Paul Ouédraogo, ancien président de l’APROMA-B : « Pour l’avenir de la filière mangue, nous sommes sur une bonne trajectoire »

L’ancien président de l’APROMAB, Paul Ouédraogo, à propos des pisteurs : « je vous assure que moi-même qui produit et transforme la mangue, souvent je n’ai pas les mains libres pour l’amener en ville ». 

Ayant occupé plusieurs postes au sein de la filière mangue dont celui de président de l’Association interprofessionnelle de la mangue du Burkina (APROMA-B) de 2013 à 2021, Paul Ouédraogo est une figure de proue dans le secteur arboricole. Outre la production fruitière, il s’est aussi lancé dans la transformation à Orodara. Dans les lignes qui suivent, l’ancien directeur de la Coopérative agricole du Kénédougou (COOPAKE) jette un regard sur l’avenir de la filière mangue ainsi que les innovations qui y sont apportées.

Carrefour africain (C.A.) : En tant qu’acteur clé de la filière mangue, quel regard portez-vous sur elle aujourd’hui ?

Paul Ouédraogo (P.O.) : Je suis dans la production de la mangue depuis 1987. J’ai été pendant une vingtaine d’années directeur de la Coopérative agricole du Kénédougou (COOPAKE). J’ai été aussi le président de l’Union nationale des producteurs de mangues du Burkina de 2011 à 2020 et président de l’Association interprofessionnelle de la mangue du Burkina (APROMA-B) de 2013 à 2021. A ce titre, j’ai été au cœur de beaucoup de choses. Jusqu’à preuve du contraire, la mangue est un produit alimentaire avant d’être un produit du marché.

Si vous partez travailler dans une plantation de mangues au moment de la récolte, vous n’avez pas besoin d’apporter de la nourriture. Deux ou trois mangues suffisent. Partout au marché ou aux abords des voies, on vend la mangue. Cela fait  circuler  l’argent.  C’est  un produit pour les Burkinabè avant d’être un produit pour la transformation ou pour l’extérieur. Pour moi, l’avenir de la filière est prometteur. Toutefois, il faut consolider l’existant. Nous sommes sur une bonne trajectoire.

Dans les années 1985, le chargement d’un camion de dix tonnes de mangue était à 50 mille F CFA, celui de sept tonnes à 35 mille F CFA et le plein du véhicule Peugeot bâche à 15 mille F CFA. Mais aujourd’hui, le chargement de dix tonnes est à 600 mille F CFA, les sept tonnes à 500 mille F CFA et la Peugeot bâche à 150 mille F CFA. Cette hausse des prix est due à l’activité du séchage qui compte 122 unités actuellement au Burkina. Si on touche à cette activité, la filière va chuter.

Il y en a qui tirent à boulets rouges sur les unités de séchage. Pourtant, ce sont elles qui contribuent à améliorer les prix de la mangue. Il y a des unités à Orodara qui emploient plus de 300 personnes durant six mois. Elles contribuent à élever le niveau de la production et à rendre attrayante la filière.

Concernant les difficultés, elles sont liées au développement des manguiers, sinon le manguier lui- même n’a pas de problème. Le manguier se trouve partout au Burkina Faso. Maintenant, la question qui se pose est de savoir quelle variété pour quel endroit du pays ? Par exemple, si on plante les variétés Brooks et Amélie dans le Sahel, il n’y aura aucun souci. Mais si ce sont les autres variétés, il faut créer un environnement favorable pour que ça marche.

C.A. : L’an passé, le Burkina Faso a connu une canicule sans précédent qui a impacté la vie des arbres. Comment vous l’avez vécue dans votre verger ?

