Production fourragère dans les Hauts-Bassins : un rempart contre les conflits agriculteurs-éleveurs

Un champ de Panicum qui s’épanouie bien à Farakobâ.

Jadis négligée, la culture du fourrage semble avoir le vent en poupe, de nos jours, dans la région des Hauts-Bassins. Depuis 2019, des éleveurs de neuf coopératives se sont lancés dans la production intensive du fourrage en vue d’améliorer l’alimentation de leurs animaux. Par cette activité, ils contribuent non seulement à augmenter la productivité en lait de leurs vaches en saison sèche mais aussi à juguler les conflits entre eux et les agriculteurs par le maintien du bétail dans les enclos.

En cette matinée du 12 juillet 2023, Kimidougou présente le visage d’une bourgade fantôme. Les habitants de ce hameau de culture relevant du village de Dafinso, à la périphérie-nord de Bobo-Dioulasso, dans les Hauts-Bassins, se sont vidés de leurs concessions pour se retrouver dans les champs. La campagne agricole humide bat son plein dans la région. Pendant que certains sont déjà au sarclage, d’autres s’activent toujours dans le labour et les semis. Idrissa Barry, la cinquantaine révolue, s’est installé dans la localité depuis plus de deux décennies.

Outre sa casquette d’éleveur, M. Barry est un agriculteur chevronné. Aux alentours de son domicile, des cultures de maïs et de sorgho se disputent l’espace. La particularité de Idrissa est qu’il n’est pas un simple producteur de céréales. Il évolue également dans la production du fourrage, un élément indispensable dans l’alimentation de ses bêtes. Une partie de l’espace qui ceint sa concession est occupée par le sorgho (encore appelé Grinka) et le maïs fourragers qui sont au stade de montaison.

M. Barry confie être dans la culture fourragère depuis près de 20 ans, même si elle n’est pas faite à grande échelle. Mais sa production s’est accrue ces quatre dernières années. Grâce à un récent sarclage, ses plantes fourragères ont l’air de bien s’épanouir au regard de leur physionomie. Déjà, l’éleveur-producteur s’inquiète pour les ennemis des cultures, notamment des chenilles qui ont commencé à attaquer les feuilles de ses plantes.

Pourtant, le spécialiste des cultures fourragères, Dr Souleymane Ouédraogo de l’Institut de l’environnement et de recherches agricoles (INERA) de Farako-Bâ, se veut rassurant. « Les herbacées n’ont pas besoin d’être traitées parce qu’elles ont leur mécanisme de défense contre les ennemis des cultures.

Manque d’espace de production

Quand elles sont au stade jeune, il peut arriver que des chenilles attaquent leurs feuilles mais avec les pluies, ça passe », éclaire-t-il. Là où c’est délicat, fait savoir le chercheur, c’est au niveau des légumineuses à double usage (alimentaire et fourragère) telles que le

Dr Souleymane Ouédraogo, chercheur à l’INERA/Farako-Bâ :
« Avant, les gens n’étaient pas intéressés à cultiver du fourrage ».

niébé et la dolique dont la période des semis doit être décalée vers fin juillet ou début août.

Aidé de son jeune frère Hassimi, Idrissa a une ferme volonté de produire de grandes superficies de fourrage mais le terrain lui fait défaut. En plus du Grinkan et du maïs, il expérimente aussi d’autres variétés de fourrage, à savoir le Mucuna, le niébé, le Panicum et le Brachiaria. Pour la présente campagne, M. Barry ne pourra pas semer toutes ces espèces fourragères, à cause des caprices pluviométriques.

« Le fourrage que je produis est destiné uniquement à nourrir mes vaches laitières. Il n’y en a pas assez pour la vente », signale-t-il. Son frère Hassimi est admiratif des multiples avantages que le fourrage cultivé leur offre en tant qu’éleveurs. A l’entendre, le fourrage a contribué à améliorer de façon significative la productivité de leurs vaches en lait et à le rendre disponible en toute saison.

« Une vache qui avait l’habitude de produire un litre de lait par jour en saison sèche peut désormais en fournir deux, grâce au fourrage. Nous ne souffrons plus du manque de lait pendant cette période », se réjouit-il. Mieux, renchérit-il, la production fourragère limite les conflits entre agriculteurs et éleveurs, parce qu’elle permet de maintenir les animaux sur place. Un point de vue partagé par son aîné Idrissa car, à l’écouter, ils sont nombreux les éleveurs qui pratiquent maintenant l’embouche bovine.

