Mobilisation des eaux de surface dans le Djôrô: des grands projets de barrage suscitent l’espoir

Le barrage de Bapla (2 millions de m3) est l’une des grandes retenues d’eau de la région du Djôrô.

Classée parmi les zones à forte pluviométrie du Burkina, la région du Djôrô enregistre très peu d’ouvrages hydrauliques de grande capacité à même de stocker assez d’eau de surface pour les besoins des populations. La conséquence est que la majeure partie de ces eaux se retrouve dans les pays voisins, en l’occurrence le Ghana et la Côte d’Ivoire. Actuellement, les regards sont tournés vers les projets des grands barrages de Ouessa, du Noumbiel et de la Bougouriba dont la réalisation est beaucoup attendue par les habitants de la région.

Ce mardi 9 septembre 2025, dame nature a ouvert ses vannes, depuis de bonnes heures, sur Diébougou, chef-lieu de la province de la Bougouriba, région du Djôrô. Difficile pour les citadins de vaquer librement à leurs occupations. Les producteurs agricoles, eux, s’en délectent. Les caniveaux et autres ravins sont gorgés d’eaux qui ruissellent vers les zones basses. Les différentes retenues d’eau sont en crue et les déversoirs émettent un bruit assourdissant, évacuant le trop-plein de ces ouvrages hydrauliques.

A Bapla, à une quinzaine de kilomètres de Diébougou, une impressionnante étendue d’eau ne passe pas inaperçue. Sur le plan d’eau, plusieurs cages flottantes de forme circulaire servent à la pisciculture. Situé en bordure de la route nationale 12 (tronçon Diébougou-Gaoua), ce barrage affichait à sa réalisation en 2003, une capacité de stockage de 2 millions de mètres cubes (m3), selon le rapport 2024 de l’Inventaire des retenues d’eau au Burkina Faso. C’est le plus grand barrage de la province, aux dires du Directeur provincial (DP) chargé de l’eau, de l’assainissement et de l’environnement de la Bougouriba, Aristide Léama. Toutefois, la cuvette de l’ouvrage a été gagnée par l’envasement.

Le président du Comité d’usagers de l’eau (CUE) de Bapla, Yelbenkoun Somé, renchérit : « quand nous étions très jeunes, le barrage était profond. De nos jours, l’eau se retire très vite, à cause de l’ensablement ». Au constat, le typha et d’autres plantes envahissantes commencent à prendre de l’ampleur sur la retenue d’eau. La bande de servitude, quant à elle, est en partie occupée par des champs de production agricole. En saison sèche, c’est le maraichage qui s’y pratique, aux dires de M. Somé.

« Malgré la délimitation de la bande de servitude, les gens occupent toujours les berges, sous prétexte qu’ils ne savent pas où aller. Nous les avons sensibilisés en vain », souligne-t-il, dépité. C’est pourquoi, il plaide pour l’aménagement d’un périmètre maraicher au profit de son village.

La plupart des eaux qui tombent dans la région s’écoulent vers les pays voisins.

Le DP Léama indique que depuis la réalisation des ouvrages hydrauliques dans sa zone, on n’avait pas mis assez de garde-fous pour les sécuriser. Certains CUE ont été installés seulement en 2024, à l’entendre. « Certaines activités se menaient dans les bandes de servitude. La conséquence est que nous constatons l’ensablement
et la prolifération des plantes envahissantes au niveau de ces barrages », déplore-t-il, avant de relever que le Comité local de l’eau (CLE) de la Bougouriba 7, présidé par le haut-commissaire, mène parfois des activités d’arrachage des herbes envahissantes autour de ces ouvrages.

