Ruée vers le foncier dans le Ziro : Une poudrière en gestation

A l’image de ce terrain clôturé, ils sont nombreux à immobiliser des milliers d’hectares dans le Ziro, sans rien produire.

La province du Ziro, dans la région du Centre-Ouest, est par excellence une zone très convoitée pour ses terres fertiles. Ce faisant, de nombreux migrants s’y sont installés depuis des décennies, à la recherche d’une vie meilleure. Par la suite, ce sont les agrobusiness men qui se sont invités dans la danse en s’accaparant des milliers d’hectares de terres. De nos jours, certains autochtones vivent dans la précarité par manque de terres cultivables. Au regard de cette situation, les risques d’un conflit foncier dans un futur proche ne sont pas à exclure.

Aujourd’hui, les terres font partie des propriétés qui se vendent à prix d’or au Burkina Faso. Pourtant, la terre n’est pas à vendre, dit-on dans certains milieux sociaux. Cette évidence semble être foulée aux pieds dans la province du Ziro. Dans presque toutes ses communes, les terres sont vendues à tour de bras. Adama Nessao est un ancien conseiller municipal de Tiaré, à quelques encablures de Sapouy. Selon lui, le problème des terres est devenu une  préoccupation majeure dans son village. « Les acheteurs des terres viennent en majorité de Ouagadougou. Généralement, ils nous disent qu’ils vont en retour construire un barrage ou des routes pour la population. Le plus souvent, ils prennent entre 50 et 100 hectares. Et une fois qu’ils ont ces superficies, achetées parfois entre 30 000 et 40 000 F CFA l’hectare, ils bornent l’espace et disparaissent du village », raconte-t-il. Au fil des ans, indique M. Nessao, les propriétaires terriens ont cédé des milliers d’hectares à tel point qu’aujourd’hui, le  manque de terres cultivables est devenu sérieux.

A en croire l’ex-conseiller de Tiaré, c’est à partir de 2010 que la vente des terres a commencé. Sinon, avant cette date, note-t-il, ce sont des dons qu’on faisait aux migrants en vue de leur permettre de produire pour leur subsistance. Aujourd’hui, ceux-ci et les autochtones sont devenus presque des parents, vivant en harmonie. « A partir de 2010, de nouveaux types de personnes sont apparus et  ont mis l’argent en jeu. Ils sont arrivés à corrompre facilement les propriétaires terriens », souligne Alazouma Adama Nessao. Il reconnait que dans leur village, les gens ont beaucoup vendu la terre. « Même moi, je ne peux pas dire avec exactitude la superficie que j’ai vendue. Heureusement que ma famille en a toujours, sinon il y a certains qui n’ont plus grand-chose », mentionne-t-il.

Depuis ces dernières années, avec la situation sécuritaire qui a engendré des Personnes déplacées internes (PDI), le problème de terre se pose avec acuité. En effet, des autochtones installent les PDI sur certains terrains déjà achetés. Ce qui n’est pas du goût des propriétaires, puisqu’ils ont acquis leurs papiers auprès de la mairie. « Aujourd’hui, c’est avec beaucoup de regret que nous constatons les conséquences de la vente des terres, mais c’est déjà trop tard », admet Adama Nessao.

On rencontre dans presque toute la province du Ziro, des milliers d’hectares clôturés et abandonnés

Des autochtones sans terre

Le souci des autochtones réside dans le fait que certains terrains n’ont jamais été mis en valeur depuis leur acquisition. Selon Adama Nessao, les autochtones se voient très souvent interdits de s’aventurer sur ces espaces pour quoi que ce soit. « Même les noix de karité ou le néré, nous n’avons plus le droit de les cueillir dans ces forêts », déplore-t-il.

Il ne manque pas de signaler que d’autres acheteurs sont effectivement installés sur leurs sites pour travailler mais ils ne sont pas nombreux. Par contre, relève Adama, il y en a qui reviennent à l’insu des autochtones pour revendre ce qu’ils ont acheté. « Notre souhait est que le gouvernement interdise formellement la vente des terres au Burkina Faso car, tôt ou tard, ça va s’exploser », prévient-il. A l’écouter, des conflits naissent parfois entre propriétaires terriens et acheteurs et finissent devant les tribunaux. « Lorsqu’ils nous convoquent en justice, ils gagnent toujours les procès.

