
De nos jours, rentrer à la maison à midi pour manger et repartir au travail n’est plus une option pour la plupart des Ouagavillois. Cherté de la vie, longues distances à parcourir, manque de moyens de déplacement semblent être des raisons avancées. Plus de soucis, car on peut commander son repas via les réseaux sociaux ou des applications. On y trouve un service de livraison assuré par des jeunes, notamment des étudiants sous la garde des structures ou des restaurants. A la découverte de ce marché en plein essor.
Les Ouagalais se tournent de plus en plus vers les services de livraison de repas, soit à domicile, soit au travail. Un changement d’habitude qui donne une opportunité de job pour les étudiants qui sont les livreurs. Ceux-ci collaborent avec des développeurs d’applications ou avec des restaurants. C’est le cas de Babou Ziba, étudiant en fin de formation. Chaque jour, en collaboration avec le restaurant «Marmite d’Ivoire», il livre des repas à des clients au travail ou à domicile. C’est un livreur. Avec sa licence en droit, il fait ce job pour se donner les moyens de s’inscrire en master.
« Je travaille en tant que livreur de repas indépendant depuis 2024. Les clients appellent au restaurant pour commander un repas parce qu’ils ne veulent ou ne peuvent pas se

déplacer. Moi je suis chargé de leur apporter où ils se trouvent moyennant les frais de livraison», explique-t-il. Les frais de livraison sont fixés en fonction d’un barème, la distance. Un rayon de 1 à 2 km coûte 500 FCFA, 2 à 8 km 1000 FCFA, 9 à 11 km 1500 FCFA. Plus de 11 km, c’est un tarif spécial.
Comme lui, ils sont nombreux ces jeunes qui font de ce job leur gagne-pain quotidien. Hervé Bonkoungou en fait partie. Pour lui, la livraison est devenue une passion. Tout a commencé quand il a commandé une chaussure en ligne au prix de 14 000 FCFA. A la réception de son colis, le livreur lui a réclamé en plus du prix de la chaussure, 1000 FCFA comme frais de livraison (déplacement). « J’étais étonné et j’ai cherché à comprendre. Depuis lors j’en ai fait mon métier ».
Adama Zongo est agent d’entretien. Il fait aussi de la livraison. Il qualifie ce métier de métier d’amour. Il se dit prêt à négocier avec les clients quand ils trouvent que le prix est élevé. Ce qui fait que selon lui, il n’a pour le moment pas eu de problème avec un client.
Selon Abou Ziba, il y a des conditions pour être un bon livreur. Il faut d’abord connaitre la géographie de la ville. Ensuite, savoir observer l’hygiène, être ponctuel, accueillant, savoir se maitriser. Il est recommandé l’utilisation d’un sac iso-thermique qui protège et conditionne bien la nourriture.
Carolle Sawadogo est la propriétaire du restaurant, « Marmite d’Ivoire », spécialisé en mets ivoiriens. Elle a eu recours au service livreur dès les premiers moments de son activité de restauratrice en 2022. Pour elle, la livraison lui permet de se rapprocher de ses clients. Elle travaille avec une dizaine de livreurs dont 7 permanents. Pour savourer ses mets ivoiriens, il suffit de commander via WhatsApp ou Facebook.

Quand le client commande, on prend son adresse (localisation et numéro de téléphone). Ensuite le livreur l’appelle pour lui signifier de la disponibilité de son plat et qu’il est en route. Le payement se fait cash ou par mobile monnaie après livraison. Grace à ce système, foi de la patronne «Marmite d’Ivoire», plus d’une centaine de plats sont vendus par jour. Ce qui est largement au-dessus de ce qui est vendu sur place.
Passer par des applications est une autre possibilité de commander son repas. Leurs développeurs les présentent comme une solution pratique, fiable et adaptée aux besoins de la population.
C’est le cas de l’application BonBiz Food de l’entreprise BonBiz. Le responsable Ismaël Ouédraogo explique son fonctionnement qui est effectif depuis 2019 : «BonBiz FooD fonctionne de 7 heures à 22 heures. Il donne la possibilité à ses utilisateurs de commander des repas dans des restaurants partenaires inscrits sur la plateforme. L’utilisateur télécharge gratuitement l’application sur App Store ou Play Store. Il crée son compte et tape dans la barre de recherche le repas désiré.
Tous les restaurants qui proposent ce repas vont s’afficher avec les prix. Il fait son choix et valide la commande. Quand le resto valide, on attribue la commande à un livreur. Celui-ci

