Production du compost au Yatenga : Vers une agriculture biologique et durable

Ici, les femmes PDI de Barga s’activent à livrer une commande de compost à des producteurs de Bokin. © : Rémi Zoéringré pour Sidwaya.info/Carrefour africain

De plus en plus, les producteurs de la province du Yatenga manifestent un intérêt particulier pour la fumure organique. Maraîchers pour la plupart, ils s’investissent eux-mêmes dans la fabrication de ces engrais biologiques qui ont tendance à supplanter ceux chimiques. A Ouahigouya, deux unités de compostage sont venues conforter cette marche des producteurs vers une agriculture biologique.

Dans un vaste domaine attenant au bosquet Salifou Diallo, au secteur 15 de Ouahigouya, des femmes sont à l’œuvre en cette matinée du 14 juillet 2022. Pendant que certaines piochent dans un bassin, d’autres s’activent dans le tamisage d’une matière en poudre noire. D’autres encore procèdent au conditionnement dans des sacs de 50 kilogrammes (kg).

A côté, de la matière organique, toujours en décomposition, gît dans un autre bassin. Deux tas de la même matière, couverts de bâches, sont posés à même le sol. Nous sommes dans une unité de production de compost.

Pour le moment, la production du compost se fait de façon artisanale au Yatenga. © : Rémi Zoéringré pour Sidwaya.info/Carrefour africain

Elle est la propriété des femmes déplacées internes qui ont fui Barga, commune située à une trentaine de kilomètres de Ouahigouya, du fait des attaques terroristes.

Organisées en association puis en coopérative, ces femmes avaient pour activité principale le compostage dans leur commune d’origine. Ne voulant pas rester oisives dans la localité d’accueil, elles ont décidé de poursuivre ce qu’elles savent le mieux faire, c’est-à-dire, la production de la fumure organique.

« Quand nous sommes arrivées à Ouahigouya, nous avons fait six mois sans travail. Comme nous produisions le compost à Barga, nous avons jugé nécessaire de poursuivre dans la même lancée», indique la présidente de la coopérative Rilg Tenga des femmes déplacées de Barga, Salimata Ganamé.

La présidente de la coopérative Rilg Tenga, Salimata Ganamé : « Nous certifions que notre engrais est de très bonne qualité ». © : Rémi Zoéringré pour Sidwaya.info/Carrefour africain

Grâce au soutien d’une bonne volonté qui leur a cédé une portion de sa ferme et à un prêt obtenu auprès des Groupements Naam, les femmes arrivent à démarrer leur activité. Au nombre de 25 pour le moment, elles ne sont qu’à leur quatrième mois de production d’engrais organique.

Selon Salimata Ganamé, l’unité fait sortir 350 sacs, soit 17 500 tonnes de compost, par production. Alors que le temps mis entre la décomposition des matières premières et le produit fini est de près de deux mois. Ces matières premières, révèle-t-elle, se composent, entre autres, de bouse de vache, de fiente de volaille et des feuilles de sept arbres différents qu’on arrose en permanence.

La matière est « retournée » chaque deux semaine pendant près de deux mois avant l’étape du tamisage et du conditionnement dans les sacs. Les femmes de la coopérative Rilg Tenga cèdent les 50 kg de compost à 7 000 francs CFA, soit 140 mille francs CFA la tonne.

Pour le moment, la production du compost se fait de façon artisanale au Yatenga. © : Rémi Zoéringré pour Sidwaya.info/Carrefour africain

« Un sac peut être appliqué dans 140 poquets pour ceux qui pratiquent le Zaï. Pour un hectare, nous conseillons deux tonnes. Là, on n’a plus besoin d’associer l’engrais chimique », recommande Mme Ganamé. A l’entendre, vu l’aridité des sols au Nord, une tonne de compost ne sera pas suffisante pour un champ d’un hectare.

Rêve d’un compost en granulés

En ce qui concerne l’écoulement de leur engrais, les femmes disent ne pas avoir d’inquiétude car toute leur production se fait sur commande.

Ce 14 juillet, elles s’activent à satisfaire une commande de 700 sacs au profit des producteurs de Bokin, dans la province du Passoré.

« Le Programme d’appui à la promotion de l’entrepreneuriat agricole (PAPEA) nous a permis de travailler avec les clusters. Donc l’écoulement de notre produit est rapide et nous n’avons pas d’invendus », se réjouit Mme Ganamé.

Son rêve est de fabriquer du compost en granulés à l’image de l’engrais NPK, si toutefois les moyens suivent.

Pour le technicien d’agriculture, Boukary Tamboura, les sept plantes que les femmes associent à leur compost contribuent à la régénérescence du sol. © : Rémi Zoéringré pour Sidwaya.info/Carrefour africain

Boukary Tamboura est le chef d’Unité d’appui technique d’agriculture qui encadrait les femmes à Barga. A Ouahigouya, elles continuent de bénéficier de son appui technique qui consiste à leur donner les rudiments pour obtenir un compost de qualité.

« Beaucoup de producteurs ont reconnu les bienfaits du compost et se tournent de plus en plus vers lui. Un jour, la fumure organique va remplacer l’engrais chimique dans la région du Nord parce qu’elle est de qualité et moins couteuse », atteste M. Tamboura.

A Gourga, à la périphérie-est de la cité de Naaba Kango, une autre unité s’attelle également dans le compostage. Dans un espace bien clôturé, l’entreprise de rétablissement et de gestion du couvert végétal excelle dans la production de la fumure organique depuis 2019.