P.O. : Je n’ai pas eu d’arbres morts dans mon verger dus à la canicule. Puisque je suis à côté d’un cours d’eau, le Guénako. Mais chaque année, s’il y a des manguiers qui n’ont pas pu survivre, il faut les remplacer et arroser. Sinon, ils n’atteignent pas l’autre saison. Le manguier ne demande pas beaucoup d’eau. Entre 30 et 40 litres par semaine, c’est suffisant. Mon verger de manguiers fait 12 hectares et est situé à Kourinion. Les variétés qui s’y trouvent sont les Lippens, la Kent, la Kéit, la Brooks et l’Amélie. Je produisais aussi la banane, le tangelo, la mandarine et la papaye. Mais compte tenu de l’âge qui avance, j’ai dû arrêter pour me consacrer aux manguiers. Dans l’agrobusiness, on ne doit pas confier la gestion à quelqu’un et tourner le dos comme dans l’agro- industrie alimentaire.

C.A. : A un moment donné, les producteurs ont senti le besoin d’aller à l’irrigation des vergers de manguiers. Qu’est-ce qui a motivé ce choix ?

P.O. : En campagne 2016-2017, les manguiers ont fleuri et les fleurs ont chuté par la suite. C’était la   désolation. Nous   avons convoqué une réunion surnommée « le symposium des vergers » et invité toutes les sommités à la discussion. Beaucoup ont parlé de vieillissement des arbres. Mais un ingénieur agricole, formé en Russie, a dit le contraire. Il a démontré que ce sont les effets du climat qui ont provoqué la chute des fleurs. Parce qu’il y a eu un bond de la température qui a coïncidé avec la floraison. Donc, les arbres avaient besoin d’eau.

C’est à partir de là que nous avons senti la nécessité d’aller à l’irrigation des vergers de manguiers pour avoir une production optimale. Le manguier est une plante royale qui peut produire cette année et, même dans les conditions normales, refuser de donner l’année suivante. Mais s’il y a un apport d’eau, il va produire. Parfois sur un seul manguier, on peut avoir des fruits de plus d’une tonne. Je me suis amusé à compter les fruits sur chaque manguier et il y en a qui ont 300, 400, voire 600 mangues.

Si on apporte l’eau et la fertilisation nécessaire, on peut maintenir une bonne production. Il y a certains travaux après la récolte qu’il faut exécuter, notamment labourer légèrement pour permettre de garder un taux d’humidité résiduel dans le sol. L’irrigation a été identifiée à l’époque comme un élément d’avenir pour les vergers. Cette découverte nous a conduits au Brésil et au Pérou. Des Péruviens sont même venus au Burkina et ont confirmé que c’est l’irrigation qui nous manque dans les vergers. Voilà pourquoi il y a de l’engouement autour de l’irrigation de nos jours.

En  son  temps,  le  Programme d’appui aux filières agro-sylvo- pastorales (PAFASP) a aidé des producteurs à créer des vergers modernes  dont  la  superficie  minimale était de cinq hectares. Beaucoup ont souscrit à ce projet et reçu des financements. Il s’agissait de faire des châteaux d’eau, avec un système d’irrigation gravitaire, californien ou goutte-à-goutte selon le relief. Au plan national, ce sont 1 235 hectares de vergers de manguiers qui sont irrigués. Cela veut dire que sur les 33 mille hectares de vergers de manguiers au Burkina Faso, il y a eu plus de 1 200 ha de nouveaux vergers irrigués qui se sont ajoutés. C’était autour de 2015.

C.A. : Avez-vous bénéficié de cette aide du PAFASP pour irriguer votre verger ?

P.O. : En partie, oui. J’ai eu la malchance d’être parmi les derniers à souscrire et le financement s’est arrêté à un moment donné. J’ai installé le réseau d’irrigation mais je n’ai pas pu installer le poly tank pour tirer l’eau de la rivière Guénako pour arroser. Je suis à ce stade jusqu’à aujourd’hui. Si mon verger était irrigué, la physionomie des arbres allait changer, de même que leur productivité. Néanmoins, je continue de respecter les autres techniques d’entretien, c’est-à- dire couper les branches et faire des labours en fin de saison, généralement en septembre, pour maintenir un bon tapis qui puisse soutenir la floraison.

C.A. : Vous qui avez été au cœur de la mise en place de l’irrigation dans les vergers, quelles peuvent être ses contraintes majeures ?

