Contrairement aux biens meubles, la sécurisation en matière foncière passe nécessairement par l’obtention d’un titre. En application de la loi 034-2009/AN sur le régime foncier rural, les propriétaires terriens peuvent désormais se faire établir des Attestations de possession foncière rurale (APFR) qui sont des titres permanents tout comme les Permis d’exploiter qui eux, sont délivrés suivant les procédures prescrites par la loi portant Réorganisation agraire et foncière (RAF) au Burkina Faso. Dans le Ziro et la Sissili (région du Centre-Ouest), de nombreux propriétaires terriens déferlent dans les services de l’Etat à la recherche de ces titres de jouissance. Mais derrière cette ruée se cache parfois des cas de mutation.
Des champs de sorgho et de maïs défilent de part et d’autre de la piste qui mène ce mercredi 16 octobre 2024 au village de Lou à une dizaine de kilomètres à l’Est de Sapouy, chef-lieu de la province du Ziro. Une grande ferme clôturée par un mur en grillage se dresse au travers de notre chemin. Le domaine s’étend sur une vaste superficie de 25 hectares. A l’intérieur se disputent plusieurs cultures et un verger de manguiers. Sous un soleil de plomb, un homme vêtu d’un tee-shirt bleu et d’un pantalon bleu clair surgit des champs et s’avance à pas cadencés vers les maisonnettes.
Il s’agit de Bapan Nama, le propriétaire de la ferme. Cet agro -businessman, passionné de l’agriculture, a préféré la campagne au confort de la ville. Grâce à son abnégation au travail, il s’est fait une place au soleil. Il est l’un des plus grands producteurs de mangues

de la province. Il pratique également le maraîchage et s’adonne à fond à la production des céréales comme le maïs et le sorgho. L’homme est aujourd’hui bien assis puisqu’il dispose d’une Attestation de possession foncière rurale (APFR). Selon l’article 44 de la loi 034-2009/AN sur le régime foncier rural, tout possesseur foncier rural dont la preuve de la possession a été établie conformément aux dispositions de la présente loi bénéficie de la délivrance d’une attestation de possession foncière rurale par le maire de la commune concernée.
Le champ de M. Bapan semble avoir englouti beaucoup d’argent au regard des investissements qu’il a réalisés. Des forages à hauts débits équipés de château d’eau et alimentés par des plaques solaires sont utilisés pour arroser arbres et cultures par la technique de l’irrigation goutte à goutte. Ces investissements, couronnement de 15 années de dur labeur, lui rapportent gros. « De nos jours, avoir le document de son terrain doit guider chaque producteur. Ça permet d’éviter les désagréments », clame-t-il. Dans le Ziro où le foncier constitue une bombe à retardement, sécuriser ses exploitations agricoles est devenu une nécessité absolue voire une question de survie.
Une procédure lente et alambiquée

aux litiges fonciers.
Mathieu Nama et Abou Nama, tous habitants de Sapouy, sont en quête de leurs titres de jouissance. Propriétaire d’un champ de cinq hectares à la périphérie de la ville, Mathieu Nama dit préférer sa terre à l’argent. Il déconseille la vente des terrains à ses parents, exhortant plutôt les uns et les autres à songer à leur progéniture. Pour la présente campagne agricole, il a emblavé plusieurs spéculations dans son champ telles que le sésame, le sorgho et le maïs. Il a, en outre, expérimenté l’arboriculture en plantant premièrement la noix de cajou et plus tard le manguier.
Mais faute d’eau et de clôture, les arbres n’ont pas résisté à la sécheresse et aux assauts des animaux. « J’ai investi plus d’un million de FCFA à perte dans ce projet », se désole-t-il. La vente des terres, à ses yeux, est loin d’être une bonne affaire. C’est pourquoi, il tient coûte que coûte à sécuriser son domaine. « Je connais beaucoup de personnes qui ont vendu leurs terrains et qui sont devenus malheureux aujourd’hui. C’est pour parer à toute éventualité que je me suis engagé à sécuriser les miens », affirme-t-il.
De son point de vue, la sécurisation du domaine est l’option la plus rassurante contre la prédation. Aux parents qui vont tenter de brader ce terrain sécurisé, Mathieu Nama dit les attendre de pied ferme. Aujourd’hui, son dossier a fait le tour des différents services et

