

D.Y. : Son impact sur l’agriculture est catastrophique. Quand une parcelle est fortement attaquée, les études ont montré que les pertes peuvent aller de 40% jusqu’à 100%. Il y a une étude qui a été faite depuis les années 2006 et qui avait montré qu’au Burkina Faso, les pertes de rendement étaient de 700 000 à 800 000 tonnes pour le sorgho et le mil. Des études antérieures ont aussi montré que quand on voit le Striga apparaître, c’est que 75% des pertes sont déjà réalisés. Cela signifie que dans une parcelle, s’il y a 100 kilogrammes de pertes, c’est que 75 kilogrammes sont perdus avant même que le producteur ne se rende compte de la présence du Striga.

C.A. : Quelles sont les spéculations les plus sensibles aux attaques du Striga ?

D.Y. : Comme on a deux types d’espèces de Striga, les cultures qui sont fortement affectées par le Striga hermonthica sont d’abord le sorgho, ensuite le mil et le maïs et en quatrième position, le riz pluvial. Par rapport au Striga gesnerioides, c’est essentiellement le niébé que l’espèce affecte.

C.A. : Y a-t-il des méthodes de lutte efficaces contre le Striga ?

D.Y. : Les mécanismes de lutte, il y en a dans tous les domaines. Dans les pratiques culturales, il y a d’abord l’arrachage et le sarclage. Mais il faut le faire à temps avant la floraison des plantes de Striga. C’est tellement complexe qu’après avoir arraché ces espèces, il faut les mettre hors de la parcelle et les brûler. C’est ce qui est recommandé. Il y a aussi la fertilisation qui est recommandée dans toutes les pratiques culturales. Certes, la fertilisation ne tue pas le Striga, mais elle permet de minimiser l’impact de la plante sur la culture hôte. Actuellement, la lutte prometteuse est celle génétique où on cherche à développer des variétés résistantes. Mais là aussi, ça piétine toujours parce qu’il y a beaucoup plus de variétés tolérantes que de variétés résistantes. La variété tolérante permet à la plante parasite d’émerger, mais elle ne peut pas affecter sa production potentielle. Alors que les variétés sensibles vont permettre à la plante parasite d’émerger, mais ensuite sa production est fortement affectée. Concernant les variétés résistantes, elles ne permettent presque pas d’émergence. Ou bien quand la plante parasite va émerger, ce sera tellement faible qu’elle ne peut pas impacter la production. Actuellement, il y a des variétés résistantes qui ont été développées, mais seulement, leur goût n’est pas bien apprécié des consommateurs. C’est le cas actuellement de la variété de sorgho N13 que j’ai expérimentée mais qui, malheureusement, ne va pas en termes organoleptique. Donc, ce sont les variétés tolérantes qui sont beaucoup développées. Alors qu’elles permettent à la plante parasite d’émerger avec la capacité de production qui va de 100 000 à 500 000 graines par pied. Cela fait que le stock de la plante parasite s’augmente avec les variétés tolérantes. C’est pourquoi la recherche conseille d’utiliser les variétés résistantes. En tout, il y a beaucoup d’activités de recherche qui sont menées pour mettre au point des variétés résistantes, mais on n’est pas encore au bout du tunnel.

C.A. : Est-ce à dire que l’élimination du Striga au Burkina Faso reste une lutte de longue haleine ?

D.Y. : Oui. Son éradication nécessite vraiment des moyens colossaux. Par exemple, l’histoire a montré que les Etats-Unis ont eu le même problème de Striga, mais ils sont arrivés à vaincre cette espèce-là. Ce qu’actuellement la recherche conseille, c’est de faire une lutte intégrée. C’est-à-dire qu’il ne faut pas s’appuyer sur une seule méthode de lutte et penser que l’on viendra à bout de cette plante. La complexité est liée aux spécificités biologiques du Striga, notamment la grande capacité de production d’un seul pied et la capacité de survie de ses graines dans le sol. La graine peut survivre près de 14 ans dans le sol. L’autre aspect est lié au fait que l’espèce apparaît très souvent dans les parcelles quand le producteur a déjà fini ses cycles de sarclage. Le producteur est déjà fatigué et c’est en ce moment que le Striga émerge. Au départ, l’émergence se fait pied par pied et cela donne l’impression que l’infestation ne pourra pas affecter la production. Mais au final, l’espèce se retrouve partout. Et là, c’est trop tard. Le Striga est donc une espèce qui n’est pas compétitive.