A Dafinso, une dizaine d’éleveurs ont emboîté le pas aux Barry dans la culture fourragère. Ils sont tous membres de la coopérative Bèdarè (prospérité en fulfuldé) de Dafinso, créée en 2016. Boureima Sidibé est l’un d’eux. Résidant à Kimidougou, il produit les mêmes variétés de plantes fourragères que les frères Barry, sur un terrain d’un hectare. Tout comme ses compères, il dit être confronté aux problèmes d’espace cultivable, à l’irrégularité des précipitations et au manque de fenils pour la conservation du fourrage. « Ce sont nos cases qui servent de lieux de stockage de notre fourrage », dévoile-t-il.

Les membres de la coopérative Bèdarè souhaitent intensifier la production du fourrage dans la zone de Dafinso. C’est pourquoi, ils plaident pour l’obtention de matériel adapté tel que les ensileuses, les broyeurs, les bâches…, de forages pour l’irrigation et de magasins pour le stockage. La rareté des espaces de production fait aussi partie de leurs préoccupations.

Avec la pression foncière, les aires de pâturage naturel sont en train de se rétrécir comme une peau de chagrin. A la lisière des concessions, à Kimidougou, des bornes implantées dans la brousse indiquent que les promoteurs immobiliers ont déjà conquis la zone. Une situation qui, selon Idrissa Barry, a réduit de façon drastique les marges de manœuvre des pasteurs et leur bétail. A l’image de la coopérative Bèdarè, huit autres coopératives de production de lait s’investissent également dans la culture du fourrage dans les Hauts-Bassins.

Selon les estimations de Hati Konaté, président de la Plateforme multi-acteurs d’innovation Lait (PIL) de Bobo-Dioulasso, près de 400 producteurs de fourrage issus des neuf coopératives sont enregistrés cette année dans le Houet. « De nouvelles personnes continuent de demander à intégrer notre organisation afin de pouvoir produire le fourrage », relève-t-il. A l’écouter, cet engouement manifeste des éleveurs pour la culture du fourrage n’est pas fortuit.

M. Konaté indique que c’est depuis 2019 que l’idée d’intensifier la production fourragère a germé et ce, à la faveur de la journée promotionnelle du lait local, organisée cette même année à Bobo-Dioulasso. En tant que responsable d’une mini laiterie, il dit être peiné de constater que lors de cette foire, le lait local n’a pas suffi pour satisfaire les besoins des transformateurs et il a fallu compléter par celui en poudre.

« Cela m’a amené à échanger avec les chercheurs de l’INERA pour avoir la conduite à tenir. Ils m’ont conseillé la culture fourragère comme porte d’entrée pour améliorer la disponibilité du lait local en saison sèche. Avec leur accompagnement, j’ai engagé toutes les coopératives de lait dans la production du fourrage », explique celui qui porte aussi la casquette de vice-président de l’interprofession lait du Burkina Faso.

L’expérimentation a commencé dans un champ-école de quatre hectares où les chercheurs ont montré aux apprenants les techniques pour produire le Panicum maximum, le Brachiaria (ruziziensis, brizantha…), le Mucuna deeringiana et la dolique (Dolichos lablab). Par la suite, rapporte M. Konaté, d’autres semences fourragères, telles que le niébé à double usage (KVX-745-11P, Teek-Songo…), le Stylosanthes (hamata, guianensis…), le Grinka, le maïs…, sont introduites.

L’objectif, pour lui, étant d’augmenter la productivité en lait des vaches, en particulier en saison sèche. « Si une vache donne par exemple trois litres de lait par jour en saison pluvieuse, notre souhait est qu’elle atteigne au moins cinq litres en saison sèche », espère-t-il. Avec cette production, l’ambition de la PIL est que le bassin laitier de Bobo-Dioulasso, puisse fournir 18 000 litres de lait par jour.

Cultiver… de l’herbe ?

Sur cette parcelle, des espèces de Brachiaria brizantha ont été pâturées clandestinement par des animaux.

Après l’assimilation du cours au champ-école, chaque participant a été invité à aller mettre en pratique ses connaissances chez lui. Ainsi, plusieurs variétés de fourrage sont cultivées partout dans le Houet sur des superficies allant de 0,5 à un hectare. Pour l’instant, ce sont les espèces fourragères à double usage comme le maïs, le sorgho, le niébé… qui sont semées, parce que les hommes mettent la priorité sur leurs grains.

