Ragnimwendé Eldaa Koama, présidente de l’association Fenêtre d’Afrique : « Lors du 28e sommet Afrique-France à Montpellier, on m’a qualifiée de traître »

Eldaa Koama : « on constate qu’une bonne majorité des entreprises burkinabè meurent vite à cause de la mauvaise gestion des finances ».

Ragnimwendé Eldaa Koama force l’admiration et le respect de par son talent d’oratrice, de coach, de formatrice et de maîtresse de cérémonie bilingue. Ingénieure de conception des systèmes informatiques, elle a remporté plusieurs prix en art oratoire au Burkina Faso et à l’international. Elle est celle qui, en s’adressant au Président Emmanuel Macron lors du sommet Afrique-France en 2021, a imagé les relations France-Afrique de marmite sale. Dans cet entretien accordé à Carrefour africain, le 13 septembre 2024, elle révèle, entres autres, les secrets du coaching, de l’art oratoire et de l’entrepreneuriat.

C.A. : Qui est Ragnimwendé Eldaa Koama ?

R.E.K. : Je suis ingénieure de conception des systèmes informatiques. J’ai suivi des formations qui me permettent de mener des conférences, de coacher des personnes en business et sur leur propre vie. Au quotidien, je suis entrepreneure.
J’ai une entreprise qui prône l’éducation à la performance, créée en 2020.

Celle-ci intervient dans le monde entier avec des outils numériques qui permettent de
faire la collaboration à distance. Je travaille également au renforcement des capacités par des coachings et la production de documents. Accompagner des entreprises en stratégies de communication, en marketing, en expansion, etc. fait partie de mes activités. Je travaille aussi sur tout ce qui est communication évènementielle.

Depuis 2006, je m’intéresse aux associations. Aujourd’hui, je suis la présidente de l’association Fenêtre d’Afrique. Celle-ci s’intéresse à l’Afrique et à sa culture, au patrimoine, aux opportunités d’investissement. On essaie d’amener les africains à savoir
compter sur eux-mêmes, à savoir qu’ils sont eux-mêmes acteurs du développement de leur continent. Ces différentes activités m’ont permis d’effectuer des missions en Afrique, en Europe et aux Etats-Unis.

C.A. : Comment arrivez-vous à allier toutes ces activités ?

R.E.K. : J’ai compris que pour faire beaucoup de choses, on ne doit pas le faire seul. J’ai des équipes avec lesquelles je travaille, au niveau de l’entreprise comme dans l’association. Elles sont composées essentiellement de jeunes. J’ai commencé avec certains qui étaient sans expérience. Mais grâce au coaching, ils ont appris et ont confiance en eux-mêmes.

C.A. : Qu’est-ce que le coaching ?

R.E.K. : C’est une approche d’accompagnement pour questionner l’individu afin que lui même explore les possibilités de solutions par rapport aux difficultés rencontrées ou aux objectifs qu’il se donne à atteindre. Ce qui veut dire que le coach n’est pas un conseiller. Il pose des questions bien agencées pour permettre à l’individu de ne pas se focaliser sur un seul objectif, mais d’élargir les possibilités.

A la tête de l’association Fenêtre d’Afrique, Eldaa Koama compte accompagner les femmes à être des leaders
dans leurs domaines d’activités

Quand l’individu voit les possibilités et choisit la vraie, le coach l’accompagne.
Mais dans la pratique, c’est difficile d’être un coach. On peut par￾fois sortir du rôle de coach pour donner des conseils parce que l’individu est émotionnellement instable ou n’arrive pas à pousser la réflexion.

Ces conseils ne sont pas obligatoires à être appliqués par le coaché. Quand le coach fait cela, il doit prévenir en disant qu’il sort de son rôle pour donner des conseils. Mais c’est quelque chose qu’on voit aujourd’hui de moins en mois. Certains n’ont pas confiance aux approches du coaching. Pourtant, ceux qui ont de grandes performances au monde, qui ont du succès, sont coachés.

C.A. : Dans quel domaine du coaching exercez-vous précisément ?

R.E.K. : Le coaching en tant que méthode d’approche existe de façon générale. On peut former sur des méthodes de coach tout court. Et aussi en fonction des sensibilités. Par exemple, je peux coacher à la prise de parole, en leadership, en projet, en life
coaching, … Ou encore par rap￾port aux enfants, aux adolescents, etc. Toutefois, il faut que moi-même, en tant que coach, j’ai une sensibilité pour ces thèmes. Sinon, je ne pourrai pas m’impliquer afin de pousser les choses plus loin.

