Restauration des sols dégradés dans le Kourittenga: Quand la vie renait des terres « mortes »

Le sorgho, avec ses épis lourds, promet une récolte abondante.

Dans le Kourittenga (Koupéla), une province de la région du Nakambé, l’espoir renait chez les producteurs agricoles. Ici, la terre n’est plus condamnée à la stérilité. Sous le soleil brûlant, des hommes et des femmes relèvent chaque jour le défi de la restauration des sols. Dans les villages de Gorgo et de Baka, des champs jadis abandonnés sont de nouveau couverts de verdure. Leur secret ? Des techniques innovantes, simples et naturelles, sans produit chimique.

Ce lundi 13 octobre 2025, il fait chaud à Gorgo, un village de la commune de Koupéla dans la région du Nakambé. Les pluies sont devenues rares. La campagne humide s’achemine vers sa fin. La poussière vole sur la piste. Soudain, on débouche sur une clôture. A l’intérieur, c’est un autre monde. Trois hectares et demi de verdure attire les regards. L’herbe, le riz, le sésame, le maïs, le sorgho, le niébé, les arachides, les manguiers, les goyaviers, entre autres, s’y épanouissent. Les habitants n’en croient pas leurs yeux. Un an plus tôt, aucun agriculteur n’osait s’aventurer sur cet espace. Même les animaux errants l’ignoraient. Le sol était dur, craquelé, sans la moindre vie.

La terre, épuisée par des années de culture, d’érosion et de vents, avait été délaissée. Aujourd’hui, le changement est palpable. Un écran de verdure luxuriante brille sous la lumière dorée du soleil. Derrière cette transformation, se cache une actrice-clé : l’association Béog-nèré, promotrice d’une agriculture durable au Burkina Faso. Depuis le début de la campagne humide, elle expérimente, en combinant plusieurs techniques, la reconstitution de la fertilité de ces sols arides. Ses efforts ont finalement payé. Oumarou Koanda, habitant du village, se souvient :
« avant, c’était un sol mort. Pas une seule herbe.

Même les arbres n’y poussaient plus ». Comme lui, de nombreux producteurs de Gorgo ont vu ce terrain se dégrader mais sont restés impuissants. Mais de nos jours, ils nourrissent l’espoir de récupérer toutes les terres qui sont dans la même position. La plupart, formés à de nouvelles pratiques agricoles, observent, apprennent et essaient de dupliquer ces techniques sur leurs propres terrains. Dans ce champ devenu un laboratoire à ciel ouvert, les résultats parlent d’eux-mêmes. Issouf Bélemgnégré, lui aussi de Gorgo, confirme : « cet espace était abandonné. Mais maintenant, la verdure a repris ses droits. Même le riz pousse bien ici ». On pensait la terre définitivement perdue. Mais ces résultats démontrent le contraire. M. Bélemgnégré dit être convaincu que l’infertilité des sols n’est pas une fatalité. L’association veut le prouver à travers ses actions : chaque parcelle peut revivre.

Des techniques qui changent tout

Dans cette parcelle-témoin pousse le maïs.

Martin Nabaloum, chef d’antenne de Béog-nèré agroécologie à Koupéla, contemple les cultures avec fierté. « En tant qu’agro-écologiste, nous avons nos techniques pour restaurer cette fertilité du sol. En moins d’un an, tout a changé », dit-il, tout joyeux. Dans cette ferme expérimentale, l’agriculture se passe de produits chimiques. On mise sur des méthodes naturelles : demi-lunes, zaï, cordons pierreux. Mais surtout, une technique simple et efficace : le bokashi, un compostage venu du Japon. Il produit des biofertilisants à partir des déchets organiques. Il nourrit le sol, stimule la vie microbienne et aide les racines à se fixer profondément.

Autre lieu, même constat. A Baka, village situé dans la commune de Pouytenga, la campagne agricole touche également à sa fin. Les champs de mil et de sorgho s’étendent à perte de vue. Les épis, qui ploient sous leur poids, annoncent une récolte exceptionnelle. Le maïs, lui, attend d’être cueilli. D’un champ à l’autre, les cultures rayonnent de vitalité. Quel est le secret des producteurs de ce village ? Ils évoquent la magie du bokashi qu’ils ont associé à d’autres techniques de récupération des terres. Moussa Kaboré, point focal de Béog-nèré, ne cache pas sa joie. Il admire ses champs, fier et ému.

« Nous avons vaincu la stérilité de nos sols », clame-t-il. Chaque jour, il arpente les pistes sur sa mobylette. Il sensibilise et forme ses collègues à fabriquer les biofertilisants qui redonnent vie à leurs terres. « Nous appliquons à la lettre ce que nous avons appris », lâche-t-il. Conscients que les engrais chimiques fatiguent leurs sols, la plupart des producteurs ont choisi une autre voie. Ils ont tourné le dos aux pesticides et autres engrais chimiques. L’agriculture biologique s’impose. La santé de la terre et celle des hommes en dépendent.