Environ 100 hectares de fourrage seront emblavés cette année dans les Hauts-Bassins, selon M. Konaté. En vue d’obtenir des aliments de qualité, les producteurs sont minutieusement suivis par des techniciens. Toutefois, il y en a qui se dérobent des consignes. Hati garde encore en mémoire cette bourde commise l’an passé par un producteur de Baré, dans le Houet.

En effet, raconte-t-il, ce dernier a utilisé des herbicides pour traiter son champ de niébé fourrager qui a été totalement détruit.Alors qu’il n’en fallait pas. Une autre raison qui justifie la ruée des éleveurs vers la production fourragère est la crise sécuritaire que le pays traverse. En effet, relèvent-ils, les bergers ne peuvent plus aller partout avec les animaux pour pâturer.

Avec les agressions physiques et les vols de bétail, beaucoup préfèrent rester sur place. Selon le président de la Chambre régionale d’agriculture (CRA) des Hauts-Bassins, Moussa Traoré, beaucoup de zones sont actuellement sous menaces terroristes et des éleveurs ont dû se retrouver aux alentours des grandes villes avec leurs bêtes. Dans ces conditions, la production du fourrage devient un impératif.

Il reconnait que cette culture existait depuis longtemps mais n’était pas promue. Cultiver de l’herbe était presque inimaginable pour bon nombre de personnes. « Avant, les gens ne considéraient pas tellement cette activité, parce qu’il y avait encore la brousse pour faire paître les animaux. Mais, avec la pression foncière, il n’y a plus rien. La solution maintenant est de produire le fourrage pour conserver », déclare M. Traoré.

Son souhait est que l’Etat soutienne les producteurs car, se convainc-t-il, lorsque le fourrage est produit en grande quantité, cela va réduire les conflits entre agriculteurs et éleveurs. C’est également l’avis du Secrétaire général (SG) de la CRA, René Ouattara, qui ajoute qu’avec la culture fourragère, l’élevage sera de moins en moins extensif et la transhumance de faible amplitude.

De nos jours, la production du fourrage est en train de prendre de l’ampleur dans les Hauts-Bassins. Alors que l’INERA a introduit les semences fourragères à la station de Farako-Bâ depuis 1978, aux dires du zootechnicien, Dr Souleymane Ouédraogo. Cela fait trois décennies que lui-même s’investit dans l’amélioration de l’alimentation des animaux à travers la sélection des espèces fourragères.

A son avis, l’alimentation des animaux constitue la première préoccupation en élevage. « Même si vous arrivez à garantir la santé de l’animal et qu’on n’arrive pas à bien l’alimenter, la production en lait ou en viande ne va pas être au rendez-vous », estime-t-il. Déjà en 1993, il avait constaté que les agriculteurs éprouvaient des difficultés pour nourrir correctement les bœufs de trait.

C’est pourquoi, en collaboration avec d’autres chercheurs, il s’est intéressé aux semences de Stylosanthes, de Panicum et de Brachiaria pour combler le manque de fourrage. Or, souligne-t-il, dans la zone soudanienne, il y plus de graminées et moins de légumineuses dans les pâturages naturels. Il fallait donc les améliorer avec les légumineuses. « Pour que son alimentation soit équilibrée, l’animal a besoin de graminées qui lui apportent de l’énergie, mais aussi de légumineuses qui lui procurent des protéines», précise Dr Ouédraogo.

A l’entendre, c’est à partir de 2010 que les gens ont commencé à demander de plus en plus les semences fourragères, parce qu’avant cette période, la pression sur les ressources n’était pas élevée. Mais actuellement, beaucoup d’espèces fourragères très appétées par les animaux sont en voie de disparition.

Parmi celles-ci, le chercheur cite, entre autres, les herbacées comme Brachiaria lata (koala en mooré), le Pennisetum pedicellatum (kimbgo en mooré ou bogodalo en fulfuldé), Andropogon gayanus (mofaogo en mooré), le Stylosanthes… et les ligneux comme Pterocarpus erinaceus, Afzelia africana (noïga en mooré ou lengue en dioula), etc.