C.A. : Est-ce que les Burkinabè se font coacher ?

R.E.K. : En réalité, le coaching n’est pas seulement pour celui qui est dans le désespoir. Le concept de coaching en lui-même est dénaturé à cause des scandales.Par exemple, Hugues Fabrice Zango est un sportif performant. On peut se demander s’il a besoin de se faire coacher. Oui, car le coach a une expérience plus avancée. Il n’est pas émotionnel, car il n’est pas dans la compétition. Donc, sur la base de ses instructions, Zango s’entraîne et devient plus performant.

Quand un individu a un objectif mais ne connait pas le chemin pour y arriver, le coach devient un compagnon, pas pour lui dire ce qu’il va faire, mais pour le questionner afin qu’il entre en lui-même et regarder les possibilités. L’objectif peut être : se réaliser, avoir un leadership, un impact dans la communauté, être considéré dans le milieu professionnel, etc. Au Burkina Faso comme partout ailleurs, tant qu’il y a un être humain qui veut
aller de sa situation actuelle à celle souhaitée, créer des objec￾tifs clairs, il peut avoir recours à un coach.

C.A. : Est-ce que tout le monde peut être coaché ?

R.E.K. : Non. Par exemple celui qui est instable mentalement. Si le coach ne peut pas poser la question à quelqu’un qui n’a pas la capacité de réfléchir avec objectivité, on ne peut pas le coacher. Quand on n’est pas ouvert ou franc, il est difficile de se faire coacher. On ne peut pas aussi coacher quelqu’un qui a traversé un coaching qui l’a secoué. Cette mauvaise expérience le fait craquer.

C.A. : Vous êtes auteure d’un livre intitulé « L’art oratoire : par où commencer ». Qu’est-ce
que l’art oratoire ?

R.E.K. : L’art oratoire est la finesse. C’est l’aspect créatif, attractif qui est à coller à la
capacité de s’exprimer. Pour avoir la capacité de s’exprimer, l’individu doit d’abord
suffisamment avoir confiance en lui-même, en ses propres idées pour pouvoir les exprimer. Tout ce que nous disons, c’est ce que nous avons validé intérieurement.

Il faut une certaine confiance en soi. Savoir que dans l’environnement où nous sommes, nous sommes légitimes et écoutés. Après cette étape, il faut qu’il y ait cette familiarité avec les éléments du langage. Il faut se familiariser au langage  souhaite utiliser. Savoir s’exprimer par exemple en français, en anglais, en mooré, …

On peut suivre des cours multimédias pour améliorer sa culture générale et lire pour nourrir son vocabulaire. C’est pourquoi, on a coutume de dire que les grands
lecteurs sont de grands orateurs. La troisième étape est de pouvoir saisir les opportunités. Si je me retrouve dans une réunion, même si je ne trouve rien à dire, si la parole est donnée à qui veut la prendre, je la prends. Non pas pour mystifier mais au moins
pour voir comment je suis confiant, comment j’arrive à exister dans cette réunion.

On peut prendre la parole pour dire par exemple « merci pour les idées qui ont été partagées. Je suis parfaitement d’accord avec cela. Je n’ai rien à ajouter ». Ces trois phrases peuvent sembler ne rien valoir. Mais c’est un exercice de prise de confiance. En ce qui concerne l’art, il faut donner à l’esprit l’envie de s’évader. On ne doit pas rester fermé dans son domaine d’activité. Apprendre à être curieux pour permettre à l’esprit de faire des connexions, utiliser des tournures, impressionner, étonner, dire des choses auxquelles les gens ne s’attendent pas, sont autant d’astuces.

C.A. : Vous êtes un exemple de réussite en entrepreneuriat pour
les jeunes. Quels conseils avez vous à leur prodiguer ?

R.E.K. : Quand on souhaite se lancer dans l’entreprenariat, il faut savoir faire quelque chose avec ses doigts et avec sa capacité de réflexion en l’absence de ressources. Si ce n’est pas le cas, pouvoir assurer la compétitivité de l’entreprise sera difficile à un moment. Lancer une entreprise est une chose aisée. Mais c’est sa gestion qui est compliquée.