P.O. : Les contraintes majeures sont liées à l’indisponibilité de l’eau et à l’insuffisance des moyens financiers et techniques. S’il n’y a pas de cours d’eau, il faut forer. Et c’est coûteux. Là où il y en a, il faut du matériel pour convoyer l’eau sur une certaine distance. Si on a des financements, on peut surmonter ces difficultés. Sinon à l’heure actuelle, nous avons les capacités pour installer des vergers modernes.

C.A. : Quel système d’irrigation convient-il le mieux aux arbres fruitiers, notamment les manguiers ? Etant voisin depuis 1987 de l’ex- Flex-Faso, j’ai vu que cette société utilisait le système goutte- à-goutte pour les agrumes et les manguiers et l’aspersion pour l’ananas et la banane. Chez moi, c’est le système gravitaire que j’ai beaucoup utilisé avec des motopompes pour mes agrumes, parce qu’il est simple et maitrisable. Le goutte-à-goutte est très sophistiqué et demande de l’eau filtrée pour ne pas boucher les trous des tuyaux. Ce système est intéressant mais coûteux.

C.A. : Qu’en est-il du renouvellement des vergers de manguiers prôné par l’Offensive agropastorale ?

P.O. : Le renouvellement des vergers de manguiers a été l’autre volet soutenu par le PAFASP. On avait des ingénieurs agronomes dans notre groupe qui ont suggéré de faire des tailles de fructification, de formation et d’entretien. Les labours des vergers font aussi partie des recommandations. Et la première année, on a constaté un boom. Les résultats étaient tangibles. L’Offensive agropastorale est venue renforcer les filières porteuses qu’on avait définies. Pour moi, ses objectifs sont déjà atteints. Seulement que les gens ne le savent pas. Grâce aux projets qui soutiennent la filière mangue, on a augmenté les unités de séchage et amélioré la production.

L’Offensive doit continuer d’appuyer les vergers modernes. Le PAFASP et le Plan national de développement  économique  et social (PNDES) ont beaucoup appuyé la transformation, parce que c’est elle qui tire la filière mangue de nos jours. Notamment à travers les unités de séchage qui absorbent une grande quantité de la production. De 2016 à nos jours, on est passé de 20 unités de séchage à 122. Contrairement à ce qu’on pourrait croire, les unités industrielles absorbent une petite quantité des 300 mille tonnes de mangue au niveau national. Certaines unités industrielles utilisent la purée de mangue mais il se trouve qu’elle est fabriquée au Mali.

C.A. : Vous êtes également dans la transformation. Depuis quand avez-vous commencé cette activité ?

J’ai commencé la transformation en 2000. Je fais le séchage et des jus de fruits. J’ai suivi des formations au Ghana et ce qui est fait là-bas n’est pas extraordinaire. Ils mettent l’accent sur l’hygiène, la technicité et le respect du process, c’est-à-dire les différentes étapes de fabrication du produit. J’ai visité un agro transformateur à Accra qui produit la sauce gombo, le ragoût d’igname et la sauce feuille qu’il met dans des boites hermétiquement fermées, avec les spécifications sous l’emballage pour la vente au Ghana et en Grande Bretagne.

Il y a une forte communauté ghanéenne dans ce pays qui consomme ces produits et il faut que ça respecte les normes européennes pour y être convoyés. A l’époque, quand je faisais la prospection pour installer mon unité, le Ghanéen m’a dit que les grosses unités ne fonctionnent pas en Afrique et j’ai nié. Il me dit de citer deux grandes unités au Burkina qui marchent ; je n’ai pas pu parce qu’il n’y en avait pas. Il soutient que les grandes unités sont conçues dans un contexte culturel et sociologique bien donné.

Il estime que les Africains sont lents dans la gestuelle et qu’on doit aussi construire des unités industrielles qui respectent cela. Dans son unité, il n’y a que de petites machines, mais ce qui est frappant, ce sont l’hygiène et le laboratoire d’analyses. Si j’arrive à trouver des emballages qui correspondent à mes produits, vous n’allez pas savoir qu’ils viennent de Orodara.

Entretien réalisé par

Mady KABRE

 

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