Forte pluviométrie

Pour la protection des retenues d’eau, déclare M. Léama, le ministère a recommandé la mise en place d’un comité autour de chaque barrage, regroupant l’ensemble des usagers (maraichers, pêcheurs, pisciculteurs, ménages, …).
La province de la Bougouriba enregistre une forte pluviométrie, malheureusement, seuls deux barrages (ceux de Bapla et de Milpo) y sont à mesure de stocker actuellement une importante quantité d’eau. « Nous avons d’autres barrages, notamment ceux du secteur 4 de Diébougou et de Loto, dont les digues ont cédé et qui ne stockent plus l’eau. Des études avaient été faites pour la reconstruction de la digue du barrage de Loto, mais jusqu’à présent cela n’est pas fait », précise le DP Léama. Il note également l’existence d’autres petites retenues d’eau mais qui ne sont pas pérennes, à l’image de la mare aux crocodiles sacrés de Diébougou. Dès le mois de février, avance-t-il, cette mare tarit ; ce qui affecte la survie des sauriens.

Dans ces conditions d’insuffisance d’ouvrages hydrauliques, la mobilisation des eaux de surface devient un casse-tête. La plupart des eaux de pluie ruissellent vers les pays voisins, à savoir le Ghana et la Côte d’Ivoire. Aristide Léama parle d’un sentiment d’impuissance face à cette situation. « Avec les caprices pluviométriques, il faut une maitrise des eaux de surface pour le bonheur des populations. Pour cela, il nous faut assez d’ouvrages pour stocker le maximum d’eau et pouvoir produire en toute saison », recommande-t-il.
Encastrée entre le territoire ivoirien et celui ghanéen, la province du Noumbiel enregistre également une pluviométrie assez intéressante. Plus de quatre mois de précipitations, à en croire les habitants de la localité. Des estimations confirmées par le DP chargé de l’eau du Noumbiel, Mohamed Traoré, qui précise que la province reçoit ses premières pluies dès le mois de mai.

Ce jeudi 11 septembre, le Noumbiel est arrosé par une pluie bienfaisante, puisqu’une poche de sécheresse s’y était installée. Sur l’axe Gaoua-Batié, une végétation luxuriante s’offre au regard. Elle est la preuve de la bonne pluviométrie évoquée par les différents acteurs. De part et d’autre de la voie, une grande quantité d’eau s’écoule vers la partie sud (frontière ghanéenne, située non loin de là). « A part le barrage de Batié, dont la capacité est d’environ 600 000 m3, il n’y a plus une autre retenue d’eau de cette envergure dans la province. Le reste, ce sont des marigots ou des boulis qui servent à l’abreuvement des animaux », révèle M. Traoré.

Ollo Kambou, président du CUE de Poniro : « notre barrage profite à cinq villages ».

Le barrage de Batié, réalisé dans les années 1966, sert à plusieurs usages : maraichage, pêche traditionnelle, abreuvement des animaux, lessive, travaux de voirie, etc. Toutefois, certaines de ces activités sont de nature à nuire à la survie de l’ouvrage. L’occupation de la bande de servitude par les producteurs, malgré sa matérialisation par des bornes, est un secret de polichinelle. Des champs de céréales, de gombo et d’autres cultures maraichères s’épanouissent presque dans le lit du barrage. De quoi indigner les responsables du CUE de Batié qui assistent impuissants à cet envahissement incessant de la bande de servitude. Installé seulement en 2024, le Comité joue pour le moment la carte de la sensibilisation, selon son président, Landry Dah. Néanmoins, il se dit inquiet du niveau d’ensablement du barrage. « Je suis né en 1993.

Quand nous étions enfants, nous nagions dans le barrage. Mais, il y a des endroits où on ne pouvait pas s’aventurer à cause de la profondeur des eaux. De nos jours, nous pouvons traverser ces zones sans problème, parce que le barrage est ensablé », témoigne, avec un air de désolation, M. Dah. Mais, le président du CUE n’est pas au bout de son étonnement, puisque selon ses propos, un phénomène rare s’est produit au barrage au mois de mars passé : il était presque à sec. Depuis sa naissance, confie-t-il, c’est la première fois qu’il voit l’ouvrage dans un tel état.