Comment faire qu’elle ne meurt pas dans un intervalle de zéro à cinq ans. On constate qu’une bonne majorité des entreprises au Burkina Faso meurent dans cet intervalle à cause de la mauvaise gestion des finances. Toutefois cela ne veut pas dire que quand on franchit cette étape, l’entreprise n’est plus menacée. Si on assure une bonne gestion, elle a des chances de progresser.

Beaucoup de gens ne savent pas gérer leurs finances. Un autre problème est qu’ils ne savent pas recruter leurs employés. Je recommande aux entrepreneurs de recruter eux-mêmes leurs collaborateurs afin de détecter les potentiels. Sinon s’ils laissent faire certaines choses sans expériences, des failles risquent de subvenir plus tard dans la gestion.

Je leur demande d’apprendre à gérer efficacement leurs entreprises. Ils doivent chercher
des solutions innovantes qui amènent le consommateur vers une réalité plus intéressante. Ils doivent également se poser des questions de savoir si la vie du consommateur a évolué avec leur produit. Si c’est le cas, celui-ci reviendra vers eux avec un nouveau problème qui va engendrer en eux une nouvelle idée. D’idée en idée, ils pourront agrandir leur champ d’actions. Mais le client partira, s’il s’aperçoit qu’il dépense et qu’il n’y a pas de changement.

C.A. : Lors du 28e sommet Afrique-France à Montpellier en 2021, vous avez interpellé le
président Emmanuel Macron avec des mots qui ont eu une répercussion mondiale en vous
rendant populaire. Est-ce que vous pouvez nous en dire plus ?

R.E.K. : C’est une longue histoire. Je participe depuis 2014 à des rencontres internationales. Je peux citer, entre autres, celles organisées par la FAO et l’ONU. Donc ma participation à ces types de rencontres ne date pas de 2021, même si celle-ci était avec un président. J’ai été désignée pour faire partir de la délégation burkinabè (composée d’une quarantaine de personnes), à la suite des rencontres organisées par l’ambassade de France à Ouagadougou. En plus, j’ai été désignée comme celle qui, aux
côtés d’autres jeunes, devrait interpeller le président Macron.

J’ai failli ne pas partir. Pendant que les autres de la délégation avaient reçu des billets pour partir, de mon côté rien n’était précis. Quand j’ai appelé pour connaître les raisons, on m’a dit qu’il n’y avait plus de fonds pour ma prise en charge.

Quelques jours après, à ma grande surprise, on m’annonce que je partirai plus tôt pour Paris et Montpellier. Sur place, pendant que les autres personnes qui devraient parler directement au président sont sollicitées par les médias, on dit que le Conseil national de la jeunesse (CNJ) me
qualifiait de traître. Comme je n’avais pas de connexion internet, je n’ai pas eu connaissance de la sortie du CNJ.

Quelqu’un m’a demandé si je suis venue ici en toute légalité. J’étais déçue. Je me suis dit que je n’allais pas faire ce déplacement pour rien. Je suis déjà là et je dirai ce qui
me tient à cœur. Concernant l’anecdote de la marmite sale,j’en ai fait cas à mes camarades
qui n’ont pas approuvé.

Mais comme j’étais convaincue de mon idée, je n’ai pas hésité à
l’évoquer. Le lendemain, on m’appelle pour m’annoncer que je suis devenue populaire sur les réseaux sociaux. C’est pour vous dire que j’ai agi librement. J’ai été incomprise. Certains à l’époque ont trouvé que j’ai « vendu » le pays.

D’autres ont fait des critiques acerbes en mettant en cause mon éducation. Mais aujourd’hui, certains d’entre eux cherchent à comprendre mes idées. Cette sortie m’a donné de la visibilité, car j’ai pu développer des initiatives.

C.A. : Vous avez été la plus jeune modératrice bilingue du NABC FAB Forum au Pays-Bas
en 2018 et 2019. Comment vous vous êtes sentie ?

R.E.K. : Je travaillais déjà en tant que gestionnaire de projet au sein d’un incubateur d’entreprises. Celui-ci était le point focal de tous les incubateurs au Burkina Faso. J’étais la personne￾ressource qui était en contact avec la Chambre de commerce et
la Maison de l’entreprise.

En même temps que je travaillais, je suivais des cours à l’université Aube Nouvelle. Une année après, grâce à mes capacités oratoires, j’ai été représenter mon université à une compétition au Liban. J’ai été la seule finaliste africaine. J’ai parlé de mon expérience sur les réseaux sociaux et l’un des partenaires m’a demandé si je pouvais m’essayer à la présentation de leur évènement.

