Campagne cotonnière 2023-2024 au Burkina :la hausse du prix des intrants pousse des producteurs à l’abandon

Le coton arrive au compte-gouttes dans cette aire de collecte pour la pesée.

Le gouvernement burkinabè a revu à la hausse le prix d’achat du kilogramme de coton qui passe de 300 à 325 F CFA. Cette bonne nouvelle a suscité au départ un engouement au sein des producteurs. Contre toute attente, le prix des intrants s’envole. A titre d’exemple, le prix du sac d’engrais a doublé, passant de 16 000 à 32 000 F CFA. Désemparés, de nombreux producteurs font volte-face. Entre abandon et réduction des superficies, l’atteinte des objectifs de production est de nos jours compromise. Constat dans la zone cotonnière des Hauts-Bassins en ce mois de décembre 2023.

Mardi 5 décembre 2023 à Finlandé, localité située dans la commune rurale de Péni, province du Houet. Dans son champ de 20 ha consacré à la production cotonnière, Bakary Ouattara a cultivé le maïs. Pour la présente campagne 2023-2024, il en a décidé ainsi du fait de la hausse du prix des intrants. Exemple à l’appui, il dénonce le prix « exorbitant » du sac d’engrais qui est passé de 16 000 à 32 000 F CFA. Très vite, le mécontentement se généralise. A l’image de Bakary Ouattara, plusieurs producteurs baissent les bras. Sont de ceux-là, Dramane Bamba et Moussa Coulibaly (noms d’emprunt), tous deux producteurs à N’Dorola, commune rurale de la province du Kénédougou. Eux, ils avaient été galvanisés en début de campagne par la hausse du prix d’achat du kilogramme de coton qui a été fixé à 325 F CFA, le premier choix et 300 F CFA, le deuxième choix, soit une hausse de 25 F CFA/kg par rapport à la campagne écoulée. Très enchantés à l’idée de faire de bonnes affaires, Dramane Bamba emblave 3 ha de coton et Moussa Coulibaly 5 ha. Puis après, leurs efforts tombent à l’eau. Ces deux producteurs, se sentant trahis par la hausse du prix des intrants, rasent complètement leurs champs de coton afin de dégager de l’espace pour le maïs. « Si on rentre dans ce jeu, on risque de ne pas s’en sortir », se désole Dramane Bamba. Des propos corroborés par le Secrétaire général (SG) de l’Union nationale des producteurs de coton du Burkina (UNPCB), Hamidou Koné qui estime que cette hausse n’est pas de nature à motiver davantage les producteurs. Raison pour laquelle, il déconseille aux producteurs amateurs de s’engager. Comme quoi, il n’y a qu’un professionnel qui puisse tirer son épingle du jeu. « Aujourd’hui, la production est passée à l’étape de la professionnalisation », souligne-t-il. Même son de cloche chez le coordonnateur de l’UNPCB, Patrice Coulibaly. Des conseils à l’endroit de cette catégorie de producteurs, il n’en manque pas. « Nous avons fait savoir aux responsables des 28 unions de producteurs lors d’une rencontre en début de campagne que notre souhait est qu’ils se lancent réellement dedans parce qu’on ne peut pas abandonner le coton », indique M. Coulibaly. Et pour cause, pense-t-il, la production cotonnière est vitale voire indispensable à l’épanouissement total des populations et son rejet risque de créer le chaos au Burkina Faso. « Il y aura des pertes d’emplois en milieu rural, à la SOFITEX (ndlr, Société burkinabè des fibres textiles), dans les banques, à la Filature du Sahel (FILSAH), entre autres », énumère-t-il. En somme, admet-il, le coton profite à toutes les couches socio-professionnelles du pays.

Disparition progressive des GPC

Dans ce champ de 20 ha (en arrière-plan), le maïs a remplacé le coton.

