Exploités depuis près de 30 ans pour une culture intensive, les sols de la plaine rizicole de Bagré, dans la province du Boulgou, région du Nakanbé, enregistrent de nos jours une baisse de fertilité. Cette situation affecte les rendements des producteurs qui, pourtant, doivent passer bientôt à trois campagnes agricoles par an. Pour relever ce défi, les responsables de Bagrépôle ne cessent de multiplier les initiatives, dont des formations au compostage, en vue de restaurer les sols appauvris.
Sur la plaine rizicole du pôle de croissance de Bagré ou Bagrépôle, ce mercredi 15 octobre 2025, les producteurs, comme à l’accoutumée, sont à la tâche. La campagne humide est toujours en cours. A vue d’œil, les parcelles présentent un visage hétérogène. Sur certaines, du riz au stade de tallage et d’épiaison sur d’autres. Sur d’autres encore, c’est du riz à maturité qui est en train d’être fauché ou en attente de l’être. Les rizeries commencent à accueillir leurs matières premières. Les rendements, eux, varient d’un producteur à l’autre. Les facteurs de cette variation sont multiples mais l’appauvrissement des sols semble le plus préoccupant.
Yacouba Bambara, 69 ans, exploite un hectare (ha) sur la plaine rizicole depuis 2002. Sa parcelle est située sur la rive gauche du fleuve Nakambé. Au début, raconte-t-il, le sol était riche et ses rendements étaient de l’ordre de 4 tonnes (t) à l’hectare. Mais au fil du temps, M. Bambara a vu ses rendements baisser à 3t à l’hectare. Pourtant, insiste le producteur, il a toujours appliqué les engrais minéraux dans sa rizière. Malgré ces apports de fertilisants, sa production a continué de baisser. Yacouba Bambara, par ailleurs président de la coopérative Koumalè (entente, en bissa), se dit convaincu que son sol est épuisé à la suite des 23 années d’exploitation, soit 46 campagnes sur la même parcelle.
Le président de l’Union des groupements de producteurs de riz de Bagré (UGPR-B), Adama Bantango, abonde dans le même sens. Ce sexagénaire totalise 28 années de présence sur la plaine rizicole.
Des rendements en baisse

de l’insuffisance de compost dans la parcelle.
Sa première parcelle, située sur la rive droite, il l’a acquise en juillet 1999. « J’ai fait 52 campagnes sur cette parcelle. Elle est fatiguée maintenant », relève M. Bantango. A ses débuts, signale-t-il, son lopin de terre lui rapportait entre 4 et 5t de riz à l’hectare. Par la suite, ce rendement a périclité pour se situer entre 3 et 4t. Cette contreperformance, M. Bantango l’impute en partie au vieillissement de la terre qu’il retourne en toute saison.
Jacques Kéré (65 ans) a également une vingtaine d’années d’expérience dans la production rizicole à Bagrépôle.
Comme chez les autres, lui aussi a vu ses rendements baisser progressivement de 5t à 3, voire 2t à l’hectare. A son avis, cette décroissance est liée à des facteurs tels que les maladies des cultures, l’insuffisance de la main-d’œuvre mais surtout la baisse de fertilité du sol. Plusieurs producteurs ont, en effet, signalé l’existence d’une maladie qui attaque le riz et impacte de façon considérable les rendements. Il ressort que les plantes de riz jaunissent et restent au ras du sol jusqu’à l’épiaison.
Dans la parcelle de David Noaga Boré, nous faisons ce constat sur des pieds de riz rabougris dont le tallage semble perturbé. « J’ai appliqué de l’engrais chimique et un peu de compost mais la maladie est toujours là », déplore M. Boré, tout en indexant les feuilles jaunies de son riz. « D’habitude, on applique huit sacs d’engrais chimiques par hectare. Mais à cause de cette maladie, il y en a qui vont jusqu’à 10, voire 12 sacs. Malgré tout, les rendements ne s’améliorent pas », renchérit Issa Samandoulgou, un autre riziculteur. A l’entendre, nombre de producteurs soupçonnent que le mal se trouve dans le sol. « Après la récolte, on se rend compte qu’il y a plus de paille que de grains de riz. Cela fait chuter parfois mes rendements à 2t à l’hectare », confie-t-il.