Seuls quelques individus ont encore recours aux engrais minéraux. Même eux commencent à s’intéresser de plus en plus au bokashi et aux autres techniques de restauration des sols, foi de Moussa Kaboré. Le chef du village montre l’exemple. Lui aussi produit du bokashi, destiné principalement à amender ses sols incultes. De plus en plus, il observe avec beaucoup d’enthousiasme le retour de la fertilité.

« On nous propose des engrais chimiques, mais nous refusons. Ils détruisent nos sols et nous rendent malades », affirme-t-il. Des propos soutenus par Boukari Kaboré qui rappelle sa longue mésaventure avec les herbicides. « J’avais des douleurs dans le corps après chaque pulvérisation et mon sommeil était troublé la nuit », confie-t-il. Mais depuis qu’il a tourné la page à ces produits toxiques, ce mal a miraculeusement disparu. Il soupçonne donc les produits chimiques d’être à la base de ses souffrances passées. Les services de l’environnement, des Eaux et forêts suivent de près ces bonnes initiatives. Ils multiplient les visites sur le terrain et prodiguent des conseils aux producteurs. Amado Nikièma, contrôleur des Eaux et forêts en service à Koupéla, souligne les effets néfastes des produits chimiques sur les terres.

« Les engrais chimiques acidifient nos sols. Les pays qui en ont abusé sont devenus aujourd’hui désertiques », souligne-t-il. Et de poursuivre « ceux qui ont renoncé aux

Martin Nabaloum, membre de
Béog-nèré : « en moins d’un an,
la physionomie du terrain a
changé ».

engrais chimiques s’en sortent pourtant très bien ». Face à cette situation, il exhorte les producteurs à s’en débarrasser et à privilégier des méthodes naturelles, plus respectueuses de l’environnement. Le chef de Baka, brandit des preuves attestant de l’efficacité de ces méthodes naturelles. « J’ai appliqué le compost bokashi dans mon champ de sorgho. A cause d’une maladie de mon fils, je n’ai pas pu le désherber. Cependant, ma récolte sera bien meilleure à celle d’avant sous les engrais chimiques », révèle-t-il. Boukari Kaboré partage son optimisme.

« Aucun de nous n’a utilisé un gramme d’engrais pour ses cultures durant cette campagne », déclare-t-il. Que ce soit à Gorgo ou à Baka, les producteurs sont de plus en plus émerveillés par les résultats. Les terres, longtemps stériles, retrouvent à nouveau leur fertilité. Les rendements augmentent. Les paysages changent. D’autres villages s’inspirent déjà de l’expérience de ces deux localités. Selon Boukari Kaboré, Baka est désormais un modèle pour les villages voisins.

L’espoir renait chez les producteurs

« Ils parlent de notre succès. Depuis trois ans, nous produisons de manière saine et préservons nos terres face au changement climatique », dit-il. Partout, la question est la même : comment restaurer la terre sans l’épuiser davantage ? Le bokashi, facile à fabriquer, peu coûteux, répond à cette attente. L’association Béog-nèré poursuit ses efforts. Son objectif est d’essaimer ces pratiques dans tout le Kourittenga, et même au-delà. Les producteurs, autrefois découragés, sont désormais sereins et confiants. Ils savent que, même sur une terre apparemment morte, la vie peut renaître.

Le bokashi n’est pas une baguette magique. Il montre que des solutions, à portée de main, existent. Baka est un bel exemple à suivre. « Avant, j’avais des champs où on ne pouvait cultiver que du niébé. Maintenant, on y produit toutes sortes de spéculations sans problème », avoue Boukari Kaboré. En outre, il estime que ces techniques présentent de nombreux avantages. Parmi ceux-ci, dévoile-t-il, la bonne conservation des récoltes sans conservateur. « Mes anciens stocks de sorgho restent toujours intacts. J’ai l’impression qu’il vient d’être récolté », relève M. Kaboré.

Ces avantages, il ne veut en jouir seul. Dès lors, il tente de convaincre les plus sceptiques à rejoindre les rangs. « J’ai partagé mes connaissances avec deux productrices avant de leur offrir des biofertilisants bokashi pour essayer dans leurs champs. A la surprise générale, elles ont récolté plus que d’habitude sur les mêmes parcelles », raconte-t-il. Dans cette bataille contre l’infertilité des sols, les femmes jouent un rôle clé. Sadia Sana, productrice de Baka, ne semble plus douter de l’efficacité de ces techniques. Mieux, ses terres ont été restaurées et ses rendements revus à la hausse. Dans sa coopérative, la fabrication du compost bokashi et autres biofertilisants n’a plus de secret.