J’ai saisi la perche qu’il m’a tendue. Je suis allée et j’ai ouvert l’évènement. L’année
suivante, on m’a invitée. C’est ainsi que je me suis retrouvée présentatrice de cet évènement qui regroupait des hommes d’affaires africains, européens et américains.

Mes capacités linguistiques en anglais m’ont surtout aidé car, je devais faire de la modération bilingue. J’étais la plus jeune, puisque depuis le démarrage de l’évènement, il n’y avait qu’un seul modérateur qui avait la soixantaine.

C.A. : Vous avez une structure dénommée Improv’You, créée en 2020. Quels en sont les
objectifs ?

R.E.K. : Improv’You signifie « nous nous améliorons » en forme contractée en anglais. C’est une agence qui s’évertue à l’éducation, à la performance. On apprend aux gens à faire plus et mieux leur travail.

C.A. : Active, vous êtes membre de plusieurs associations. Parlez- nous de votre expérience.

R.E.K. : Je suis active dans plusieurs associations. Je suis la présidente de deux associations que sont l’association Fenêtre d’Afrique et l’Association des volontaires pour le développement durable (AVDD). L’association Fenêtre d’Afrique s’intéresse au continent africain, notamment le patrimoine culturel, les opportunités d’investissements.

L’un de nos objectifs est de pousser les Africains à prendre leur destin en main et d’être les agents au niveau local du développement. C’est cette association qui a lancé le projet Féminin Bloom, le 27 juillet dernier. Il vise le leadership des femmes dans leurs domaines d’activités.

Quant à l’AVDD, elle est restée pendant huit ans dans l’ombre à lancer des programmes et des stratégies d’actions. Elle joue le rôle de guide et de surveillant. Elle a produit des programmes bien connus comme le Gouvernement jeunesse Burkina et le Parlement jeunesse Burkina.

Ce sont des plateformes qui cultivent la bonne gouvernance aux jeunes pendant qu’ils ont encore la capacité de se former. Les jeunes apprennent comment gérer un ministère ou un budget, comment élaborer un plan d’actions, etc. Ils font des simulations de Conseil des ministres. Ils vont jusqu’à chercher des partenaires pour développer des projets.

C.A. : Nous sommes à la veille de la rentrée scolaire. En tant que coach, que direz-vous aux parents et aux enseignants pour la réussite des apprenants ?

R.E.K. : Notre système d’enseignement se focalise sur les notes et les moyennes pour juger les capacités des apprenants. On étudie les outils qui servent de guide. C’est une bonne chose, mais on doit susciter en eux la réflexion sur leur vocation. Il faut
inciter l’apprenant à réfléchir sur ce qu’il veut devenir plus tard.

Est-ce que ce qu’il veut faire peut donner les moyens de sa subsistance ? Est-ce qu’il pense au salaire qu’on va lui donner ? Ce questionnement va le pousser à changer d’attitude d’apprentissage. Il va, en plus des études, chercher à apprendre autre chose. Parce qu’il sait que son objectif ne peut être atteint qu’avec des connaissances théoriques et pratiques.

Sinon, il devient un diplômé qui court à la recherche de n’importe quel travail. Quand il obtient cet emploi, il n’arrive pas à servir comme il se doit. C’est ce qui affecte la plupart des administrations et des entreprises.

C.A. : Un mot sur la crise sécuritaire que traverse le pays.

R.E.K. : Nous avons aujourd’hui l’opportunité de porter haut notre pays. A cause de la crise sécuritaire, nous sommes sous le feu des projecteurs. D’aucuns diront que c’est une mauvaise visibilité. Mais, moi je pense que c’est une opportunité à saisir pour faire prospérer nos entreprises, pour affirmer notre identité.

C’est une opportunité à saisir pour donner de la visibilité à nos valeurs intrinsèques et travailler à la cohésion sociale. Profitons pour faire ce qui peut permettre à notre Nation de grandir, de trouver une place de choix dans le concert des nations. On doit montrer un Burkina Faso uni afin que ceux qui prédisent la catastrophe aient tort. Les familles doivent être des havres de paix. S’il n’y a pas de paix dans les familles, il n’y en aura pas dans la cité, dans les entreprises. Pensons paix et devenons des acteurs de paix.

Entretien réalisé
par Habibata WARA