Seulement, ils ne peuvent pas transporter la terre chez eux. Ils sont donc obligés de cohabiter avec nous », relate M. Nessao. Convaincu que les propriétaires terriens sauront toujours se défendre, il estime pour sa part que les vrais perdants sont les acheteurs. Selon cet ancien conseiller, le souhait des habitants de son village est le retrait pur et simple des centaines d’hectares de terres achetées et non mises en valeur. « Certains veulent faire de la spéculation foncière en revendant cher ce qu’ils nous ont pris à vil prix », dénonce-t-il.

A la mairie de Sapouy, les textes n’interdisent pas aux particuliers de vendre leurs terres

Le Conseiller villageois de développement (CVD) de Tiaré, Issaka Nessao confirme sans détour la vente à outrance des terres dans son village. Selon lui, ce sont des milliers d’hectares qui sont déjà vendus. Et de ces terres, peu sont réellement exploitées. Mais comment sont-ils arrivés à acheter autant d’hectares de terrains ? A cette question, Issaka Nessao signale que les acheteurs ont des démarcheurs depuis Ouagadougou qui viennent les embrouiller. « Au début de 2010, l’hectare se vendait à 20 000 F CFA et maintenant, il est passé à plus de 500 000 F CFA », informe-t-il. Issaka reconnait avoir lui-même vendu au moins 50 hectares à l’époque et plus de dix ans après, ils n’ont pas encore été mis en valeur par leurs acheteurs.

La moitié du village déjà vendu

« Pourtant, lorsque nous leur demandons l’autorisation de cultiver sur ces terres, ils refusent catégoriquement. C’est là que commencent les grincements de dents car, ces acheteurs nous ont flattés », regrette Issaka Nessao. Aujourd’hui, révèle-t-il, son village est vendu à moitié et c’est vraiment un souci pour les habitants. L’idée qui a germé en eux est de procéder à des retraits de terrains vendus.

Une initiative qui ne sera pas du tout une mince affaire. Pourtant, clame Issaka, il le faut. Sur ce point, lui et ses frères comptent entreprendre des démarches auprès des autorités. « En réalité, tous ces acheteurs nous ont roulés dans la farine, en nous faisant croire qu’ils vont réaliser des infrastructures socioéconomiques pour le village. Mais jusqu’à aujourd’hui, même pas une case n’a été réalisée par eux », s’offusque-t-il.

L’ancien conseiller municipal de Tiaré, Alazouma Adama Nessao, indique que le problème des terres est devenu une préoccupation majeure dans son village

Kation, village relevant toujours de la commune de Sapouy, vit également sous l’emprise de la spéculation foncière. L’ex-conseiller, Sediacon Nacro, confirme que son village rencontre de sérieux problèmes de terres en ce moment. Le drame, dit-il, est que certains ont acheté les terres depuis environ 20 ans et ne se sont plus jamais manifestés. Ce faisant, certains propriétaires terriens ont cru que les intéressés ne vivent plus ou ne veulent plus revenir. Par conséquent, il arrive que des autochtones revendent des terrains qui avaient déjà été achetés. « Ces cas sont nombreux dans notre village, puisque à chaque fois le premier acheteur refait surface et réclame son terrain », confie M. Nacro. Dans le temps, explique-t-il, en tant que conseiller, je m’interposais pour que les gens ne vendent pas les terrains. C’est pourquoi, beaucoup ont préféré le faire à son insu. L’intervention du conseiller n’est sollicitée qu’en cas de litige. « Je n’ai jamais vendu un seul hectare de terre, mais chaque jour je dois intervenir dans des conflits fonciers », souligne l’ex-conseiller de Kation.

Il explique que son père qui était le chef du village n’a jamais vendu la terre mais la cède plutôt gratuitement pour des travaux champêtres. Actuellement, Sediacon Nacro dispose d’environ 100 hectares hérités de son défunt père qu’il exploite à souhait avec ses frères.