L’unité de Cheick Sawadogo produit environ 100 tonnes de compost par mois. © : Rémi Zoéringré pour Sidwaya.info/Carrefour africain

L’initiative est de Cheick Sawadogo, un passionné du monde agricole qui a loué le terrain pour son activité.

Ce 13 juillet, son site est désert de monde. Dans sept grands bassins, des matières premières, dont certaines proviennent de la Côte d’Ivoire, sont en décomposition tandis que dans le huitième, est entreposé un tas du produit fini.

Sous deux hangars en tôle, des sacs de 50 kg empilés les uns sur les autres, attendent preneurs.

A entendre le superviseur de l’unité, Souleymane Sawadogo, sa structure produit, à temps plein, près de 100 tonnes d’engrais biologique en l’espace d’un mois et demi.

La plupart des employés sont des contractuels, notamment des Personnes déplacées internes (PDI) qui sont actuellement dans leurs champs. Chez les Sawadogo, le sac de 50 kg de compost coûte 15 mille francs CFA, soit 300 mille F CFA la tonne.

La mévente constitue un véritable souci pour l’unité de Cheick Sawadogo. © : Rémi Zoéringré pour Sidwaya.info/Carrefour africain

Pour un champ d’un ha, ils conseillent d’utiliser une tonne, soit 20 sacs.

« Comme l’engrais biologique restaure le sol, on peut appliquer moins d’une tonne la campagne suivante si les moyens font défaut », mentionne Souleymane.

Concernant les prix, M. Sawadogo estime qu’ils sont abordables, contrairement aux engrais chimiques dont le sac avoisine 35 mille F CFA sur le marché. Seulement, il déplore une certaine lenteur dans l’écoulement de leur compost.

Actuellement, informe-t-il, 250 tonnes d’engrais biologique sont stockées sous les hangars de leur entreprise.

Les sacs étant biodégradables, certains ont commencé à être vaincus par les intempéries.
La production des engrais biologiques est loin d’être un long fleuve tranquille. En effet, les deux unités sont confrontées à des difficultés qui plombent parfois leurs ambitions.

Ces soucis vont de l’insuffisance d’eau et du matériel au manque de sites propres aux deux unités. Chez les dames, l’insuffisance des bassins les oblige à produire à même le sol.

L’engrais chimique en perte de vitesse 

Elles ne disposent d’aucun hangar pour leur permettre de produire dans de bonnes conditions. Du côté de M. Sawadogo, le gros défi demeure pour l’instant l’écoulement du stock d’engrais existant. La plupart des producteurs du Nord étant des maraîchers, ils sont rares à ne pas posséder de fosses fumières dans leurs exploitations.

Le SG de la CRA du Nord, Oumarou Kindo : « Désormais, nous voulons mettre l’accent sur la fumure organique ». © : Rémi Zoéringré pour Sidwaya.info/Carrefour africain

Aïdara Ouédraogo est membre de la coopérative Wend Panga basée à Somyaga, au sud de Ouahigouya. Selon lui, sa coopérative, forte de près de 300 membres, utilise de plus en plus la fumure organique produite par elle-même.

Car, avance-t-il, les engrais chimiques sont devenus inaccessibles du fait de leur coût exorbitant. Même son de cloche chez Adama Bélem, producteur dans la commune de Oula, lorsqu’il affirme qu’il préfère se tourner maintenant vers la fumure organique.

« Parfois, j’achète les engrais chimiques auprès des agents d’agriculture ou à défaut au marché. Mais cette année, ils sont trop cher » se plaint-il.

Malgré la distribution des engrais chimiques à prix subventionnés aux producteurs, rapporte le Secrétaire général (SG) de la Chambre régionale d’agriculture (CRA) du Nord, Oumarou Kindo, cela n’arrive pas à couvrir leurs besoins.

C’est pourquoi beaucoup ont jeté leur dévolu sur le compost. Au-delà des deux unités spécialisées dans le compostage, mentionne-t-il, la CRA a formé des producteurs aux techniques de production des engrais biologiques.

« On sensibilise les producteurs à aller vers le compost car il permet de restaurer les sols et d’avoir des aliments sains. Par contre, l’utilisation des engrais de synthèse détruit tout ce qui est micro organisme dans le sol », relève M. Kindo.

La Directrice provinciale (DP) en charge de l’agriculture du Yatenga, Anne Tapsoba, renchérit : « Le compost améliore les propriétés physiques, chimiques et biologiques du sol, permet la rétention d’eau pendant une longue durée et augmente les rendements agricoles ».

Pour la DP en charge de l’agriculture du Yatenga, Anne Tapsoba, la mévente du compost est due à l’insécurité qui a causé la réduction des superficies cultivables. © : Rémi Zoéringré pour Sidwaya.info/Carrefour africain

A cet effet, souligne-t-elle, sa direction accompagne les unités dans le renforcement de leurs capacités pour une production d’engrais biologique de qualité. C’est pourquoi, elle invite les producteurs à s’y intéresser car les engrais chimiques offerts par l’État demeurent insuffisants.

« Actuellement, nous avons reçu un dépôt de 68 tonnes de NPK et de 27, 850 tonnes d’urée au profit des producteurs du Yatenga. La distribution se fait par agri-voucher au prix subventionné de 12 000 F CFA le sac », annonce Mme Tapsoba.

Mady KABRE