Soldats ivoiriens détenus au Mali : Chantage sur fond de règlement de compte

1- La présence des militaires ivoiriens à Bamako, sous mandat de l’ONU, ne convainc pas la partie malienne

La détention de 46 soldats ivoiriens au Mali, soupçonnés d’être des  mercenaires par le pouvoir militaire à Bamako, tourne au bras de fer entre les deux pays, à mesure que le temps passe. La junte malienne conditionne désormais la libération des 46 infortunés à l’extradition de personnalités maliennes vivant en Côte d’Ivoire et sous mandat d’arrêt international. Malgré la médiation togolaise, de certains chefs d’Etat de la sous-région et de  leaders religieux maliens, c’est  le statu quo…

Entre Bamako et Abidjan, c’est loin d’être le parfait amour. Déjà que l’arrivée au pouvoir des militaires à Bamako en 2020 n’était pas bien perçue par  Abidjan. La détention de 49 soldats ivoiriens à Bamako, depuis le 10 juillet  est venue envenimer les choses. Le Mali les accuse d’être des mercenaires alors que les autorités ivoiriennes assurent qu’ils y sont dans le cadre d’opérations de soutien logistique à la Mission des Nations unies au Mali, la  Minusma.  A la mi-août, ils ont même été accusés de  tentative d’atteinte à la sûreté extérieure de l’Etat  et écroués. C’est vrai qu’il y a eu un dégel de la part de Bamako qui a autorisé la libération de 3 soldates le 3 septembre dernier, pour des raisons humanitaires, mais la tension reste palpable entre les deux capitales, même si Abidjan avait vu à travers ce geste,  un bon signe.

Mais les choses sont toujours restées en l’état.  Et cela, malgré  que  dans cette affaire, l’ONU a  reconnu des dysfonctionnements  dans une note adressée au gouvernement malien et admis que  certaines mesures n’ont pas été suivies. La Côte d’Ivoire s’est, de son côté,  engagée à  respecter les procédures des Nations unies ainsi que les nouvelles règles et dispositions maliennes édictées, relatives au déploiement des forces militaires au Mali.

La situation a pris  une autre tournure, lorsque la partie malienne a conditionné la libération des soldats ivoiriens par la remise de personnalités maliennes résidant en Côte d’Ivoire et qui sont sous mandat d’arrêt international.  Il s’agit, entre autres, de Karim Keita, fils de l’ancien président Ibrahim Boubacar Keita, de Boubou Cissé, ancien premier ministre et de Tieman Hubert Coulibaly, ancien ministre des Affaires étrangères.

Pour Abidjan, cette exigence de la part de Bamako n’est rien d’autre qu’un chantage inacceptable et prouve que les soldats détenus ne sont point des mercenaires mais bien des otages. Mais la  demande de Bamako a  peu de chances d’aboutir car, la Côte d’Ivoire,  qui se veut un pays d’accueil et d’hospitalité, n’a pas pour tradition de livrer des opposants ou des dissidents étrangers à leurs pays d’origine. Face au silence de Bamako sur le sujet, des marches de protestation ont eu lieu à Abidjan.

Eviter la politique du pire

Au niveau des autorités  ivoiriennes, il faut  éviter le bras de fer,  voire l’affrontement. Voilà pourquoi, jusqu’à présent, elles privilégient la solution diplomatique.  Car pour elles, il  faut éviter la politique du pire, espérant  que la junte malienne  reviendra sur sa position. « Nous restons optimistes. Nous sommes inscrits dans cette voie du dialogue, la voie diplomatique et nous ne doutons pas un seul instant que nos militaires rejoindront leurs familles », avait  indiqué le porte-parole du gouvernement ivoirien, Amadou Coulibaly.

En plus de cette bonne disposition de la Côte d’Ivoire à privilégier le dialogue,  le Togo avait, dès la survenue du problème, accepté d’être médiateur dans cette crise, à la demande de Bamako. C’est d’ailleurs cette médiation qui a permis la libération des 3 femmes militaires. Plusieurs autres médiations sont en cours pour obtenir la libération des militaires restants, notamment celle de leaders religieux maliens et des pays comme le Nigeria ou la Guinée.

En août dernier, le président sénégalais, Macky Sall, qui assure la présidence de l’Union africaine, avait déclaré à la suite d’une rencontre avec  le président  malien vouloir trouver une solution africaine à ce contentieux dans le cadre d’une solidarité africaine.

 

Cette affaire dite des Soldats ivoiriens détenus au Mali est devenue si épineuse  que la  Communauté des Etats d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) s’en est saisie. Réunis en session extraordinaire, les chefs d’Etat  ont, sans ambages, condamné avec fermeté l’incarcération continue des soldats ivoiriens, tout en dénonçant   le chantage exercé par les autorités maliennes dans cette affaire. Ils ont surtout  demandé leur  libération sans condition. S’inscrivant toujours dans la dynamique du dialogue, les dirigeants ont convenu de l’envoi, dans les prochains jours, d’une mission de haut niveau,  composée des chefs d’Etat du Ghana, du Sénégal et du Togo, à l’effet de la libération des 46 soldats ivoiriens.

Il est à espérer que cette mission de bons offices produise des résultats escomptés pour le bien de toutes les parties. Car, que gagnent les dirigeants du Mali à vouloir instaurer un bras de fer ? Avec les bonnes dispositions de la Côte d’Ivoire, le fait que l’ONU ait reconnu  ses propres dysfonctionnements, les médiations tous azimuts, la condamnation d’une même voix des dirigeants de la CEDEAO des exigences  de Bamako et la demande de libération sans condition des soldats, on peut se poser la question. Le fait de considérer la Côte d’Ivoire comme étant à l’origine des sanctions contre le Mali n’a plus de sens, dans la mesure où celles –ci ont été levées début juillet. Ce scénario auquel on assiste semble à l’évidence, être  un règlement de compte. Les dirigeants maliens estiment que la Côte d’Ivoire n’a pas de leçons à donner au Mali, car le président ivoirien a effectué un coup d’Etat constitutionnel en s’offrant un troisième mandat.

Après la France, la CEDEAO, la MINUSMA, le pouvoir malien est en train de se mettre à dos la Côte d’Ivoire, pays voisin qui est aussi dans le collimateur des terroristes, dans un contexte où les Etats ont plutôt besoin de mutualiser leurs  efforts pour combattre l’hydre terroriste, que de s’illustrer  dans des guéguerres inutiles. L’actualité de ces dernières heures montre qu’après la Côte d’Ivoire, le Niger risque d’être le prochain client…. Chacun des deux  pays a ses raisons d’en vouloir à l’autre, mais il parait nécessaire de jouer balle à terre, à l’heure actuelle et régler cette affaire dans l’apaisement et à l’amiable. Car, en plus de partager une frontière commune, la Côte d’Ivoire n’abrite pas moins de deux millions de maliens sur son sol. Et il serait malheureux que ces pays entrent dans une logique d’affrontement.

Gabriel SAMA.