Le mois d’octobre est considéré comme celui du « consommons local » au Burkina Faso. En matière de style vestimentaire, c’est le Faso Dan Fani qui est mis en lumière. Cette cotonnade, devenue une identité burkinabè, est le fruit du travail de milliers de femmes tisseuses dont celles de l’Union des associations des tisseuses du Kadiogo (UATK). Depuis plus de 30 ans, celles-ci se battent pour sa valorisation et sa promotion tout en bâtissant leur avenir économique. A la découverte de ces tisseuses hors pair.
Selon le ministère de l’Industrie, du Commerce et de l’Artisanat, le Burkina Faso est le deuxième producteur de coton en Afrique subsaharienne, mais moins de 5 % de cette production est transformée localement. La contribution des femmes dans cette production est considérable. Celle de l’Union des associations des tisseuses du Kadiogo (UATK), composée de 32 associations, n’est pas des moindres. En effet, l’UATK a été créée
en 1994 par un groupe de femmes soucieuses d’offrir un cadre d’épanouissement socio-économique à ses membres et de faire de la valorisation du Faso Dan Fani son cheval de bataille. Aujourd’hui, forte de près de mille membres, elle incarne un modèle de coopération féminine et un moteur de promotion culturelle et économique.
Du 31 juillet au 3 août 2025, elle a célébré, à Ouagadougou, ses 30 ans d’existence, sur le thème : « 30 ans de tissage, 30 ans d’engagement au féminin, pour la valorisation du Faso dan fani ». Ce rendez-vous a permis de retracer l’histoire de l’organisation, de mettre en évidence les acquis engrangés et d’identifier les principaux défis à relever pour garantir la pérennité et la compétitivité du métier de tissage au Burkina Faso. Il a également été l’occasion d’explorer de nouvelles pistes de collaboration entre acteurs institutionnels et artisanaux. Panels, exposition vente, séance d’aérobic, ont été des moments forts de la célébration.

Sur la genèse de la création de l’UATK, la coordonnatrice, Justine Kafando, a fait savoir qu’au début, les femmes filaient le coton et les hommes tissaient le pagne. Par la suite, le tissage a séduit les femmes qui s’y sont investies pour en faire leur gagne-pain aujourd’hui. « On tissait à domicile pour aller vendre aux commerçants du grand marché de Ouagadougou qui nous vendaient le fil. C’était eux qui fixaient à la fois le prix du fil et celui du pagne. Et souvent, ils payaient la moitié de nos produits en argent et l’autre moitié était convertie en fils », confie Mme Kafando.
Ne pouvant plus supporter cet échange inéquitable et sachant que l’union fait la force, les femmes se sont regroupées en association. Plus tard, avec la baraka du bureau des artisans et d’autres structures, l’Association des tisseuses du Kadiogo voit le jour. Elle deviendra par la suite l’Union des tisseuses du Kadiogo (UATK). Le parcours de l’alliance est jalonné de succès.
Les acquis engrangés
Au titre des acquis engrangés, l’UATK a permis à ses membres de bénéficier d’une formation en alphabétisation en langues nationales, d’obtenir le Certificat de qualification professionnelle (CQP). Elle leur a facilité également l’achat des moyens de transport et l’obtention du permis de conduire. Les tisseuses arrivent à satisfaire les besoins de leur famille, notamment le financement des études des enfants. « Aujourd’hui, les pagnes sont vraiment de bonne qualité. Les femmes s’y investissent sans réserve.
Tout cela est à mettre à l’actif des renforcements de capacités que l’UATK a obtenus pour nous », admet la présidente de l’association Wend Pougb Nooma, Caroline Koala. Elle reconnait que les différentes présidentes, qui se sont succédé, ont donné le meilleur

d’elles-mêmes pour l’épanouissement des tisseuses. « Certaines d’entre nous scolarisent même nos enfants en Europe. Cela signifie que le tissage fait vivre. Ce succès est à mettre au compte de la structuration que l’Union a su construire afin que l’activité de tissage soit profitable à celles qui la pratiquent », affirme Mme Koala. Quant à Françoise Remaine, elle cite comme avantage l’existence de la Société de cautionnement mutuelle des tisseuses de Kadiogo qui leur donne le fil à crédit.
Grâce à la mobilisation collective et à l’appui de ses partenaires, le groupement a acquis un siège sis au quartier Cissin de Ouagadougou. Il a surtout investi dans un projet structurant en achetant un hectare de terrain à Komsilga (à quelques encablures de Ouagadougou). L’espace est destiné à la construction d’un centre de formation pour les jeunes filles et femmes. Tous ces acquis ne seraient possibles sans l’accompagnement des partenaires dont la Faitière des caisses populaires du Burkina (FCPB).
Selon la cheffe de service crédit à la FCPB, Fatimata Aouba, sa structure est un partenaire de longue date de l’Union. Ce partenariat s’est concrétisé par la mise en place des Sociétés coopératives de caution mutuelle en 2001 et 2004. Ce qui a permis aux tisseuses d’avoir facilement accès au crédit pour l’achat de matières premières, l’acquisition d’équipements, la construction d’infrastructures et le préfinancement de marchés. Les crédits, pouvant atteindre 5 millions F CFA, sont adaptés aux réalités des artisanes. A entendre Mme Aouba, le RCPB offre aussi des formations en design textile, gestion, marketing, innovation et leadership, tout en accompagnant certaines coopératives vers l’exportation.
Les défis à relever