Des abandons, on en trouve certes, mais tous ne sont pas logés à la même enseigne. Certains ayant déjà réceptionné leurs intrants ont aussitôt organisé leur renvoi à la SOFITEX. Le coordonnateur de l’UNPCB, Patrice Coulibaly, réfute la thèse de leur abdication. De son entendement, ces derniers ont jugé nécessaire de retourner les intrants mais ont procédé d’une autre manière en utilisant les fertilisants biologiques. « Cela ne veut pas dire qu’après le retour des intrants, ils se sont croisés les bras. La plupart d’entre eux ont utilisé le compost ou les engrais liquides », signale-t-il. Les producteurs qui n’ont pas désisté ont plutôt opté pour la réduction de leurs superficies. C’est le cas de Domba Ouattara, producteur à Finlandé. Un terrain de 2 ha avait été réservé au coton. Lorsqu’il s’est rendu compte que les charges d’exploitation ont explosé, il a emblavé seulement 1 ha. La hausse du prix des intrants n’est pas la seule raison qui pousse les producteurs de coton à abandonner. D’autres se sont retirés parce que les maux qui minent la production à chaque campagne ne sont pas résolus. Il s’agit notamment des problèmes liés à la qualité de l’engrais à l’instabilité des prix des intrants, aux maladies qui attaquent le cotonnier, l’indisponibilité de la main-d’œuvre. Malmenés à chaque campagne par les mêmes contraintes, Amidou Ouattara et Dramane Ouattara, deux anciens producteurs de coton à Finlandé, ont finalement renoncé à produire le coton. Ce divorce, Amidou Ouattara dit l’avoir assuré en 2018 et Dramane l’a suivi, deux années plus tard. Depuis lors, pas un seul pied de cotonnier dans leurs champs. De nos jours, ils ont jeté tout leur dévolu sur la production céréalière et s’en sortent bien. « La SOFITEX n’a pas besoin de coton. Elle fait des affaires sur la vente des intrants », fulmine Amidou Ouattara. Jusqu’ici, il semble bien respecter son « serment » car produire le coton, dit-il, n’a plus jamais effleuré son esprit. Cette saignée a eu comme conséquence, la disparition progressive des Groupements de producteurs de coton (GPC). « Bon nombre de GPC n’existent plus parce qu’ils n’ont plus de membres », lance Domba Ouattara. Le comble est que l’existence de son propre groupement est en sursis. Composé de 22 membres au départ, il n’en compte que 6 présentement. Abou Ouattara, producteur à Finlandé, avait commandé ses intrants auprès de la SOFITEX, bien avant la hausse du prix des intrants. Lui aussi surpris, il change d’avis et jette l’éponge. Le constat qui se dégage est que l’atteinte des objectifs de production apparaît de plus en plus incertaine. Avec une prévision de 610 000 tonnes (t) de coton en début de campagne, la SOFITEX a revu ses ambitions à la baisse. Elle table désormais sur une production de 380 000 t. Là également, rien n’est gagné d’avance. « Ce n’est pas sûr qu’elle obtienne cette quantité », prévient Dramane Ouattara. « Les producteurs étaient pourtant bien partis pour relever ce défi », note de son côté, avec un brin de dépit, Hamidou Koné. « Les charges d’exploitation ont doublé », renchérit Domba Ouattara, amer. Rien que pour la fertilisation d’un ha de coton, précise-t-il, il faut débourser 128 000 F CFA au lieu de 64 000 F CFA auparavant. Et ce, sans compter les autres charges liées à l’acquisition de pesticides et la main-d’œuvre. « Pour que le producteur puisse avoir quelque chose, le gouvernement devait multiplier le prix d’achat du kg de coton par 2 ou au cas échéant, le fixer à 500 F CFA au minimum », signifie Domba Ouattara. Bema Ouattara, autre producteur à Finlandé, a emblavé 6 ha de coton cette année. Après 15 années d’expérience dans cette activité, il prépare déjà son départ dès la prochaine campagne. « J’ai produit à perte. J’ai dépensé plus de 200 mille FCFA dans l’hectare. Quand je fais les calculs, malgré la hausse du prix du coton, je n’aurai rien car le coton ne produit plus bien », s’indigne-t-il.

Une filière en quête de souveraineté

Bema Ouattara, après 15 ans d’expérience, envisage déjà son départ l’année prochaine