obtenu tous les avis favorables depuis 2022. Son arrêté de cession provisoire est prêt. Il lui reste les taxes à payer et c’est là le bât blesse. Le montant qui lui a été notifié lui fait tourner la tête. Pas moins de trois millions FCFA qu’il doit aux impôts.
« J’ai demandé une requalification de la zone, ce qui a ramené la taxe à 70 FCFA le mètre carré au lieu de 100 FCFA », relève-t-il. Il plaide donc pour un allègement des taxes et l’assouplissement de la procédure. « Il faut que l’Etat nous aide à sécuriser nos terres », se lamente-t-il. Abou Nama a emboîté son pas. Il a entamé la sécurisation de sa ferme de trois hectares, aujourd’hui avalée par l’urbanisation anarchique. En effet, son domaine est actuellement englouti par des habitats spontanés communément appelés non-lotis. Il y a emblavé du sorgho et initié la plantation de diverses espèces végétales dont des plantes médicinales. Tradipraticien, il a déjà bénéficié du Projet d’amélioration de la productivité agricole et de la sécurité alimentaire (PAPSA), d’un grillage.
Ce qui lui a permis d’ériger une clôture autour d’une partie du domaine abritant le champ de sorgho, limitant ainsi les dégâts causés par les animaux. La sécurisation des

exploitations agricoles fait courir également les habitants de Bieha, commune rurale de la province de la Sissili. Producteur au village de Yallé dans ladite commune, Arzouma Namoro a commencé la sécurisation de son exploitation agricole en 2017. Ce n’est qu’en fin 2023 qu’il a reçu son Attestation de possession foncière rurale (APFR). Aux dires de M. Namoro, outre le levé topographique qui lui a coûté 400 000 FCFA, il a dû payer 25 000 FCFA par hectare à la mairie. Ne pouvant pas supporter le coût de 17 ha, il a opté d’aller par étape. « J’ai réussi à sécuriser 11 ha.
Si j’arrive à mobiliser des fonds après les récoltes, je vais entamer la sécurisation des six ha restants », souligne-t-il. La ferme est de nos jours peuplée d’arbres fruitiers de diverses espèces dont les plus importantes sont le manguier et le tangelo. Il y a également produit des céréales particulièrement le sorgho et le petit mil. Arzouma Namoro dispose suffisamment d’eau pour produire en toute saison grâce à la construction de deux forages à haut débit équipés chacun d’un château d’eau fonctionnant à l’énergie solaire. Même en campagne humide, les poches de sécheresse ne lui disent plus rien. « J’arrose le champ chaque fois que c’est nécessaire », lâche-t-il. L’appétit venant en mangeant, il ne dilapide pas les revenus engrangés dans la vente de ses productions. Ils sont réinvestis dans un autre site de production de 32 ha, situé à moins de deux kilomètres de là. La sécurisation de ce nouveau site est déjà inscrite dans son plan et ce, de manière progressive en fonction des moyens disponibles.
Un propriétaire terrien résiste à 9 millions FCFA

Producteur modèle à Léo, Anas Yago n’a pas lésiné sur les moyens pour sécuriser son domaine qui couvre une superficie de 25 ha. Il est situé à la périphérie de la ville. C’est en 2017 qu’il a entrepris la procédure de sécurisation d’une portion de 15 ha. La partie non sécurisée qui représente une superficie de 10 ha est remise aux autres membres de la famille. A l’intérieur de son champ foisonnent toutes sortes de cultures. On y trouve des tubercules (manioc, patate douce à chair orange, igname…), des céréales (maïs, sorgho) et du niébé…A cela s’ajoute l’élevage de la volaille et des petits ruminants.
Au départ, les tentatives d’expropriation n’ont pas manqué. Des bornes implantées par des prédateurs fonciers avant son installation dans la ferme sont les signes visibles des tensions qui ont existé sur les lieux. « Comme ils n’ont pas pu arracher mon terrain par la force, ils sont revenus pour tenter de me corrompre avec 9 millions FCFA mais j’ai refusé », se souvient-il. Alors qu’il semblait avoir tourné définitivement la page, les mêmes acteurs tentent de mettre des bâtons dans ses roues au moment de la sécurisation de son domaine. De ses explications, son dossier a mystérieusement disparu dans le circuit. Il a fallu une visite dans sa ferme de l’ancien ministre en charge de l’agriculture, Salif Ouédraogo, pour décanter la situation.
Les agents qui ont bloqué son dossier ont reçu un ultimatum de deux semaines pour finaliser son traitement. Suite aux menaces à peines voilées du ministre, le dossier refait surface miraculeusement à la mairie de Léo. « Le jour qu’il a été retrouvé, nous avons
acheté deux paquets de lotus pour le dépoussiérer », se rappelle M. Yago. Le titre qui lui a été délivré est le Permis d’exploiter, obtenu après cinq ans d’attente. Là encore, un délai de trois mois lui avait été donné pour payer toutes les taxes dont les montants cumulés s’élèvent à plus de trois millions FCFA.
« Je n’avais pas cette somme et je ne comprenais pas pourquoi on me mettait autant de pression plus que les autres demandeurs. Le ministre Ouédraogo m’a aidé avec la moitié des frais et par la grâce de Dieu, j’ai eu un contrat de 9 millions dans la production de boutures de manioc avec une ONG et c’est ce qui m’a permis de solder le montant restant dans le délai imparti », soutient-il. De ce bras de fer où il est sorti vainqueur, Anas Yago