« Le barrage de Batié est pérenne mais en fin mars 2025, on a constaté que l’eau avait presque tari. Des autorités coutumières de la localité ont fait savoir que c’est la première fois que cela arrive », confirme le DP Mohamed Traoré. Pour contrer l’envasement de l’ouvrage, avance-t-il, des actions fortes ont été entreprises l’an passé. Il s’agit de la réalisation de balises par le Comité local de l’eau (CLE) de Poni 3, avec le soutien financier de l’Agence de l’eau du Mouhoun, pour délimiter la bande de servitude. « Malgré tout, des maraichers occupent toujours cette bande. Nous avons échangé avec les responsables de la commune de Batié afin qu’ils leur trouvent un espace à aménager pour leur activité », informe M. Traoré.

Des ouvrages de faible capacité de stockage

Selon le président du CUE de Batié, Landry Dah, certaines personnes n’ont pas encore compris la nécessité de préserver la ressource en eau.

Dans la province du Poni, la plus grande retenue d’eau se trouve à Poniro, dans la commune de Kampti. Avec une capacité de stockage d’environ 1,2 million de m3, elle a été réalisée en 2003. Sur les lieux, le barrage souffre des mêmes maux que les ouvrages suscités : ensablement, présence de plantes envahissantes, occupation de la bande de servitude, etc.

« Aujourd’hui, le barrage ne se porte pas bien. Au début, il n’y avait pas d’herbes envahissantes. On constate également que sa capacité de stockage s’est rétrécie à cause de l’ensablement. Le problème est que les maraichers sont installés dans
la bande de servitude », déplore le président du CUE de Poniro, Ollo Kambou. A l’entendre, un périmètre maraicher est en cours d’aménagement et les producteurs qui s’impatientent. « Si ce projet voyait le jour, cela allait beaucoup nous soulager », fait-il savoir, avant d’indiquer qu’en attendant, le CUE use de stratégies pour convaincre les maraichers à libérer la bande de servitude.

A écouter les différents acteurs, outre le nombre peu élevé de retenues d’eau enregistré dans la région du Djôrô, il y a aussi le fait que ces ouvrages sont de faible capacité. Le chef de service régional des ressources en eau et infrastructures hydrauliques du Djôrô, Edmond Tiemtoré, précise que la région compte 37 barrages, répartis dans les quatre provinces. Les deux plus grands barrages, mentionnés dans le rapport 2024 de l’Inventaire des retenues d’eau au Burkina Faso, sont ceux de Dissin dans le Ioba (2 millions 600 000 m3) et de Bapla dans la Bougouriba (2 millions de m3).

Par rapport à la faible capacité de stockage des barrages, il estime que le relief accidenté de la région peut être l’une des raisons. Toutefois, relève-t-il, des projets de grands barrages existent depuis des années mais ils tardent à voir le jour. Il s’agit des projets des barrages de Ouessa (Ioba), du Noumbiel et de la Bougouriba dont les capacités de stockage projetées dépassent le milliard de m3. « Pour le barrage de Ouessa, les études ont commencé depuis longtemps et sont presque bouclées. C’est vrai qu’il y a eu des difficultés entre temps, mais avec les autorités actuelles, on espère que le projet va aboutir.

Des plantes aquatiques sont en train d’envahir le barrage de Poniro.

Pour celui de la Bougouriba, c’est une réactualisation, parce que les études ont été bouclées depuis longtemps. Quant à celui du Noumbiel, il y a des indices qui montrent que le projet verra le jour, puisqu’il y a eu récemment des rencontres avec les différents acteurs à cet effet », détaille Edmond Tiemtoré. Et le DP du Noumbiel, Mohamed Traoré, de confirmer qu’en juin passé, un atelier s’est effectivement tenu dans la localité pour parler de ce projet de barrage. « Si ce barrage voit le jour, cela pourra faciliter la navigation et l’écoulement des marchandises entre le Burkina Faso et le Ghana »,
se convainc-t-il. Mais à entendre Edmond Tiemtoré, la réalisation de ces ouvrages ne peut se faire qu’après un accord conclu avec le Ghana.

