Ignames locales du Passoré : les « yùyà » en voie de disparition

Un champ de « yùyà » à Dourou.

Une variété d’igname communément appelée « yùyà », en langue mooré ou « igname du Passoré » est produite dans la province du Passoré, région du Nord du Burkina, une zone moins arrosée et non propice à certaines cultures exigeantes en eau. Le « yùyà » diffère des autres types d’ignames cultivés dans le Sud et le Sud-Ouest du pays par la forme de ses tubercules, ses propriétés organoleptiques, ses vertus médicinales et son cycle de production. Malgré ses nombreux avantages, l’igname du Nord est moins connue des Burkinabè.

Ce mardi 13 décembre 2022, les feuilles des arbres balancent au gré du vent qui souffle sur Arbollé, une commune rurale de la province du Passoré. Des tubercules aux formes allongées et semblables aux ignames ordinaires cultivées au sud du Burkina Faso sont vendus au bord de la route. Leur commercialisation est assurée uniquement par des femmes qui squattent les abords de la Route nationale 2 (RN2) traversant la ville.

D’autres exhibent entre les bras ou sur la tête, leurs marchandises dans des plats à la recherche de clients. Zénabo Kientéga et Rasmata Ouédraogo sont des habituées de cette zone commerciale depuis une dizaine d’années. Assises à l’ombre des arbres et devant les magasins, les vendeuses de « yùyà » scrutent les véhicules qui passent et repassent. A chaque escale, les passagers sont harcelés par ces commerçantes en quête de mieux-être.

Ainsi sont-elles parvenues à faire de Arbollé, une plaque tournante dans la commercialisation de ces tubercules. Des champs sont perceptibles à la périphérie de la ville, plus précisément à Mia, l’un des deux villages producteurs de «yùyà » de la commune. Les habitants encore engourdis par le froid peinent à sortir de leurs maisons lorsque Nobila Ouédraogo prend très tôt le matin la direction de sa ferme de « yùyà », située à l’extrémité du village.

Çà et là, se dressent une multitude de buttes avec des plants soutenus par des tuteurs. Une campagne vient de s’achever et une autre commence. Il n’y a point de répit pour les producteurs de « yùyà », à l’image de Nobila Ouédraogo qui s’est remis inlassablement au travail. Des adolescents venus l’épauler s’activent à creuser le sol aride devant servir à élever les buttes. Un travail fastidieux mais qui revêt tout son sens. « En toute sincérité, le travail est dur », s’alarme Boureima Ouédraogo, producteur à Mia.

Des propos corroborés par Nobila Ouédraogo qui explique en substance comment les choses se passent : « La première des choses, c’est de creuser la terre, élever les buttes, couper les semenceaux et les placer dans des billons. Ensuite, il faut les couvrir de paille ou de tiges sèches de sorgho. Enfin, il faut fixer des tuteurs avant de mettre la fumure organique et procéder à l’entretien périodique du champ».

La relève, pas encore assurée

Le sol préparé précédant les buttes.

Un homme d’un certain âge est à pied d’œuvre dans son champ. Il se nomme Noaga Sawadogo, 87 ans. La vieillesse ne l’empêche pas de travailler. Bon an mal an, il s’accroche. Un bataillon de jeunes est venu l’aider à creuser la terre, l’étape la plus difficile à franchir. « Les forces me manquent présentement. Il est du devoir de nos enfants de prendre la relève», souffle-t-il. Au constat, la plupart des propriétaires de fermes de « yùyà» sont d’un certain âge. Ce qui peut paraître étrange et même inquiétant pour la survie de cette culture. Les jeunes hésitent encore à se lancer dans l’activité.

Noaga Sawadogo lit à travers leur comportement, une volonté manifeste de se libérer d’une corvée. « De nos jours, les jeunes veulent du concret, c’est-à-dire monter au travail le matin et empocher leur dû le soir. Or, l’entretien d’un champ de « yùyà » dure environ un an», indique-t-il. Le chef de Zone d’appui technique (ZAT) de Arbollé, Adama Ouédraogo, affiche son admiration à ces producteurs dont le combat est aussi de sauver cette culture. « Ce qu’on remarque, c’est que sa production est extrêmement difficile. Donc, il faut être vraiment courageux pour se lancer dans cette activité », soutient-il.