L’UNPCB n’est pas restée insensible à la douleur que vivent ses membres du fait de l’augmentation du prix des intrants qui constitue, du reste, une réelle menace à la survie de la filière. Le SG de la structure, Hamifou Koné, n’en veut à personne, contexte sécuritaire oblige. Il reconnait que l’Etat a consenti d’énormes sacrifices pour leur venir en aide avec 10 milliards F CFA, mais ce montant reste tout de même insuffisant. A la campagne 2022-2023, se souvient-il, c’était une enveloppe de 72,8 milliards F CFA. Ce qui avait permis, dit-il, de réduire le prix des intrants à travers la subvention. « Ce qui n’est pas le cas cette année. A l’heure actuelle, il n’y a pas d’alternative sans une subvention conséquente, chose que nous n’avons pas eu », se justifie-t-il. Afin d’amortir le choc de cette hausse des prix sur les recettes des producteurs, l’UNPCB exhorte ses membres à plus de professionnalisme dans leur activité. « Il faut qu’ils comprennent les enjeux avant de s’engager dans la production», dévoile Patrice Coulibaly. De ses explications, plus rien ne sera comme avant. Dans le cadre de leur partenariat, la SOFITEX et l’UNPCB se sont engagées à durcir les conditions d’attribution des intrants. Désormais, les petits producteurs sont placés sous la coupe d’un aval. Une approche qui vise, selon notre interlocuteur, à circonscrire le détournement des intrants du coton à d’autres fins. « Vous allez trouver que dans les coopératives, il y a des producteurs qui viennent juste pour avoir des intrants. Mais leur apport en coton ne vaut rien. En réalité, leur objectif c’est d’avoir les engrais, avoir un petit champ de coton qu’ils ne vont même pas entretenir. Ces gens-là, leur rendement ne va pas dépasser peut-être 150 kg à l’hectare. Ça va venir tirer le rendement de quelqu’un qui a 2 tonnes à l’hectare vers le bas, et on va dire après que le Burkina a un rendement de 800 kg à l’hectare. Parce que nous avons mis les bons, les moyens et les mauvais producteurs ensemble », estime M. Coulibaly. Et ce n’est pas tout. Les intrants sont également livrés aux producteurs sur la base des superficies déclarées aux agents de la SOFITEX. « Il ne faut pas être producteur de coton et vouloir profiter des intrants pour faire autre chose. Ça ne marchera pas », relève le SG de l’UNPCB. Patrice Coulibaly persiste et signe que la dynamique engagée actuellement consiste à travailler dans la transparence afin d’instaurer un climat de confiance entre les différents acteurs. Au sein de l’interprofession également, toutes les questions relatives à la bonne marche de la filière sont débattues. En ce sens, l’Association interprofessionnelle de coton du Burkina Faso (AICB) s’est déjà penchée sur le cas des intrants lors de son Assemblée générale (AG) du 30 novembre 2023. Des propositions ont été faites dans le sens d’offrir de bonnes perspectives à la filière. « Un certain nombre de mesures ont été proposées et seront appliquées au grand bonheur du producteur. Parce qu’elles vont permettre à celui-ci de se sentir bien dans sa coopérative et d’avoir tout l’accompagnement dont il a besoin », mentionne Patrice Coulibaly. Il précise d’ailleurs que la baisse du prix des intrants n’est qu’une question de temps, fondant surtout l’espoir sur la mise en service de l’usine de fabrication d’engrais de Koupéla. Par ailleurs, l’annonce séparée du prix du coton et des intrants a été vivement critiquée par les producteurs. Patrice Coulibaly répond qu’il n’en est rien. A l’écouter, cela est dû au fait que la subvention n’est pas venue à bonne date. La vision de la faîtière, informe-t-il, c’est de se soustraire à cette dépendance vis-à-vis de l’Etat. Dans cette optique, poursuit-il, les acteurs sont en train de travailler aujourd’hui à s’affranchir à un moment donné des subventions. « On veut travailler à rendre la filière autonome, de manière à ce qu’elle subventionne elle-même ses intrants. Et je pense qu’on va y arriver parce que les sociétés cotonnières ont cette volonté, l’UNPCB également », confie-t-il. Nous reviendrons dans nos prochaines parutions sur les explications de la SOFITEX sur cette situation que traverse la production du coton.


Du rififi autour de la qualité de l’engrais

Au cours de cette campagne, des producteurs ont remis en cause la qualité de l’engrais. Ceux de Karangasso-Sambla et de Léna dans le Houet ont réalisé, après des tests, que leur engrais ne se dissout pas dans l’eau. Certains l’ont laissé deux semaines dans l’eau mais le résultat est resté inchangé. L’UNPCB a donc été interpellée. Patrice Coulibaly, spécialiste du domaine au sein de la structure, effectue ses propres tests et aboutit au même résultat. La SOFITEX, appelée à retirer ses engrais, s’exécute sans broncher. L’INERA démontre cependant, à l’issue de ses analyses, que cet engrais est de bonne qualité. Toutefois, il ressort que parmi les composants, se trouve une matière inerte chargée de ressourcer le sol. Et selon les spécialistes, cette matière inerte qui joue le rôle de compact, doit rester dans le sol pendant des mois avant de se dissoudre. Cet engrais est aujourd’hui à l’étape d’essai et de pré-vulgarisation. « La SOFITEX avait brulé les étapes», précise Patrice Coulibaly.

O.M.I