Avec l’avènement des déplacés internes, il dit négocier certains terrains vendus pour leur donner à cultiver attendant. Si certains propriétaires sont compréhensifs, d’autres par contre ne veulent voir personne sur leurs terrains, selon M. Nacro.

Adama Nessao, CVD de Tiaré, estime que la moitié du village est déjà vendu.

Pour sa part, Amadou Lingani, Directeur provincial (DP) en charge de l’agriculture du Ziro précise que ceux qui achètent les terres dans sa province ne sont pas seulement les agrobusiness men. Il y a aussi les agences immobilières qui ont également mis le pied dedans et prennent d’importantes superficies. Pour ce qui concerne ceux qui viennent dans l’optique de faire de la production agricole, il estime qu’il y a deux façons de les apprécier. Il y a d’abord ceux qui prennent de grosses parcelles et qui ont la volonté de produire mais par manque d’accompagnement ont échoué et abandonné.

 

Une démarche incongrue

« Parmi eux, il y a beaucoup qui font du bon boulot sur le terrain. C’est grâce à eux que la province du Ziro se distingue dans la production des tangelos, de la papaye et bien d’autres fruits. Ils contribuent à l’atteinte de la sécurité alimentaire », estime le DP Lingani. Ensuite, poursuit-il, il y a ce deuxième groupe à l’aspect négatif. Il s’agit de ceux qui mobilisent plusieurs hectares et qui ne les valorisent pas. Pendant ce temps, certains autochtones n’ont presque plus rien pour faire de la production agricole. Parmi les nouveaux propriétaires terriens, il y en a qui louent leurs espaces à ceux qui désirent produire. Les plus sociables laissent toujours les autochtones continuer à exploiter leurs propriétés.

Christophe Nama est le chef de service domanial et foncier de la mairie de Sapouy. Tout comme les autres acteurs, il reconnait que le phénomène de la vente des terres à Sapouy a pris des dimensions très inquiétantes. En plus des agrobusiness men, dit-il, il y a aussi les agences immobilières qui bousculent. Christophe Nama précise que chaque jour, on ne fait que constater des ventes illicites de grandes superficies. A priori, ces terrains sont vendus à but agricole mais parfois, on est bien loin du compte car beaucoup ne sont pas mis en valeur, aux dires de M. Nama. Aujourd’hui, la réalité est implacable, selon lui, car les autochtones n’ont plus de terres pour eux-mêmes. Cela constitue un véritable problème vécu dans la commune de Sapouy.

L’ex-conseiller de Kation, Sediacon Nacro, confie avoir de sérieuses difficultés avec l’avènement des PDI

Concernant l’idée des autochtones de contraindre les acheteurs à leur rétrocéder les terres, Christophe Nama dit trouver cette démarche incongrue et même impossible. Pour lui, ceux-ci ont librement vendu leurs terres et les acheteurs possèdent des documents en bonne et due forme. « En vertu de quoi on peut leur intimer l’ordre de rétrocéder ce qu’ils ont acheté », s’interroge-t-il.

A l’entendre, hormis la sensibilisation, les autorités ne peuvent pas s’immiscer dans des affaires privées. Par rapport à ceux qui achètent des parcelles et qui les revendent, M. Nama soutient que la mairie n’est pas censée être au courant, même si par la suite les documents s’y font. « Il faut aussi noter que les documents de la mairie ne donnent pas le plein droit à l’acheteur.

En effet, ce sont des documents établis  au nom du propriétaire terrien et après ils font la mutation au nom de l’acheteur », précise l’agent domanial. Cette mutation est conditionnée par  la superficie.

Le DP en charge de l’agriculture du Ziro, Amadou Lingani, soutient que certains autochtones n’ont presque plus de terres pour produire

Pour les espaces de plus de  50 hectares, clarifie-t-il, cela n’est plus de la compétence du conseil municipal. Pour lui, tous ceux qui achètent des terrains dans la commune de Sapouy n’ont pas forcément des documents. Et c’est ce qui crée sans doute les grincements de dents.

François KABORE