Un peu plus loin, la commune de Kirsi est, elle aussi, réputée dans la production des ignames locales. Là, le flambeau revient au village de Dourou, le plus gros producteur de la commune. Les fermes de « yùyà » sont visibles partout. Aujourd’hui, 13 décembre, un projet de l’Etat s’affaire à distribuer de l’argent frais aux producteurs de cette bourgade, une aide destinée à financer des activités génératrices de revenus autour du barrage Oumarou-Kanazoé. Une foule s’agite autour des détenteurs de mallettes d’argent. Les producteurs de « yuya », appâtés par le « fric », sont bien positionnés dans les rangs. Nous prenons la décision de les laisser « se battre pour leur chose », quitte à les rejoindre plus tard pour les entretiens. L’agent d’agriculture, Perpétue Dianda, obtient leur autorisation, pour visiter leurs fermes.

500 000 F CFA de recettes par an

Noaga Sawadogo estime que les jeunes veulent du concret.

Ils sont nombreux les producteurs qui s’en sortent dans cette activité. Pas plus que dans la matinée, Karim Ouandé, producteur à Dourou, a encaissé l’argent issu de la vente d’un chargement de tricycle destiné aux commerçantes de Arbollé. Les producteurs de « yùyà » ne sont certes, pas riches comme on le pense, mais ils ne manquent de rien. Pendant que les uns bradent leurs récoltes pour avoir de l’argent, chez eux, les greniers sont toujours intacts. Les recettes varient d’un producteur à l’autre avec des montants qui oscillent entre 100 000 F CFA et 500 000 F CFA par an. M. Ouandé est si fier de son travail, à tel point que l’idée d’abandonner cette culture n’a jamais effleuré son esprit.

« J’engrange entre 250 000 et 300 000 F CFA par an sans bouger d’un iota de mon village. De ce point de vue, je peux vous assurer que la production du « yùyà » est vraiment rentable », dit-il. Ce sont pratiquement les mêmes montants qui tombent dans l’escarcelle de Ousmane Panantigri, un autre producteur de Dourou. Il est même heureux de contribuer à l’approvisionnement de Arbollé en ignames locales.

« Les vendeuses de Arbollé défilent ici et repartent toujours avec des tricycles pleins», martèle-t-il. Souleymane Panantigri entretient une ferme de « yùyà » à l’intérieur de Dourou. Au-delà du simple fait que la vente lui rapporte de l’argent, ses tubercules sont, à ses yeux, des aliments bien appréciés dans les assiettes. Il n’est donc pas concevable, selon Noaga Sawadogo, de laisser cette culture disparaître.

Des animaux achetés grâce à l’argent des « yùyà », c’est l’une des preuves tangibles brandie par Noufou Ouédraogo pour attester de la rentabilité de la production. Kirsi et Arbollé sont les deux communes pourvoyeuses de «yùyà » dans le Passoré. C’est du moins l’avis du directeur provincial par intérim en charge de l’agriculture du Passoré, Sayouba Laré. « Nous avons cherché à comprendre pourquoi les autres communes n’en produisent pas, mais nous nous sommes rendu compte que c’est une bande agro-climatique allant de Arbollé à Kirsi qui est adaptée à ce tubercule », indique-t-il. Pour lui, c’est une culture un peu particulière, vu la durée de son cycle de production.

Un avenir incertain

De nouvelles buttes ensemencées avec fixation des tuteurs.

Les « yùyà » sont de différents types. Les producteurs dénombrent trois variétés sans être en mesure de coller un nom sur chacune d’elles. La connaissance de ces variétés échappe totalement aux encadreurs agricoles. Ceux-ci ont également très peu d’informations sur leur itinéraire technique de production. Les champs des paysans sont des lieux de formation pour eux. L’agent d’agriculture d’Arbollé, Adama Ouédraogo, le confesse en ces termes : « nous apprenons auprès des producteurs».