A l’image de ces producteurs, ils sont nombreux à vivre cette situation de baisse de rendements sur la plaine rizicole de Bagrépôle. Ils sont unanimes à reconnaitre qu’à force de cultiver le même sol, il s’épuise au fur et à mesure.
« Partout sur la plaine, tous les producteurs vivent la même préoccupation, alors que la terre n’est pas extensible. Il fallait trouver une solution », soutient le président de l’UGPR-B, Adama Bantango.
Pour inverser la tendance, les responsables de Bagrépôle ont pris les taureaux par les cornes, en initiant les riziculteurs à la production du compost afin d’amender le sol et de rehausser les rendements. Le Directeur de la valorisation économique de Bagrépôle (DVEB), Fidèle Traoré, confirme que la monoculture intensive a un impact sur la qualité du sol, si toutefois des mesures correctives ne sont pas prises. A l’écouter, c’est le non-respect des bonnes pratiques culturales qui est à l’origine de la dégradation des sols sur la plaine. « Les producteurs utilisent beaucoup les engrais minéraux dans les rizières. Ces engrais contribuent à dénaturer l’équilibre des éléments nutritifs qui sont dans le sol.
Au fur et à mesure, cela va contribuer à baisser les rendements si rien n’est fait », indique M. Traoré. Il ajoute que les engrais minéraux peuvent aussi avoir un impact sur la microfaune, parce que dans le sol, il y a des insectes qui contribuent à la décomposition de la matière organique. « Les engrais minéraux ne permettent pas à ces insectes d’avoir un biotope favorable à leurs conditions de vie. Si le sol est déstructuré, cela va jouer sur ses propriétés physiques et biologiques. Il peut devenir trop compact par manque de microorganismes et les plantes auront du mal à croitre », explique le DVEB. C’est pourquoi, il suggère de rationnaliser l’utilisation des engrais minéraux pour restaurer la qualité des sols. Cette restauration, aux dires de Fidèle Traoré, passe par des mesures correctives qui sont, entre autres, l’amélioration des propriétés physiques et biologiques du sol par l’apport de la fumure organique.
« S’il y a une quantité importante de fumure organique dans le sol, il y aura une recolonisation des microorganismes qui étaient morts à cause
des engrais chimiques », se convainc-t-il. En plus des engrais minéraux, M. Traoré indexe aussi l’utilisation abusive des pesticides comme faisant partie des facteurs qui participent à l’appauvrissement des sols. A ce niveau également, foi du directeur de la valorisation économique, Bagrépôle travaille à rationaliser l’utilisation des pesticides homologués sur la plaine rizicole. D’autres mesures correctives que les producteurs peuvent adopter pour booster leurs rendements, selon Fidèle Traoré, sont le Système de riziculture intensif (SRI) et le placement profond de l’urée. La première consiste à repiquer un seul plant de riz avec un écartement important pour faciliter le tallage, tandis que la seconde consiste à mettre l’engrais urée sous le pied du riz à une profondeur de 5 à 7 cm dans le but de diminuer les doses des engrais minéraux.
Non-respect des bonnes pratiques culturales

impressionnante.
Le DVEB rappelle que les riziculteurs ont reçu des paquets technologiques intéressants à même de leur permettre de rehausser le niveau de leur production. Seulement, note-t-il, les bonnes pratiques culturales ne sont pas toujours suivies. Ses propos sont confirmés par le président de l’UGPR-B, Adama Bantango, lorsqu’il précise que grâce à Bagrépôle, les producteurs ont bénéficié de formations dont celle liée à la fabrication du compost. « Ceux qui ont adopté le compost ont vu leurs rendements s’améliorer. Par contre, ceux qui sont restés avec les engrais chimiques (urée et NPK) sont toujours dans les bas rendements », affirme-t-il. M. Bantango avoue qu’il ignorait que les balles de riz qu’il jetait après chaque récolte, associées à la bouse de vache sont un puissant fertilisant.