reçoit les informations sur le type de repas, sur le nom, le numéro, la position du client grâce au GPS. Et le livreur lui apporte son repas. Celui-ci peut être indépendant ou permanent. Dans tous les cas, il a une moto, un casque et muni d’un sac iso-thermique pour transporter les commandes servies dans des kits placés dans un emballage en papier.
Le livreur ne touche pas directement au repas.
Les frais de livraison se payent en fonction de la distance : sur un rayon de moins de 7 km, il vaut 1000 FCFA. Au-delà de cette distance, s’ajoutent 150 FCFA sur chaque kilomètre parcouru. Le règlement se fait à la livraison. La structure travaille avec des livreurs permanents et indépendants. M. Ouédraogo cite comme avantages de l’utilisation de l’application, l’économie de carburant, le gain en temps et le paiement à la livraison. Sauf au premier achat. Il témoigne aussi que le public adhère à leur innovation. D’où plus de 10 000 téléchargements et une quarantaine d’utilisateurs quotidiens.
Les meilleurs clients sont surtout des jeunes qui s’intéressent et maitrisent rapidement cette technologie. Le responsable de Bonbiz demande à ceux qui hésitent encore de franchir le pas, car d’autres services vont suivre. Optimiste, il a espoir que d’ici deux ans, ses attentes seront comblées.
Mais BonBiz partage ce business porteur avec d’autres concurrents, dont Gochap. En effet, celui-ci a mis en marche une application, GoChap Food en février 2024. Jimmy Kouia, le responsable pays de GoChap Burkina-Niger, donne des précisions. GoChap Food offre la possibilité au client de manger dans son restaurant préféré sans déplacement. La plateforme est pour lui, une mise en relation entre le client demandeur et le restaurant fournisseur avec le service de leurs livreurs (une quinzaine).

Il suffit de télécharger gratuitement GoChap sur Play store. Aller à « J’ai faim » pour découvrir la liste des restaurants partenaires. A écouter le responsable, quand le client lance sa commande, le restaurant reçoit la requête. Quand il accepte, le système trouve le livreur le plus proche de la position pour exécuter la commande. M. Kouia affirme que l’application gère tout de façon automatique. Il précise : « Chaque repas est renseigné avec son temps de cuisson. Quand le client lance sa commande, il sait que le repas choisi a tant de minutes pour sa cuisson. Au même moment il est indiqué le temps que le livreur mettra pour lui apporter son repas. De ce fait il est déjà préparé mentalement.
Quand le restaurant accepte la requête, le client est informé. Quand le livreur accepte la requête, le client est informé. Quand le livreur est arrivé au restaurant, le client est informé. Quand il y a problème de retard, il est informé d’où vient la faute ». Bref le client est informé du début jusqu’à la fin.
Selon lui, depuis sa création en 2024, elle a été téléchargée 20 milles fois. Ce sont au moins 150 personnes qui passent par l’application. Sur un rayon de moins de dix km, les frais de livraison sont de 1000 FCFA. Entre 10 et 15 km, ils sont de 1500 FCFA. Au-delà, c’est 2000 FCFA.
Les défis à relever

ne se déplace.
Le secteur présente de nombreux défis, aussi bien pour les livreurs, les entreprises et peut-être les consommateurs. Les entrepreneurs sont conscients que leur domaine d’activité est très sensible. Il faut rassurer la clientèle pour pouvoir la fidéliser. C’est pourquoi Mme Sawadogo dit prendre des précautions. Les repas solides sont servis dans des kits, emballés dans du papier aluminium.
Tout ce qui est liquide est mis dans un bol. Les livreurs doivent forcément avoir une moto en bon état comme moyen de déplacement, porter un casque, un sac iso-thermique en bon état pour garder le repas à l’état. Le livreur doit aussi soigner son apparence. « Si le repas arrive à destination froid ou endommagé et que le client ne veut pas, je demande au livreur de le ramener. On change ou on remet l’argent au client», regrette-t-elle. Pour le patron de Gochap Burkina-Niger, la gestion du Food est une question délicate car elle implique la santé, l’hygiène…
«Aux personnes méfiantes, nous disons que nous avons pris le soin de vérifier que les restaurants partenaires ont le bon certificat de salubrité. Nous y mangeons. Ils peuvent commander en toute sécurité », déclare M. Kouia. A l’écouter, leurs livreurs reçoivent une formation et sont recrutés après un engagement signé par les parents afin de les pousser à se responsabiliser. Ils se distinguent par l’habillement, la moto, le sac iso-thermique…
M. Ouédraogo indique qu’à BonBiz FooD, le principe, c’est une commande, un livreur pour aller plus vite.