C.A. : Qu’en est-il de la lutte chimique ?

D.Y. : Il y a des produits chimiques qui peuvent être utilisés. C’était le cas aux Etats-Unis où ils ont utilisé un système de pompage dans le sol. C’est du gaz qu’il faut pomper dans le sol qui va entraîner ce qu’on appelle la germination suicidaire des graines du Striga. Non seulement il faut pomper avec un matériel très sophistiqué, mais aussi, il faut, après cela, couvrir la surface du sol avec du plastique pour que le gaz ne s’échappe pas. Cette technique est très coûteuse pour nos producteurs.

C.A. : Certains producteurs soutiennent que l’utilisation en grande quantité des engrais minéraux dans un champ permet de combattre le Striga. Partagez-vous cet avis ?

D.Y. : C’est la fertilisation de façon générale. En plus des engrais minéraux, il y a aussi la fumure organique. Leur application va amoindrir l’infestation et permettre à la plante de produire comme si de rien n’était. Le producteur va constater que même les quelques pieds de Striga qui vont émerger n’arrivent pas à affecter sa production. Parce qu’il y a des nutriments qui sont compensés par la fertilisation. Donc le prélèvement des nutriments occasionnés par la plante parasite sera compensé par la fertilisation apportée. En ce moment, la plante hôte ne souffre pas.

C.A. : Peut-on dire qu’avec les multiples luttes, le Striga est en train de reculer de nos jours au Burkina Faso?

D.Y. : La situation s’empire, parce que c’est une lutte de longue haleine. Il faut pratiquer plusieurs méthodes sur la même parcelle, pendant plusieurs années avant d’observer les effets. Alors que très souvent, le producteur veut qu’on vienne avec un produit, qu’on l’applique et il a le résultat. Pour les graines de Striga, ce n’est pas le cas. La première année, l’on peut voir un seul pied émerger dans le sol, mais la capacité de production de ce pied va à plus de 100 000 graines. Cela fait que l’année prochaine, vous avez des centaines de pieds qui vont émerger. Donc, le stock semencier ne fait qu’augmenter au fil des années. Si bien que pour arriver à bout de l’espèce, il faut appliquer la méthode pendant plusieurs années. Les méthodes de lutte intégrée contre le Striga pendant trois ou cinq ans, ne peuvent pas permettre de voir les effets escomptés. Il faut aller au-delà, voire une dizaine d’années. C’est souvent cette endurance que nos producteurs n’ont pas et qui s’explique aussi par la modestie de leurs moyens.

C.A. : La complexité de la lutte est-elle liée à l’insuffisance des moyens ou au non-respect des règles par les producteurs ?

D.Y. : Ce sont les deux à la fois. Certains producteurs sarclent et laissent les pieds arrachés sur la même parcelle. Alors que la plante de Striga a une capacité qui fait que dès l’apparition de la fleur, même si on l’arrache, elle continue le cycle de production des graines. L’autre aspect est que beaucoup de producteurs ne savent pas que le Striga se reproduit par les graines. Parce que les graines sont tellement minuscules qu’on ne les voit pas. En outre, lorsque les graines arrivent à maturité, les capsules s’ouvrent. Les graines sont lâchées et le plant est toujours vert. Il suffit de chercher à stopper au moins la production des graines et continuer à lutter contre ce qui est dans le sol.

Entretien réalisé par Mady KABRE

dykabre@yahoo.fr