A Kpaon, village de la commune de Gaoua (province du Poni, région du Djôrô), cultiver sur les collines et leurs flancs n’a rien d’inhabituel. Ici, le sol se montre rebelle, accidenté, rocailleux. Mais les producteurs refusent de se résigner. Armés de dabas et de courage, ils transforment ces espaces abrupts en champs de maïs, de sorgho, d’arachide, de niébé ou encore de sésame. En septembre 2025, nous les avons retrouvés dans leurs parcelles. Le spectacle est saisissant. Là où la modernité se fait rare, les muscles règnent.
En ce mercredi 10 septembre 2025 à Kpaon, village de la commune de Gaoua (province du poni, région du Djôrô), le regard se perd sur les collines couvertes de maïs, de sorgho, d’arachide, de niébé, de sésame et même d’anacarde. Ces cultures serpentent les pentes abruptes, défiant l’évidence. Ces sols sont-ils réellement propices à l’agriculture ? La question revient souvent. Les avis divergent. Entre conviction et réserves, les acteurs s’expriment. Pour Natacha Reine Sanou, encadreur agricole du village, le doute n’a pas lieu d’être. « En tout cas, ils produisent et ça donne bien. Je ne peux pas nier cela », soutient-elle, sourire aux lèvres. Son optimisme est partagé par Gaililou Sibalo, ingénieur agronome à Gaoua: « Les collines et leurs flancs peuvent être exploités.
Certaines cultures s’y adaptent parfaitement comme le mil, le sorgho, le niébé et le sésame ». D’autres voix se veulent prudentes. A la direction provinciale (DP) de l’agriculture du Poni, le ton est différent. Pour le DP Pascal Wendsongda Kaboré, l’agriculture de colline est une contrainte, non un choix idéal. « Les collines et leurs flancs, bien que leur exploitation soit courante dans de nombreux villages par nécessité, ne sont pas adaptés pour l’agriculture », tranche-t-il. Il pointe du doigt l’érosion, la faible rétention d’eau, les sols peu profonds et les difficultés de travail. « Ces contraintes compromettent le rendement des cultures et la durabilité des exploitations », ajoute-t-il. À Kpaon, la terre impose ses lois. Les agriculteurs s’adaptent, conscients qu’abandonner serait pire que lutter. Eux, ne s’avouent pas vaincus. Ils poursuivent leur engagement sur les pentes escarpées.
Les collines et leurs flancs, une nécessité
Leurs champs s’étendent sur des terres caillouteuses, transformées par la sueur et la volonté. Sur place, certains enfourchent leurs mobylettes pour nous guider vers leurs parcelles. Premier arrêt : au pied d’une colline. Le niébé couvre les flancs. Ce champ appartient à Sié Yinimana Kambou. Depuis trois ans, il s’accroche à ces pentes. « Ce n’est pas par manque de terres dans les basses terres que je suis ici », précise-t-il. Pour lui, cultiver la colline est une stratégie, presqu’un art.

