Dans la province du Ziro, région du Nando, des fonctionnaires retraités se lancent avec enthousiasme dans l’agriculture. Après plusieurs années passées dans des bureaux, ils retrouvent une énergie nouvelle au contact de la terre. En ce mois de novembre 2025, Carrefour africain a visité leurs exploitations. Leur reconversion semble porteuse de succès.
Ce lundi 10 novembre 2025, les pistes poussiéreuses nous conduisent dans les profondeurs du Ziro, dans la région du Nando. La route, entrecoupée par les creux et les bosses, traverse des kilomètres de champs. Les producteurs sont absorbés par leurs récoltes. La zone, située à une centaine de kilomètres de Ouagadougou, attire désormais un afflux inattendu : des fonctionnaires retraités en quête d’une seconde vie. Tout au long du trajet, les récoltes s’alignent. Les feuilles sèches témoignent de la fin de la saison.
Les producteurs espèrent encore quelques pluies, mais le ciel, immobile, n’annonce plus rien. L’air est chaud, presque tranchant. Nous atteignons le village de Bakata, à une trentaine de kilomètres de Sapouy, chef-lieu de la province. Ici, le climat est différent. Végétation luxuriante, arbres aux feuillages brillants et une fragrance d’agrumes qui flotte

dans l’air. Près du barrage, des vergers variés s’épanouissent : tangelos, papayers, bananiers… Avec eux, des cultures comme le maïs, le niébé et le sésame prospèrent. En face de nous, un verger appartenant à Emmanuel Tamalgo, retraité depuis 2022.
Cet ancien agent de la Société nationale d’électricité du Burkina (SONABEL) a su faire du travail de la terre sa passion. Pour lui, l’agriculture est une passion qui ne s’éteint pas avec les années. « Même avant ma retraite, je cultivais », déclare-t-il avec joie. Bien que sa jeunesse soit en train de s’évanouir, son dynamisme demeure.
Emmanuel Tamalgo a investi dans un champ de 2,5 hectares, acheté à 20 millions F CFA, peu avant sa retraite. Toute sa vie d’économie y est passée mais il ne regrette rien.
« Même avec mon Indemnité de départ à la retraite (IDR), je n’ai pas pu payer immédiatement », se souvient-il. De nos jours, grâce à un système d’irrigation simple mais efficace, ses récoltes sont abondantes.
Ses bananes fraîches attirent inévitablement les commerçantes de Sapouy, tant la demande est forte. Il y aura bientôt le tangelo et la papaye dont les arbres portent ostensiblement leurs fruits. Emmanuel Tamalgo est convaincu d’une chose : « d’ici à quatre ans, je vais récupérer tout mon investissement ». Dans le Ziro, il n’est pas seul dans ce choix. Les terres fertiles de cette province séduisent d’autres retraités. Mahama Ouédraogo, ingénieur agronome à la retraite, a, lui aussi, renoué avec la terre.

Avec son master en science des cultures et un doctorat en philosophie, il développe plusieurs fermes. L’une, de 3 ha, produit principalement des tangelos. Une autre, de 10 ha, prévoit la mise en place de forages pour produire toute l’année. Sa ferme à Vrouh, de 15 ha, est dédiée aux mangues, avec un potentiel extensible à 30 ha. Il ne fait pas que dans le fruit. Maïs, légumineuses, produits maraîchers…, tout y passe. « J’ai été piqué par la mouche de l’agriculture très tôt », lance-t-il. Même en activité, il avait déjà un lopin de terre. La retraite n’a rien changé. Il revendique fièrement son statut de paysan.
« L’agriculture me passionne depuis mon enfance. Je suis fier d’être paysan », affirme-t-il.
Un système d’irrigation bricolé
A Sapouy, Moussa Nama, ancien policier, fait parler de lui. Surnommé « Ladji », ce septuagénaire au torse nu, jongle avec diverses cultures : arboriculture, maraîchage, tubercules, céréales… Sa ferme de 3 ha éblouit par ses couleurs et saveurs. Malgré son âge, il déborde d’énergie. Ses systèmes d’irrigation, bricolés avec ingéniosité, fonctionnent bien. Dans sa carrière policière, il a tenté une première reconversion agricole. « Quand j’étais toujours en activité, j’avais pris une disponibilité pour produire la tomate mais cela n’a pas marché », se souvient-il amèrement.