Les balles de riz, ces enveloppes dures qui protègent les grains de riz et qui sont obtenues après le décorticage du riz paddy, étaient généralement brûlées dans les rizeries. Pourtant, elles constituent un sous-produit agricole important qui intervient dans la production du compost.
« Les engrais chimiques subventionnés coûtent 12 000 F CFA le sac, alors que sur le marché, le même sac se négocie autour de 30 000 F CFA. Pourtant, nous pouvons fabriquer nous-mêmes nos engrais et à moindre coût. Si on doit appliquer huit sacs d’engrais minéraux dans un hectare et récolter 3t de riz, c’est une perte », clame Adama Bantango. C’est pourquoi, il estime que la terre a besoin d’être nourrie à l’aide de la fumure organique. Il dit avoir essayé lui-même et les résultats sont probants. « A la campagne 2022, j’ai utilisé la paille de riz pour fertiliser la moitié de ma parcelle. Au lieu de 33 sacs de 105 kg que nous récoltions habituellement, nous en avons gagné 41, soit 8 sacs de plus », témoigne-t-il, sourire aux lèvres. Pour lui, il ne s’agit point de la magie, mais du respect des itinéraires techniques de production.
Sur la rive droite, Issaka Saré est un bon élève en matière de production et d’utilisation des engrais biologiques. Dans sa parcelle d’un hectare qu’il exploite depuis 2000, un petit espace est aménagé pour la fabrication du compost. Il exploite aussi deux autres parcelles voisines, obtenues grâce au système de la sous-location. Ce 15 octobre, ce sont 3 ha de riz à la physionomie impressionnante qui se laissent admirer. Repiqué le 5 août dernier, le riz, dont la hauteur des tiges est remarquable, est déjà au stade d’épiaison.
Aucune feuille jaunie ni de plant rabougri ne sont constatés dans la rizière de M. Saré. Le producteur dit engranger par campagne 6t à l’hectare, voire plus par moment.
« Si je n’ai pas trop gagné, c’est un rendement de 5,5t à l’hectare », se réjouit-il. Ces rendements, Issaka Saré les a maintenus depuis cinq ans. Le secret de cette performance réside dans le compost, selon lui. Pourtant, tout n’a pas été rose au début.
« Avant, j’utilisais uniquement les engrais chimiques et mes rendements étaient de 3 à 4t à l’hectare. Après, j’ai senti que le sol n’était plus fertile. Les responsables de Bagrépôle nous ont conseillés l’utilisation du compost. Quand j’ai essayé, les résultats ont été extraordinaires », relate-t-il, avec enthousiasme. Grâce au compost qu’il fabrique lui-même à base de balles de riz, de la bouse de vache et bien d’autres éléments, le sol de Issaka Saré s’est reconstitué comme s’il était neuf.
Vers une utilisation à 100% du compost

Pour l’instant, il ne fait pas une production à 100% biologique mais progressivement il est en train de tendre vers cet idéal. « J’utilise les engrais chimiques NPK et urée mais ça ne dépasse pas 2 kg à l’hectare chacun. Bientôt, je vais abandonner ces engrais qui appauvrissent nos sols et apportent des maladies au riz », annonce-t-il, avant de préciser que depuis qu’il s’est tourné vers le compost, son riz ne souffre plus de maladie.
L’engagement de Issaka Saré a fait tache d’huile au sein de la coopérative Wokacoma (entraide, en bissa) dont il est le président.
De temps à autre, il prend son bâton de pèlerin pour aller convaincre ses membres à lui emboîter le pas. Beaucoup ont adhéré mais il y en a encore qui manifestent des réticences. « Je passe mon temps à sensibiliser mais ce n’est pas facile. Certains producteurs n’ont toujours pas adopté le compost », déplore-t-il. Toutefois M. Saré a pu inspirer tous ses voisins de champ. Dans sa zone, toutes les rizières affichent une belle physionomie grâce à l’utilisation de la fumure organique. « Je produis le riz ici depuis l’an 2000. Au début, je gagnais entre 3 et 4t à l’hectare. Mais avec l’engrais organique que j’utilise depuis trois ans, mon rendement est passé à 5,5t à l’hectare. Notre président m’a beaucoup inspiré », témoigne l’un de ses voisins, Boukaré Saré.