«Quand on met le livreur sur une course, on est responsable de tout ce qui peut arriver. En cas de crevaison par exemple, le livreur est tenu de signaler afin qu’un autre puisse le joindre pour récupérer le repas et livrer à temps. Le client est averti du retard », affirme-t-il. Les livreurs sont sensibilisés à la propreté du corps, de la tenue, du sac et du port du casque. Ils doivent savoir utiliser le GPS, savoir s’adresser aux clients.
Un autre défi est de savoir gérer l’impatience des consommateurs en cas de retard de livraison. Les patrons sont conscients que lorsqu’un client commande la nourriture, il a faim. Sa patience a des limites. Dans ce cas, Carolle Sawadogo avoue ne pas être tendre avec les livreurs qui ne se pressent pas pour faire les livraisons. A la recherche du maximum de profit et sachant qu’ils n’ont le droit de transporter uniquement que de la nourriture, ils se cachent prendre d’autres choses. Elle prévient que quand un livreur fait ce coup, elle ne lui donne pas une seconde chance. A Gochap, on demande aux clients la patience, de ne pas perdre de vue que le livreur a une distance à parcourir avec modération.
Quant aux livreurs, ils pensent que les tords sont partagés. Abou Ziba affirme que dans la majeure partie des cas, tout se passe bien. Néanmoins, il se rappelle une mauvaise expérience avec un client qui habite à Somgandé. « Celui-ci commande un repas. Comme je n’habite pas loin de chez lui, je fais la livraison et je rentre chez moi. Arrivé, j’appelle le client en vain. J’étais obligé de ramener le repas au restaurant qui est situé loin. Une heure après le client m’appelle et me dit que le sommeil l’avait pris et qu’il s’excuse », raconte-t-il. Le lendemain il relance sa commande. Pour se racheter, il augmente un peu les frais de livraison. Comme un bon souvenir, M. Ziba évoque le jour où un client lui a offert 5 000 FCFA après une livraison. «Il m’a récompensé pour la rapidité avec laquelle, j’ai fait la livraison. Il était content», confie-t-il.

Pour Hervé Bonkoungou, la livraison des repas n’est pas souvent chose aisée. Il explique qu’un client peut par exemple commander un repas à 1000 FCFA et il veut qu’on le lui apporte loin. Les frais de livraison sont plus élevés et il se plaint. Dans ce cas, M. Bonkoungou décline la livraison. Quant à Adama Zongo, lui, demande à certains individus d’abandonner des préjugés sur leur métier. « Ils voient en nous des délinquants. Alors que notre métier mérite respect et considération», se défend-il.
Certaines personnes font usage régulier de cette digitalisation du repas. Dans les fidèles de GoChap Food, on compte Ramatou Sawadogo. Elle se dit satisfaite de son utilisation depuis une année. Toutefois, elle suggère l’intégration d’un programme de fidélité afin d’offrir des réductions. Cela motivera encore plus les gens à fidéliser. C’est vers BonBiz FooD qu’Eliezer Kéré s’est tourné. Il profite de ses services depuis le début de l’année 2021. « Je l’ai découverte, en recherchant un service de livraison de repas pratique et local.
J’ai été séduit par la variété des restaurants et plats proposés ainsi que par la rapidité du service. J’y ai trouvé les meilleurs restaurants de la ville», confie-t-il. Il en est satisfait car simple à utiliser, les délais de livraison sont respectés et les repas sont généralement bien emballés et conservés. Il croit que c’est également pratique de se faire livrer des plats dans le confort de son domicile et en quelques clics. Comme suggestion, il souhaite l’ajout de

plus de restaurants partenaires. En plus, l’intégration d’un système de fidélité pour les clients réguliers.
Cette innovation ne convainc pas tout le monde. Kisito Paré ne veut pas changer d’habitude. Il préfère se déplacer pour aller manger où il veut. Méfiant, il dit : « Quand tu as l’habitude de te faire livrer des repas, tu donnes une bonne occasion aux ennemis de t’atteindre. Ils peuvent par exemple passer par le livreur qui peut être corruptible, pour t’empoisonner. Une femme est capable d’y mettre des filtres d’amour ».
Habibata WARA