Au milieu des choux, des aubergines, de la laitue, M. Nama avance tranquillement, infatigable. Inspiré par le Président Thomas Sankara, il se souvient de ses encouragements à retourner à la terre. Après la première tentative ratée, il revient encore plus déterminé. « Je n’ai jamais abandonné l’idée », insiste-t-il. Aujourd’hui, il diversifie ses cultures. Il justifie toutefois les raisons de son engagement. « Ce n’est pas seulement une histoire d’argent », botte-t-il en touche.
Le plus grand bénéfice, assure-t-il, « c’est ma santé ». Son petit-fils l’aide volontiers. Les bénéfices lui reviennent. « A mon âge, que ferais-je avec l’argent ? », s’interroge-t-il avec un sourire plein de sagesse. Sa ferme abrite aussi du fourrage, notamment le maralfalfa. Mais, il manque de la clientèle. « Aidez-moi à trouver des clients », implore-t-il. Plus loin, Thomas Bassolé, instituteur retraité, cultive du maïs. Il nourrit ainsi sa volaille et réduit ses dépenses. « L’aliment, c’est 80 % des charges », explique-t-il.
Le maïs étant devenu trop cher, il a décidé d’en produire lui-même. Sa journée démarre tôt. « A 6 h, je transpire déjà », dit-il, fier. Il y voit un moyen d’améliorer son niveau de vie. « La pension seule ne suffit pas », lâche-t-il. Emile Nébila Bado, conseiller d’agriculture à la retraite depuis 2000 et président de l’association des retraités du Ziro, partage la même vision. Sa première année de production lui a donné 2,5t de maïs à l’hectare. Sur deux hectares, plus de 50 sacs récoltés et un hectare de sésame lui a rapporté 450 kg. Selon lui, l’agriculture permet au retraité de vivre dignement. « Certains nous voient comme des mendiants. Il faut changer cette perception », affirme-t-il. Il met son expertise au service de dix hectares et des jeunes agriculteurs du Ziro.
Les retraités à l’épreuve des réalités

Le tableau n’est pas toujours reluisant. Le manque de main-d’œuvre reste un frein. Les retraités n’ont plus la force d’antan. L’eau manque. L’irrigation demande des moyens. « Les jeunes ne s’intéressent pas à l’agriculture. Aucun d’eux ne vient voir mon champ », déplore Moussa Nama. Mahama Ouédraogo confirme : « ils préfèrent l’orpaillage ». Autrefois, les Personnes déplacées internes (PDI) venaient travailler pour 1000 F CFA par jour. Mais avec l’amélioration de la situation sécuritaire, beaucoup rentrent chez elles.
La main-d’œuvre s’est évaporée. « On attend que les gens finissent leur travail avant de venir nous aider », regrette Emile Bado. Emmanuel Tamalgo estime que ces contraintes découragent de futurs candidats. S’ajoute le problème des terres non exploitées faute de moyens. Le président de l’association des retraités du Ziro en appelle au Fonds national d’appui aux travailleurs déflatés et retraités (FONA-DR). A Sapouy, a-t-il dit, lors d’une rencontre, le directeur régional de la Caisse autonome de retraite des fonctionnaires (CARFO) avait mentionné l’existence de ce fonds. Emmanuel Tamalgo, surpris, dit ne pas être au courant de son existence.
« Beaucoup ont essayé sans succès », souligne Emile Bado. Mahama Ouédraogo déclare ne rien savoir de ce mécanisme. En revanche, il profite déjà d’un appui du Projet de résilience et de compétitivité agricole (PReCA) pour sa ferme de manguiers à Vrouh. « Je vais me renseigner sur le FONA-DR », promet-il.
L’association qui regroupe plus de 80 membres, presque tous engagés dans l’agriculture, fonde l’espoir sur ce Fonds. « Dans le Ziro, chaque retraité possède au moins un hectare