La protection des barrages, un impératif

« Pour la réalisation de tels projets, il faut beaucoup de dialogue. S’il n’y a pas d’entente, il est difficile de les mettre en œuvre. Puisque ces barrages seront alimentés par des cours d’eau qui se déversent dans un pays voisin. Mais, on a espoir que ces projets aboutiront », explique avec optimisme M. Tiemtoré.

Evoquant l’importance capitale des retenues d’eau pour les populations, il rappelle qu’il est impératif d’entretenir et de protéger le peu d’ouvrages qui existe. Car, dénonce-t-il, certaines pratiques des usagers ne permettent pas d’assurer la pérennité des barrages. A ce qu’il dit, nombre de ces retenues d’eau ont fonctionné pendant longtemps sans comité de gestion. Ce qui a été une porte ouverte à toutes les dérives. L’occupation des bandes de servitude et l’envasement sont les problèmes majeurs signalés. En outre, Edmond Tiemtoré mentionne que les dispositifs servant à évaluer le niveau des eaux dans les barrages, notamment les échelles, ont été arrachés par des individus.

« Depuis la réalisation de ces ouvrages jusqu’en 2023, beaucoup ont fonctionné sans CUE. Du coup, en cas de problème, personne n’est responsable. Mais depuis 2024, nous avons mis en place 11 CUE pour assurer l’entretien et la protection de ces barrages », fait-il savoir.

Au barrage de Batié, des productions agricoles sont presque dans le lit.

L’une des missions des CUE consiste à entretenir les retenues d’eau à travers l’arrachage des plantes envahissantes, le nettoyage et le renforcement des digues. Ils doivent aussi, par la sensibilisation, convaincre les maraichers à libérer les bandes de servitude. Une tâche qui n’est pas toujours aisée. Que ce soit à Bapla, à Batié ou à Kampti, les CUE ont été confrontés à des difficultés dans la gestion des ouvrages. Les conflits d’usages ne manquent pas. Selon Landry Dah, président du CUE de Batié, il y a parfois des prises de bec entre le Comité et les populations qui refusent de payer une petite contribution avant de prélever l’eau.

A Poniro, une cotisation annuelle est instituée pour les membres du CUE et tous les usagers de l’eau afin de faire face aux charges de fonctionnement. Les jardiniers utilisant des motopompes doivent débourser 10 mille F CFA par an et
2 000 F CFA pour ceux qui ont des arrosoirs. Les pêcheurs en pirogue, eux, payent 5 000 F CFA. Là également, affirme le président du CUE de Poniro, Ollo Kambou, beaucoup sont réticents, parce que d’habitude, ils ne payaient pas pour utiliser l’eau. Outre ces soucis, soutiennent les responsables des comités de gestion, il y a aussi la faible participation des populations aux travaux d’entretien des barrages.

Mohamed Traoré, DP chargé de l’eau du Noumbiel : « les autorités coutumières nous appuient dans la sensibilisation pour préserver le barrage de Batié ».

« Beaucoup sont démotivés parce qu’ils pensaient que le travail était payant, alors qu’au départ, on leur a signifié que c’est du bénévolat », confie le président du CUE de Bapla, Yelbenkoun Somé. Malgré tout, ces gestionnaires disent ne pas baisser les bras. Convaincus que les barrages constituent leurs sources de revenus, ils plaident pour un soutien financier et matériel afin de renforcer leurs actions. Aussi appellent-ils de tous leurs vœux, à l’aboutissement des projets de réalisation des grands barrages de la région.

Mady KABRE
dykabre@yahoo.fr