France-Niger: le bras de fer se durcit

Les manifestations au départ des troupes françaises ont été constantes à Niamey.

Alors que les militaires au pouvoir à Niamey, entameront leur troisième mois à la tête du Niger, le bras de fer entre Niamey et Paris se durcit. Entre escalades verbales et tensions diplomatiques, plus rien ne va entre les deux pays, sur fond de sauvegarde de la souveraineté de l’un et de pérennisation des intérêts pour l’autre.

Aux premières heures, après le putsch du 26 juillet 2023 à Niamey, la CEDEAO était en première ligne pour montrer son hostilité farouche à ce coup de force. Le Président nigérian, Bola Tinubu, faisait ainsi face à un cas d’école. Lui qui, quelques semaines seulement plus tôt, montrait son intransigeance face aux coups d’Etat dans l’espace sous régionale, à travers un discours musclé. C’était à l’occasion de son « intronisation » comme président en exercice de la CEDEAO.

Très vite, le premier Sommet extraordinaire des Chefs d’Etat, consacré au Niger, a décidé de sanctions très sévères contre le Niger et a lancé un ultimatum aux militaires nigériens de remettre le pouvoir au Président démocratiquement élu, Mohamed Bazoum, sous peine d’intervention militaire. Des réunions des chefs d’Etat-major des armées des pays favorables à une telle intervention se sont tenues et ont décidé des contours opérationnels d’une intervention armée, puisque le Conseil national pour la sauvegarde de la patrie (CNSP), l’organe dirigeant au Niger, n’a pas respecté l’ultimatum de la CEDEAO.

Alors que la question de cette intervention est de moins en moins audible et semble être au point mort, on assiste à une montée de la tension diplomatique entre la France et le Niger. En effet, depuis l’arrivée au pouvoir du Général Tchiani, des passes d’armes entre les nouveaux maîtres à Niamey et les autorités françaises ont eu lieu. La partie française a toujours soutenu ne reconnaitre que le Président démocratiquement élu, Mohamed Bazoum, tout en rejetant l’autorité des militaires nigériens.

Une position réaffirmée avec force par le Président Emmanuel Macron, lors de son adresse aux ambassadeurs de France, réunis pour leur rencontre annuelle à Paris. Depuis lors, la tension est encore montée d’un cran. Des manifestations quotidiennes sont organisées devant la base militaire de l’armée française à Niamey, pour demander le départ sans condition des 1 500 militaires français stationnés au Niger.

Dans la foulée, les nouvelles autorités nigériennes ont ordonné le départ de l’ambassadeur de France au Niger, après l’expiration de l’ultimatum de 48 heures, préalablement donné pour quitter le pays. Cette décision venait s’ajouter à la dénonciation, début août, par la partie nigérienne, des accords militaires liant les deux pays.

Intérêts économiques et géostratégiques

A l’analyse, l’on peut légitimement se demander pourquoi une radicalisation des positions de part et d’autre ? On peut admettre avec évidence que des divergences profondes existent entre les deux parties. Et cela soulève des questions sur les intérêts et les motivations des uns et des autres. Il revient que l’ambassadeur de France au Niger, Sylvain Itté a refusé de se soumettre à un entretien organisé par le ministère nigérien des Affaires étrangères, sans doute sur injonction de Paris.

Et cela a exacerbé la situation. Cependant, au-delà des déclarations officielles, se cachent des enjeux importants pour les deux parties. Outre la présence des troupes françaises de l’opération Barkhane, rappelées du Mali, un enjeu majeur concerne la sécurité énergétique. Le Niger est un important fournisseur d’uranium, vital pour la production d’énergie nucléaire en France.

Et dans un contexte international marqué par la crise ukrainienne et la réduction des approvisionnements russes en gaz et en pétrole, l’uranium nigérien est d’autant plus crucial. A cela, s’ajoute le contexte géopolitique actuel. Elle se caractérise par une intensification de la concurrence pour les intérêts en Afrique, avec l’émergence de concurrents tels que la Russie, la Chine, l’Iran et la Turquie.

Au regard de cette donne, la France se doit de naviguer dans cet environnement concurrentiel, tout en consolidant sa présence au Sahel. Les considérations sécuritaires et économiques se croisent donc, mettant en lumière l’importance stratégique de la région pour la France. Du côté nigérien, il s’agit pour le nouveau pouvoir de changer de paradigme en matière de coopération militaire dans la lutte contre le terrorisme.

Les Français sont présents au Niger avec 1 500 hommes, mais leur engagement franc dans la lutte contre le phénomène terroriste est pointé du doigt. Les groupes armés terroristes sont particulièrement actifs dans la bande dite des trois frontières (Mali, Burkina, Niger) et la mutualisation des efforts de ces trois pays, sans la participation française, explique la position nigérienne.

Elle est d’ailleurs soutenue par une large franche de son opinion nationale qui voit en l’attitude de la France, l’image du colon qui veut coûte que coûte se maintenir sur le sol nigérien et continuer d’exploiter les richesses nationales, tout en faisant semblant d’aider à lutter contre le terrorisme. Au-delà du Niger, il appartient à la France de revoir sa politique en Afrique et singulièrement au Sahel où sa présence militaire fait débat.

Dans cette dynamique, les récentes sorties médiatiques du président et d’autres officiels français sur le Sahel, sur l’aide française pour lutter contre le terrorisme, sonnent comme un hors-sujet. L’évolution de l’actualité dans ce bras de fer semble indiquer que le président français a compris qu’il n’avait pas le choix. Il a annoncé le retour en France de son ambassadeur et les 1 500 militaires plieront également bagage d’ici la fin de l’année 2023, tout en annonçant la fin de la coopération militaire entre les deux pays.

Gabriel SAMA.