fonce avec sérénité sachant que rien ne peut dorénavant troubler son sommeil dans sa position actuelle. Mieux, son site est devenu une ferme école où beaucoup d’étudiants et d’élèves stagiaires des écoles d’agriculture viennent apprendre.
Ces titres qui ouvrent les portes du financement
Ces titres de jouissance, APFR et Permis d’exploiter, offrent des opportunités à leurs détenteurs. A l’évidence, Bapan Nama ne dira pas le contraire. Il a déjà utilisé son APFR comme une garantie pour emprunter 3 millions FCFA auprès des institutions financières. Ce prêt, il a fini de le rembourser au bout d’une seule année. « Personne ne peut nier l’importance de ce document pour les producteurs que nous sommes », atteste-t-il. Ce titre de jouissance a aussi ouvert les portes du financement à Arzouma Namoro de Yallé. Au début de la présente campagne agricole 2023-2024, il a garanti son APFR auprès d’institut de micro finance afin d’obtenir un crédit de 7 775 000 FCFA.
Il s’agit d’après lui, d’un crédit d’investissement, payable en 12 échéances pendant une période de trois ans. « Quand les agents ont vu le document et l’investissement déjà réalisé, le prêt m’a été accordé sans hésitation », se réjouit-il. Les autorités burkinabè ne cessent d’encourager les producteurs à sécuriser leurs terrains. Arzouma Namoro apprécie cette vision d’autant que les propriétaires terriens ont beaucoup plus à gagner qu’à perdre avec les titres de jouissance. Dans le Ziro, la sécurisation foncière draine du beau monde, naturellement à cause de ses énormes potentialités agricoles, fait remarquer le responsable des affaires domaniales et foncières de la marie de Sapouy, Christophe Nama.
Il note avec une pointe de satisfaction qu’environ 200 APFR ont déjà été délivrés au profit des propriétaires terriens. A entendre Christophe Nama, il y a deux types de demande d’APFR, à savoir les demandes collectives et les demandes individuelles. « Concernant la demande collective, les membres de la famille joignent leurs pièces à la demande et désignent un mandataire qui est chargé de conduire tout le processus en leurs noms », éclaire-t-il. Pour se prévaloir d’un droit quelconque sur une terre, il faut avoir un titre, martèle Inoussa Ouédraogo, directeur provincial des impôts du Ziro.