Oumarou Koanda, habitant de
Gorgo, est séduit par la verdure
qui reprend ses droits grâce
à l’efficacité des techniques
de restauration du sol.

Les membres forment d’autres femmes du village et des villages environnants désireuses de suivre leurs pas. Plus aucune terre n’est délaissée à Baka, peu importe sa dégradation, affirme Mme Sana. Le contrôleur des eaux et forêts, Amado Nikèma, énumère deux techniques de restauration des sols dégradés. La première, biologique, consiste à planter des arbres, notamment des espèces fourragères riches en azote, dans les sols arides. « En deux ou trois ans, ces sols se régénèrent et la verdure revient », assure-t-il. La deuxième méthode est mécanique et comprend des techniques comme le zaï, les demi-lunes et les cordons pierreux.

« Nous avons pu récupérer beaucoup de terres avec ces méthodes. C’est un succès total », indique M. Nikièma. D’autres techniques continuent d’émerger dans la zone avec la même détermination : reconstituer la fertilité des sols dégradés. C’est le cas de l’ensemencement d’herbes à travers le labour à la charrue Delfino. La scarification, une méthode naturelle visant à créer des sillons profonds dans le sol, permet une meilleure infiltration de l’eau. « Ces sillons accueillent des résidus organiques qui enrichissent le sol », détaille Amado Nikièma. Au Burkina Faso, la Coopération belge au développement (ENABEL) expérimente cette technique via le projet Rilgré, démarré en 2023.

L’objectif étant de récupérer 2 650 hectares de terres dégradées dans les régions de l’Oubri, des Koulsé et du Nakambé. Pour la campagne agricole 2024, 1 160 ha de terres dégradées ont été ensemencées d’herbes fournies par le Centre national des semences forestières (CNSF). Lors d’une visite en septembre 2024, les retours
sont encourageants. Mathieu Naré, habitant de Kourit-Bilyargo, assurait : « ce terrain, qui était une clairière, est devenu verdoyant grâce au projet Rilgré. Nous l’avons longtemps vu stérile, mais aujourd’hui, il abrite de l’herbe, fournissant du fourrage à nos animaux. Avec les pluies, l’eau reste ici et garde le terrain humide ». La forêt communale de Koupéla, d’une superficie de 40 ha, redresse la tête grâce à ces différentes techniques. Amado Nikièma fait état de 16 ha déjà restaurés. Dans le Kourittenga, la restauration des sols n’est plus un rêve mais une réalité. Les champs verdissent, les rendements augmentent, les producteurs sourient.

Ouamtinga Michel ILBOUDO
omichel20@gmail.com


 

Le bokashi, fabrication et mode d’emploi

Mais qu’est-ce donc que le bokashi ? Et comment le fabrique-t-on ? Ici, tout le monde connaît la recette. Argile de termitière : elle retient l’eau et fixe les nutriments. Bouse de vache : riche en azote, phosphore, potassium. Balle de riz : conserve l’humidité, régule la température, stimule la vie microbienne. Son de céréales : déclenche l’activité bactérienne. Poudre de charbon : régule la chaleur, aide l’eau à s’infiltrer. Cendre de bois : riche en potassium. On commence par préparer une solution mère.

On mélange 1 kg de levure (de préférence dolotière) avec 1 kg de sucre blond ou de jus naturel dans 30 litres d’eau. Cette solution va activer la fermentation. Ensuite, on superpose les couches : d’abord l’argile (une brouettée), puis la bouse de vache (une brouettée), la balle de riz, le son de céréales et on saupoudre la couche avec la cendre et le charbon. Chaque couche est arrosée de la solution mère. On peut répéter l’opération autant de fois que nécessaire. Les cinq premiers jours, il faut retourner le tas matin et soir. Ensuite, une fois par jour jusqu’au dixième jour.

Puis, on laisse reposer encore cinq jours. Au quinzième jour, le bokashi est prêt à l’emploi. On le fabrique à l’ombre, près du champ pour faciliter son transport. Après chaque retournement, on recouvre le tas de paille. On n’utilise jamais de bâche. L’application dépend des cultures. Pour les techniques en demi-lunes ou zaï, on met du bokashi dans le poquet ou la demi-lune. Sinon, on en dépose au pied de chaque plant, dans un trou qu’on referme après application. Cette méthode empêche l’eau d’emporter le fertilisant. Le bokashi s’utilise surtout sur les terres arides. Il redonne vie à la terre nue et favorise la croissance des plants.

O.M.I