Daba en main, il nettoie avec soin chaque recoin de sa parcelle. L’ingénieur agronome, Gaililou Sibalo confirme que ce choix n’est pas seulement lié à la rareté des terres. Il s’agit aussi de la gestion des mauvaises herbes, plus facile en hauteur, mais aussi d’une réponse aux risques d’inondation dans les bas-fonds. Sur ces pentes, chaque geste demande plus d’énergie. Chaque jour, les producteurs arpentent les collines et leurs flancs, les visages marqués par l’effort mais l’ardeur intacte. A quelques pas, un autre champ attire le regard. Sibédjié Kambou, avec sa daba à l’épaule, y plante l’anacarde. Installé sur la colline depuis sept ans, il a transformé une terre stérile en espace productif. Ses champs des plaines sont aujourd’hui en jachère.
La colline est donc devenue son alternative. Son voisin, Nibèdoumou Kambou, s’inspire de lui. De jeunes plants d’anacardiers se hissent au milieu de son sorgho. « L’anacarde pousse bien sur les flancs des collines », dit-il. Le sorgho aussi, avec des plants bien développés, qui se balancent au gré du vent. Ce producteur mise sur de bonnes pluies pour garantir une récolte prometteuse. Pour Sami Da, engagé lui aussi dans l’anacarde et le niébé, cultiver les collines et leurs flancs est une tradition à Kpaon. Malgré leur accès difficile, reconnait-il, ces terrains se prêtent bien à la culture de l’anacarde. Mais au-delà, il rappelle la raison profonde : « C’est surtout le manque de terres dans les bas-fonds qui pousse les gens ici ».
Les muscles ou rien
Bagninyini Kambou cultive du maïs, de l’arachide et du niébé sur ces hauteurs. Lui aussi n’a pour outil qu’une daba. Il gratte la terre dure avec patience. La colline est un espoir, le seul qui lui reste. Sa détermination traduit son refus de la fatalité. « C’est grâce à ce terrain que je nourris ma famille », confie-t-il. Les producteurs sont unanimes. Travailler sur ces terrains est pénible. Les agents de l’agriculture en conviennent aussi. « Quand je les vois travailler sur ce sol dur, je suis émerveillée », relève Natacha Reine Sanou. La plupart manquent de main-d’œuvre. Ils se fient alors aux herbicides.
C’est le cas de Sibédjié Kambou et de Nibèdoumou Kambou. Ce dernier, père de douze enfants, se dit préoccupé par sa progéniture qu’il doit nourrir seul. « Il faut que mes deux épouses adoptent la planification familiale, sinon à cette allure… », lâche-t-il, visiblement inquiet. Ici, pas de charrue, ni motoculteurs encore moins de tracteurs. « En plus des herbicides, je nettoie ma plantation avec une machette », assure Sibédjié Kambou. A Kpaon, la charrue est un luxe. On ne la trouve que dans les villages voisins. Seule la daba y règne.

Les producteurs ne peuvent pas bénéficier du labour gratuit offert par les tracteurs du président Ibrahim Traoré. La position de leurs champs ne le permet pas. Pascal Wendsongda Kaboré explique : « La topographie accidentée rend l’usage des charrues, motoculteurs et tracteurs inefficace, voire dangereux ». Pour autant, il relève que cela ne signifie pas que ces producteurs sont condamnés à utiliser la daba pour toujours. Il suffit d’adapter les outils à leurs terrains. « La modernisation de ces exploitations ne repose pas sur les machines lourdes, mais sur des technologies intermédiaires », affirme-t-il.
Le semoir manuel multifonctionnel en est un exemple. Il permet, à son avis, de semer avec précision, à la bonne profondeur, tout en réduisant la fatigue.
« Cela réduit le gaspillage de semences et assure un meilleur taux de réussite », indique-t-il. Il cite aussi la houe maraîchère et d’autres sarcleuses manuelles, conçues pour travailler debout et rapidement. Du reste, M. Kaboré plaide pour une appropriation de ces technologies intermédiaires. Elles seules peuvent, selon ses dires, soulager les producteurs. Gaililou Sibalo renchérit : « Les cailloux sur ces sols compliquent l’usage d’équipements modernes ».
Des rendements en baisse
En dépit des efforts consentis, les cultivateurs observent une baisse de leurs rendements au fil des ans. La raison, ils disent l’ignorer. Sibédjié Kambou l’admet : « J’ai du mal à atteindre mes anciens niveaux de rendements ». Nibèdoumou et Magninyini Kambou constatent les mêmes difficultés. Sami Da ne semble pas surpris de cette situation et pour cause ? « Ces terrains s’appauvrissent rapidement. Leur fertilité ne dure pas plus de deux
ans », martèle-t-il. Beaucoup avaient compté uniquement sur la fertilité naturelle des sols. Mais après quelques années d’exploitation, la déception est grande. Après cinq ans à cultiver sa parcelle, Magninyini Kambou est désillusionné.