Des semences à prix d’or

Pour le président de la CRA des Hauts-Bassins, Moussa Traoré, les producteurs de fourrage ont besoin d’encadrement pour réussir leur mission.

rès prisées aujourd’hui, les semences fourragères se vendent à prix d’or sur le marché. Dr Souleymane Ouédraogo indique que l’INERA accompagnait les producteurs en leur offrant gratuitement les semences par le passé à travers les projets. Une information confirmée par Hati Konaté lorsqu’il dit que les producteurs de son organisation ignorent pour le moment les coûts des semences fourragères.

Pourtant, les prix sont relativement élevés sur le marché. Désormais, il faut délier le cordon de la bourse pour en avoir. Par exemple à l’INERA, détaille le zootechnicien, le kilogramme de semence de base des légumineuses fourragères à grosses graines (Mucuna et dolique) coûte 2 500 F CFA, sauf le niébé fourrager qui est à 3 000 F CFA. Le sorgho fourrager (Grinka, Sariasso 14, Sariasso 16, Sounbatimi…) sont à 1 500 F CFA le kilo.

Les Stylosanthes (guianensis et hamata), le Brachiaria (mulato et ruziziensis) et le Panicum maximum qui sont difficiles à produire se négocient à 25 000 F CFA le kilo. Quant à l’Andropogon gayanus dont la récolte de la semence est suffisamment pénible, son kilogramme coûte 50 000 F CFA et même 75 000 F CFA ailleurs.

Malgré leur coût élevé, informe le chercheur, les semences de l’Andropogon gayanus ne suffisent pas, parce que dans beaucoup de zones, les gens veulent réintroduire cette espèce locale qui est en voie de disparition. « Ce n’est pas parce que la demande est forte que les prix sont élevés. Ce sont plutôt les coûts de production très élevés de ces semences, notamment en termes de main-d’œuvre, qui expliquent cela », justifie-t-il.

L’engouement des producteurs autour de l’Andropogon va se confirmer pendant notre entretien. Dr Baba Ouattara, un des collègues de Dr Ouédraogo, reçoit un appel d’un client qui veut des renseignements. Ce dernier s’inquiétait du fait que quelqu’un lui a proposé le kilogramme de la semence d’Andropogon à la moitié du prix de vente de l’INERA.

Stupéfaits eux aussi, les chercheurs conseillent au client de passer d’abord par un contrôle pour s’assurer que la semence est réellement de bonne qualité avant de s’y engager. Pour couvrir un hectare, Dr Ouédraogo recommande entre quatre et six kilogrammes de semences d’Andropogon gayanus, de Stylosanthes hamata et de Brachiaria ruziziensis. Et si cet espace est bien entretenu, notamment par la fertilisation et l’irrigation, mentionne-t-il, on peut récolter environ 40 tonnes de matière sèche par an pour ce qui est de l’Andropogon gayanus.

A la station de Farako-Bâ, des parcelles de plusieurs hectares sont destinées à l’expérimentation des espèces fourragères. Sur une parcelle irriguée, des plantes de Brachiaria et de Panicum aux feuilles bien fournies se laissent admirer. Au côté nord du domaine, des champs de Brachiaria (ruziziensis et brizantha), de Stylosanthes (hamata et guianensis), de Panicum maximum, d’Andropogon gayanus…, s’étendent à perte de vue.

Dans un des champs, ce 13 juillet, des femmes sont en train de lutter contre les herbes indésirables. Un entretien qui coûte cher à l’Institut de recherches. Malheureusement, déplore Dr Ouédraogo, ces espèces fourragères sont en proie à des agressions tous azimuts, en particulier par les animaux des éleveurs environnants. En effet, dénonce-t-il, des éleveurs font paître clandestinement leurs bêtes dans les parcelles d’expérimentation, après les heures de service ou les weekends.

Et ce, malgré la présence des vigiles dont la guérite est à un jet de pierre. A vue d’œil, certaines plantes fourragères donnent l’impression d’avoir été taillées à l’aide d’une tondeuse à gazon tellement la pression est forte. Pour le chercheur, un mur d’enceinte serait la solution, mais clôturer un domaine de 475 hectares n’est pas une mince affaire. « C’est pourtant indispensable si on veut continuer les recherches en toute quiétude à Farako-Bâ pour les générations présentes et futures », prévient-il. Nonobstant les difficultés rencontrées, la production fourragère se présente aux yeux de ses adeptes comme un secteur d’avenir dans les Hauts-Bassins.

Mady KABRE