pour nourrir sa famille. Ceux qui n’en ont pas, sont rares », affirme M. Bado. A chaque réunion, il les motive. « Celui qui reste assis, tombe malade », avertit-il. Rester actif devient une mission. Thomas Bassolé donne un conseil simple :
« préparez votre retraite pendant que vous travaillez ». Il cite l’exemple d’un collègue devenu aviculteur à succès grâce à ses encouragements.
« Je lui ai donné des poussins et il est devenu aujourd’hui un aviculteur prospère », s’enthousiasme-t-il.Ces retraités participent, d’une manière ou d’une autre, à la souveraineté alimentaire du Burkina Faso. Mais il y a d’autres obstacles et pas des moindres qui freinent leur élan : la divagation des animaux, les problèmes de débouchés et le manque de formation. « J’ai appris l’arboriculture et le maraîchage tout seul », avoue Moussa Nama qui demande un meilleur accompagnement technique.
Ces hommes et femmes prouvent qu’on peut rebondir après une carrière. Ils font pousser des rêves autant que des fruits. En cette fin d’année 2025, ils montrent que la retraite peut être un nouveau départ.
Ouamtinga Michel ILBOUDO
omichel20@gmail.com
Le prêt FONA-DR plafonné à 10 millions F CFA
Les conditions de prêt restent souvent difficiles. Le FONA-DR est un Fonds au service de la réinsertion socio-économique des travailleurs déflatés et retraités. Méconnu de la plupart de ses bénéficiaires, le FONA-DR cherche à accroître sa visibilité auprès du public. Dans ce cadre, une conférence publique a été organisée, le 13 novembre 2025, à Fada N’Gourma. Lors de son séjour, le directeur général, Dr Sibiri Omar Compaoré, en a profité pour présenter la structure au roi du Gulmu.
Ce dernier a salué cette initiative et s’est engagé à soutenir le Fonds dans la promotion de ses services aux niveaux local et régional, ce qui devrait contribuer à augmenter le taux d’adhésion des promoteurs locaux.Créé en 2008, le FONA-DR a pour mission d’accompagner les travailleurs déflatés et retraités dans leur réinsertion socio-économique, notamment à travers la création et la gestion d’entreprises. Il offre un soutien financier, une formation et un accompagnement adaptés, dans des secteurs variés tels que l’agriculture, l’élevage, l’artisanat et le commerce.
Parmi les prestations proposées, le Fonds accorde des prêts pouvant atteindre 10 millions F CFA pour lancer ou développer des projets. Il assure également des formations sur l’entrepreneuriat, l’agriculture, l’élevage et d’autres activités génératrices de revenus, tout en aidant à l’élaboration de plans de réinsertion. Récemment, le FONA-DR a étendu son champ d’actions aux agents publics et salariés se trouvant à trois ans de leur retraite, dans une démarche visant la promotion de l’entrepreneuriat senior.
Pour bénéficier des services du Fonds, les travailleurs déflatés doivent notamment déposer une demande accompagnée de leur lettre de licenciement, adressée au ministre de la Fonction publique, du Travail et de la Protection sociale. Des travailleurs retraités le découvrent à travers les actions qu’il mène sur le terrain. Dans ce sens, Dr Sibiri Omar compaoré a reçu en audience, mercredi 29 octobre dernier, dans les locaux du Fonds à Ouagadougou, le général d’armée à la retraite Sidiki Daniel Traoré. Cette visite de courtoisie a permis à l’ancien cadre de l’armée d’échanger avec le premier responsable de la structure sur les missions, les offres d’accompagnement et les dispositifs mis en place par le FONA-DR au profit des travailleurs déflatés et retraités.
« Je sors très édifié de cette rencontre, car j’ai découvert tout le travail que mène le FONA-DR en matière de conseils, d’accompagnement et d’appui aux retraités », confiait-il à l’issue de l’entretien. Convaincu de la pertinence du Fonds, il a salué son rôle essentiel dans la reconversion des retraités. « S’il n’existait pas, il fallait le créer. La retraite n’est pas une fin en soi, mais le début d’une autre expérience. Cette dimension, le FONA-DR l’a bien comprise pour offrir une nouvelle vie aux retraités et leur permettre de continuer à contribuer à l’édification du Burkina Faso », se réjouissait le général Traoré. Les attentes des fonctionnaires retraités du Ziro à l’égard du FONA-DR sont très élevées et la promotion accrue de ses services devrait renforcer leur accompagnement vers une réinsertion réussie.
Source : FONA-DR






