Faute d’apports en matières organiques, les récoltes ne suivent plus. Dix sacs d’engrais n’ont pas suffi à sauver cette saison. « Malgré ces sacrifices, la physionomie de mes cultures n’est pas bonne », avoue-t-il. Face à cette réalité, certains changent leurs habitudes. Nibèdoumou Kambou, longtemps réticent, utilise désormais des fertilisants. « J’applique du compost et des engrais chimiques. Mais il faut le faire après une grosse pluie, sinon tout est emporté par les eaux de ruissellement », dit-il.
Sur une autre colline, Bamilbar Kambou exploite deux hectares. Son champ surplombe la route Gaoua-Kampti. Il utilise régulièrement les engrais chimiques. L’an dernier, 40 sacs de maïs sont sortis de sa parcelle. Cette année, il a investi 15 sacs d’engrais pour espérer mieux. « Je n’ai pas un autre terrain à part celui-ci », confesse-t-il. Pour lui, dompter ces sols rocailleux est indispensable pour sa survie. S’il devait quitter ce terrain, il n’aurait nulle part où cultiver. Dans ce village, obtenir un excédent céréalier tient de l’exploit. En plus de la baisse des rendements, aucun moyen d’agrandir les champs.« A cause de ces contraintes, chacun cultive juste pour nourrir sa famille. On arrive rarement à dégager un surplus pour vendre », laisse entendre Sami Da.
Se passer des produits chimiques
Pour relever les rendements, les producteurs des collines et leurs flancs misent à nouveau sur les bonnes pratiques agricoles. La fertilisation des sols est une nécessité absolue. Mais ici, la position des champs et la nature des sols compliquent la tâche. L’ingénieur agronome, Gaililou Sibalo propose d’enfouir les engrais dans le sol lors du sarclage ou de les placer directement au pied des plants. Même son de cloche chez Pascal Kaboré pour qui, cela permet d’éviter les pertes dues au ruissellement. Galilou Sibalo va plus loin. Il déconseille les produits chimiques sur les collines et leurs flancs.
Il prône plutôt l’agriculture biologique. Ainsi, il invite les producteurs à préserver la végétation naturelle, dont les racines luttent contre l’érosion. Il les encourage par contre à recourir aux fertilisants biologiques. Pascal Kaboré estime également qu’il est possible, et même préférable, d’exploiter ces terres sans engrais chimiques. Compost, fumier et engrais verts sont cités comme alternatives. Celui-ci recommande d’autres techniques de restauration de ces sols comme le zaï, les cordons pierreux et la rotation des cultures. « Cultiver du maïs une année et du niébé l’année suivante maintient un équilibre naturel du sol », conseille Gaililou Sibalo.

les dégâts causés par l’érosion.
Sami Da, conscient des dangers de l’érosion, a déjà mis en place des cordons pierreux. Une technique bien maîtrisée dans le village et appliquée par la plupart des producteurs dans leurs champs. A en croire Sibédjié Kambou, le manque de formation est un frein majeur à la réussite de l’agriculture sur collines et leurs flancs. Il estime que peu d’entre eux connaissent les notions liées à la gestion durable des terres. « Nous plaidons auprès des autorités pour renforcer nos capacités. Et aussi pour faciliter l’accès à la terre afin que nous ne soyons pas contraints de produire sur les collines », lance Sami Da. Pascal Kaboré insiste : « Augmenter les rendements n’est pas une question de chance, mais de bonnes pratiques agricoles ».
A Kpaon, l’exploitation des collines et leurs flancs exige force et expérience. Les producteurs, bien que confrontés à de multiples contraintes, continuent à transformer des terres hostiles en espaces productifs. Tous prouvent, par leur abnégation au travail, qu’aucun sol n’est définitivement perdu. Ces collines et leurs flancs, longtemps jugés infertiles, révèlent un secret : ils cèdent à ceux qui osent croire en eux.
Ouamtinga Michel ILBOUDO
omichel20@gmail.com
Kpaon, un village plein de potentialités
A Kpaon, l’agriculture reste la principale activité. Mais une fois la saison des pluies terminée, les habitants se retrouvent sans travail. Pourtant, le village ne manque pas d’atouts. Les basfonds pourraient être aménagées pour permettre des cultures en saison sèche. Les collines, elles, offriraient des opportunités touristiques si elles étaient mises en valeur. Aujourd’hui, le relief accidenté bloque toute modernisation des outils de production. Les producteurs, courageux mais démunis, lancent un cri du cœur. Ils souhaitent des retenues d’eau ou un forage à gros débit. Avec une telle infrastructure, ils pourraient continuer à produire en saison sèche au lieu de rester inactif. Ils demandent aussi du matériel adapté à la nature de leurs sols et un meilleur accès à la terre.
O.M.I

 
            
 
		