la préservation du patrimoine textile national et dans la création d’opportunités économiques pour les femmes.
Pour atteindre ces résultats, il a fallu surmonter quelques difficultés. Parmi lesquelles, il y a le difficile accès aux équipements modernes. Les équipements étant obsolètes, le travail reste pénible. Ce qui réduit l’engouement des jeunes pour cette activité. Les tisseuses se disent inquiètes de la pérennisation et de la valorisation du métier de tissage, si rien n’est fait dans ce sens. « Les jeunes ne semblent pas s’intéresser à notre activité. Ils trouvent qu’elle comprend trop de contraintes à savoir l’ourdissage, la teinture, le piquage, le tissage qui implique des heures de position assise.
La confection d’un pagne prend au moins deux à trois jours », indique la présidente de l’UATK, Suzanne Nikiéma. Pour la présidente de l’association Wend Pougb Nooma, Caroline Koala, la question de la relève se pose aujourd’hui avec acuité. « Notre génération est fatiguée et sera dans l’incapacité, d’ici là, de continuer le tissage. Il faudra absolument que les plus jeunes viennent nous épauler, que nous puissions leur transmettre ce que nous avons comme expérience, afin qu’ils puissent continuer de perpétuer l’œuvre », dit-elle.
Sur le plan de la production, la filière souffre du manque de teintures certifiées. « Il y a souvent de l’arnaque. On n’arrive pas à identifier le vrai du faux. Les commerçants se font souvent arnaquer à l’achat à l’extérieur, comme ils le font souvent avec nous », confie la coordonnatrice.
La concurrence accrue des tissus importés est un goulot d’étranglement de la promotion du Faso dan fani. La commercialisation reste peu structurée, freinée par la concurrence des textiles importés et une visibilité insuffisante sur les marchés internationaux. « On nous

reproche le prix élevé de nos produits en faisant une comparaison inappropriée avec d’autres tissus. Les nôtres sont de bonne qualité. On ne doit pas perdre de vue tout
le travail qui participe à leur fabrication », souligne Mme Nikiéma. Des embuches, les tisseuses en ont connu plusieurs. En témoignent les explications de la mémoire vivante de l’UATK, la coordonnatrice Kafando : « pour la célébration du cinquantenaire du pays, nos pagnes tissés faits à la couleur du drapeau national ont été rejetés par les organisateurs. Ils ont pourtant été prisés à la foire.
La délégation du Rwanda a été impressionnée par notre savoir-faire ». L’UATK a affronté la résistance de certains acteurs qui ne voulaient pas faire du pagne tissé, le tissu officiel pour la commémoration du 8 mars (Journée internationale des droits de la femme). Un autre fait pour illustrer leur combat a porté sur le bras de fer avec des commerçants. Selon la coordonnatrice de l’UATK, ceux-ci, avec la complicité de certains acteurs, préféraient exporter les fils que de leur en vendre. Cette situation a engendré, à son temps, une pénurie de fils et a porté un coup dur à leur activité.
« Après une audience avec le Président Isaac Zida, injonction a été faite à ces acteurs de satisfaire nos besoins en fils d’abord, avant de traiter les autres commandes », se rappelle-t-elle. Elle se réjouit aujourd’hui que ce genre de difficulté soit un lointain souvenir. Car, l’Union entretient de bons rapports avec la Filature du Sahel (FILSAH), principal fournisseur en fils. A entendre les tisseuses, la concrétisation de cette entente a abouti à la baisse du prix du fil. Le problème de financement demeure un obstacle au métier de tisseuse. Cette réalité entraine l’absence de modernisation des infrastructures, l’approvisionnement limité en intrants de qualité et une faible digitalisation.
Des pistes de solutions

Pour juguler ces difficultés, des propositions de solution ont été faites au cours de la célébration. On peut citer, entres autres, la création d’unités de teinture industrielles, le développement d’un complexe textile national, l’extension de plateformes numériques comme Faso Ranana, ou encore la mise en place de programmes de formation qualifiante. Les participants ont également insisté sur la nécessité de plaidoyer pour la création d’un ministère du textile et pour l’adoption d’une politique nationale dédiée à la transformation locale du coton. Ils ont mis en évidence le rôle stratégique du Faso dan fani et de l’artisanat textile dans la construction d’une économie inclusive et durable.
Ils ont mis l’accent sur l’émergence de synergies renforcées entre artisanes, secteur privé et institutions publiques et sur la nécessité de bénéficier de meilleures conditions d’accès aux crédits bancaires. Les femmes battantes du Kadiogo suggèrent l’établissement d’une vitrine de vente des produits du tissage. La présidente de l’association Wend Pougb Nooma, Caroline Koala, souhaite par exemple que l’Etat facilite l’obtention du marché institutionnel des pagnes pour les tenues scolaires à leur faîtière, la Fédération nationale des tisseuses
du Burkina Faso.

Plusieurs recommandations ont été formulées lors de la commémoration. Il s’agit de la construction et de l’équipement du centre de formation de Komsilga, de l’intégration du tissage et la teinture dans les programmes scolaires et professionnels, du renforcement
des compétences numériques et marketing des artisanes. Il s’agit également du développement des produits financiers mieux adaptés et de la diversification des partenariats afin d’ouvrir de nouveaux débouchés commerciaux. L’UATK croit que l’accompagnement de l’Etat et de ses partenaires institutionnels demeure essentiel pour garantir la réussite et la pérennité de ses activités.
Habibata WARA





