Même son de cloche chez la cheffe de service ZAT de Kirsi, Mme Perpétue Dianda. A son avis, sa culture n’étant pas pratiquée partout, aucun agent ne maîtrise parfaitement son itinéraire technique de production. « A la préparation du sol, nous sommes là pour voir comment ils creusent et élèvent les buttes et les sillons pour semer. Seulement, il n’y a pas de guide qui montre comment se fait la production», déplore Mme Dianda.

Les épisodes de sécheresse enregistrées au cours de la campagne 2020-2021 ont eu raison de nombreux champs de « yùyà». Certains ayant perdu jusqu’aux semences n’ont pas pu produire cette année. Du coup, le pronostic vital des ignames locales est fortement engagé. La baisse des superficies emblavées et du nombre de producteurs s’observe déjà sur le terrain. La recherche, quoique balbutiante, est appelée à la rescousse. Une équipe de généticiens et amélioration des plantes du laboratoire Biosciences de l’université de Ouagadougou et leurs partenaires ont déjà travaillé sur cette spéculation en 2016.

De leurs travaux, ils sont parvenus à mettre en lumière les principaux groupes variétaux conservés par les producteurs que sont le « nyù », le « waogo », le « boussa » et le « rogui ». Une enquête menée à Arbollé par ces chercheurs a permis en outre de montrer que les « yùyà » jouent plusieurs rôles à la fois, à savoir alimentaire, médicinal (traitement de diarrhée infantile, malaises après la ménopause, régulateur de tension, stimulant sexuel…) et aussi socio-économique importants. Aussi, ont-ils fait remarquer, les pratiques culturales sont très peu diversifiées selon les connaissances endogènes héritées et les moyens financiers des paysans.

Le directeur provincial en charge de l’agriculture du Passoré, Sayouba Laré, reconnaît que le travail est fastidieux.

Les principales techniques de fertilisation des sols sont l’utilisation de la fumure organique et la rotation des cultures. Mais, de plus en plus, les engrais chimiques sont sollicités. Les producteurs laissent entendre que les « yùyà » résistent beaucoup plus à la sécheresse au cas où elle n’est pas trop prolongée. De même, poursuivent-ils, ce sont des tubercules qui ne supportent pas les excès d’eau. En tant que « spécialistes » de la conservation de leur produit, ils estiment qu’un lieu propre et bien aéré le préserve de toute attaque. Mais à une seule condition : que le tubercule ne soit pas rongé par les rats et ne soit pas non plus en contact avec l’huile.

«Les parties rongées par les rats ou en contact avec de l’huile pourrissent », nous confie-t-on. L’agent d’agriculture, Adama Ouédraogo, pense que le manque d’activités génératrices de revenus dans ces zones peut aussi justifier l’émergence de cette culture. Des difficultés et pas des moindres entravent la bonne marche des activités. Parmi celles-ci figurent la vétusté du matériel de production, la divagation des animaux, les problèmes d’approvisionnement en tuteurs par manque de forêt. Face à cette situation, les producteurs demandent un soutien de l’Etat.

« A chacun de faire un effort de son côté. Ils sont en même temps agriculteurs et éleveurs. Qu’ils songent à payer eux-mêmes des clôtures avec les revenus issus de la vente de leurs tubercules », recommande Adama Ouédraogo. Mais le plus gros souci des producteurs reste les attaques parasitaires auxquelles ils sont confrontés ces deux dernières années. Il s’agit principalement de la mort suspecte des plantes. Les engrais chimiques sont d’emblée pointés du doigt. Mais des investigations plus poussées des services techniques du ministère en charge de l’agriculture pourraient mieux les situer sur l’origine de ce mal. Sans quoi, l’avenir des « yùyà » reste un gros point d’interrogation.

Ouamtinga Michel ILBOUDO

Omichel20@gmail.com