Pour justifier la non-utilisation des fertilisants biologiques, certains producteurs estiment qu’il n’est pas aisé de trouver les éléments qui entrent dans leur fabrication. Sont de ceux-là, Issa Samandoulgou et Ousmane Yelbi. Ils ont tous suivi des formations sur le compostage mais n’arrivent pas à les mettre en œuvre. Chez eux, ce sont toujours les engrais minéraux qui ont pignon sur rue. « On nous a fait savoir que ces engrais et les herbicides appauvrissent le sol mais pour le moment, nous n’avons pas le choix que de les utiliser », lâche M. Samandoulgou.
Pour venir en aide aux producteurs, Bagrépôle a mis à leur disposition des engrais organiques à prix subventionnés de 4 000 F CFA le sac. Là également, ils n’arrivent pas à enlever tout le stock, aux dires du DVEB, Fidèle Traoré.
« Comme nous ne sommes pas habitués à utiliser le compost, nous ne l’achetons pas », justifie le producteur Issa Samandoulgou. M. Traoré estime le taux d’utilisation de la fumure organique sur la plaine de Bagré à environ 28 à 30%. Un taux assez faible, à ses yeux. « Parfois, ce n’est pas que le producteur n’a pas accès au compost. Il trouve que c’est lent par rapport au NPK ou à l’urée », éclaire-t-il.
Pour relever le défi de l’utilisation du compost, Bagrépôle a usé d’une stratégie : « désormais, la condition pour tout producteur d’avoir l’engrais minéral est d’acheter d’abord un sac de compost ». Concernant les maladies des plantes, le DVEB indique qu’au Burkina Faso, le riz est généralement attaqué par des bactérioses et des virus, toute chose qui peut être remédié avec le compost. Pour lui, si les bonnes pratiques culturales ne sont pas suivies sur la plaine, on crée des conditions favorables aux ravageurs de plantes. Bagrépôle envisage passer bientôt à trois cycles de production de riz par an.
A cet effet, soutient Fidèle Traoré, un projet a déjà été élaboré en vue de l’installation d’une unité de production de fumure organique en masse. Une autre bonne nouvelle pour les producteurs est qu’il est prévu une extension de la plaine avec un aménagement en cours de plus de 10 640 ha. Un autre projet de 1 000 ha verra bientôt le jour en amont du barrage. En outre, le DVEB informe que des chercheurs sont en train de mettre au point une nouvelle formulation d’engrais NPK, le 14 30 10, propre au riz.
« Les études ont montré qu’avec ce nouvel engrais, on va diminuer la quantité d’engrais habituellement utilisée et augmenter les rendements d’au moins 15 à
20% », déclare-t-il.
Une autre pratique qui a des conséquences sur la fertilité des sols à Bagrépôle est la sous-location des parcelles, de l’avis de Fidèle Traoré. Car, à l’écouter, quelqu’un qui est en location sur un terrain ne va pas en prendre soin en termes de protection du sol comme s’il était attributaire. A toutes ces pratiques qui contribuent à dégrader les terres, Bagrépôle compte mettre fin incessamment.
Mady KABRE
dykabre@yahoo.fr
Quelques potentialités de Bagrépôle
Société d’économie mixte, le pôle de croissance de Bagré dispose d’un barrage d’une capacité de 1,7 milliard de m3 qui lui permet d’irriguer sa plaine aménagée. De nos jours, la superficie totale aménagée de la plaine est de 8 178 ha, répartis entre la monoculture du riz (3 200 ha) avec une maîtrise totale d’eau et la polyculture de maïs, de banane, de produits maraîchers… (environ 5 000 ha), avec une maîtrise d’eau partielle. Le potentiel de terre aménageable est de 30 000 ha. La production annuelle du riz est de plus de 29 000 tonnes pour les deux campagnes (humide et sèche). Avec les trois campagnes envisagées, la production annuelle sera portée à plus de 45 000 tonnes de riz. Le rendement moyen est de 4,5t à l’hectare. Les variétés de riz produites sont TS2, Orylux et FKR 19.
M.K
Source : Bagrépôle





