Il cite à cet effet la loi portant Réforme agraire et foncière (RAF) qui est la principale en matière de sécurisation foncière au Burkina ainsi que la loi 034 relative au régime foncier rural. Une pile de dossiers est entassée dans le bureau du receveur des domaines. Il y a un engouement des propriétaires terriens autour des APFR, laisse entendre M. Ouédraogo. De son avis, il y a deux types de titres affectés aux terrains à usage agro-sylvo-pastorale. Il s’agit de l’Attestation de possession foncière rurale (APFR) et du Permis d’exploiter. « Mais le préalable au Permis d’exploiter est que vous allez avoir un arrêté de cession provisoire délivré par le ministère des finances. C’est le premier titre qui fonde le droit du producteur sur son domaine », précise-t-il.
Après la délivrance de l’arrêté de cession provisoire, signale M. Ouédraogo, le producteur procède au paiement des droits et taxes auprès du receveur des domaines avant de mettre son terrain en valeur tel que prévu dans le projet. A l’issue de cette phase, l’on procède à l’évaluation des investissements. Le permis d’exploiter ne lui est délivré que si toutes ces conditions sont remplies. Il est signé par le maire ou le Président de la délégation spéciale (PDS). A en croire Inoussa Ouédraogo, ce titre de jouissance a la même valeur juridique que le Permis urbain d’habiter (PUH). La réalité est que, dévoile-t-il, la majorité des demandeurs de ces titres dans le Ziro ont vendu leurs terrains. « Le titulaire formule la demande en son nom mais il fera le transfert au nouveau possesseur », explique-t-il. Les APFR et les Permis d’exploiter ne sont que des documents de mi-parcours.
Le titre foncier, un objectif
Anas Yago, Bapan Nama et Arzouma Namoro visent plus loin. Leur objectif est le titre foncier. C’est visiblement l’étape la plus dure à franchir en matière de sécurisation foncière compte tenu de ses exigences. « L’Etat ne perçoit pas de taxes de jouissance sur les APFR mais lorsque le producteur veut un titre foncier de son domaine, il faut qu’il ait pu mettre en valeur son terrain dont la valeur minimum est égale à 20 fois la taxe de jouissance qu’on aurait dû percevoir », indique le DP des impôts du Ziro. A titre illustratif, si la taxe de jouissance qu’on aurait dû percevoir coûte 3 millions FCFA, le producteur ne peut prétendre au titre foncier que si son investissement minimum est évalué à 60 millions FCFA.
A ce niveau, Christophe Nama avoue que les taxes perçues par la commune de Sapouy sur les terrains à usage agricole sont parmi les plus faibles au Burkina avec seulement 300 FCFA à l’hectare. Cependant, reconnait-il, l’arbre ne doit pas cacher la forêt. A l’écouter, la procédure fait intervenir d’autres acteurs et services de l’administration qui font gonfler les frais. « Le traitement du dossier ne se fait pas en fonction de la superficie du terrain, il y a la taxe de résidence qui entre en ligne de compte, bref, il y a des frais qui ne relèvent pas de la commune », se défend-il. La loi N°034-2009/AN portant régime foncier rural a institué un fond dénommé Fonds national de sécurisation foncière en milieu rural.
Il est affecté à la promotion et à la subvention des opérations de sécurisation foncière en milieu rural. Si certaines communes ont déjà bénéficié de ce fonds, ce n’est pas le cas à Sapouy. Christophe Nama avoue que sa commune n’a pas encore reçu un kopeck de ce

fonds à cause des critères d’éligibilité qui sont difficiles à respecter. Il soutient en revanche que l’église catholique a déjà aidé la commune à délivrer des APFR au profit des producteurs. Les APFR et les Permis d’exploiter ne sont délivrés au demandeur que lorsque celui-ci arrive à prouver qu’il est le véritable propriétaire terrien (voir encadré). C’est ce que révèle également l’agent domaniale de la mairie lorsqu’il déclare : « Il y a une disposition de la loi qui prévoit que le propriétaire terrien peut faire la demande à son nom et procéder ensuite à une mutation au nom de celui qui achète le terrain ».
La ruée des uns et des autres vers les titres de jouissance suscite des interrogations chez Christophe Nama. Selon lui, derrière de nombreuses demandes de titres de jouissance se cachent des mutations. « Généralement, il y a quelqu’un derrière qui veut que le document soit établi au nom du propriétaire terrien afin de lui permettre d’en faire une mutation », déplore-t-il. Et ce n’est pas tout. Des producteurs ayant bénéficié de dons de terres ou ayant acheté leurs terrains avec pour seul document, la procuration ou la décharge, peinent à obtenir leurs titres de jouissance.
En pleine récolte de son maïs à Lou, Mathieu Compaoré est aujourd’hui à la croisée des chemins. Il n’arrive pas à établir l’APFR d’une ferme agricole achetée à 3 millions FCFA avec un autre producteur qui n’est pas propriétaire terrien. Les négociations avec les autochtones sont également au point mort.
Le producteur semble perdu dans ses pensées si bien qu’il ne sait plus à quel saint se vouer. Les documents colmatés par les parties dans la vente des
terrains ne sont pas reconnus par l’administration, fait observer Christophe Nama qui exhorte les agents à être très vigilants dans le traitement des dossiers liés à la sécurisation foncière.
Ouamtinga Michel ILBUDO
omichel20@gmail.com
