Confection des briques: Une passion pour Sandrine Doulkom et Léontine Yelkouni

Léontine Yelkouni : «Même si certaines jeunes filles se moquent de moi, cela ne me dérange pas ».

Les vacances se suivent, mais ne se ressemblent pas pour Sandrine Doulkom et sa camarade de classe Léontine Yelkouni, deux élèves de la classe de première A4 au lycée provincial de Yako. Habituées à passer leurs vacances au village ou en ville, selon la volonté des parents de chacune d’elles, elles ont préféré rompre avec les voyages ainsi que tout autre loisir, en se consacrant à la confection de briques, une activité couramment pratiquée par les hommes. Leur ardeur au travail suscite de l’admiration et la curiosité au secteur n°6 de Yako.

«On ne naît pas une femme, on le devient », disait l’écrivaine française, Simone de Beauvoir, l’une des plus grandes théoriciennes du féminisme ayant participé à la libération de la femme dans les années 1970. Et cet adage semble coller à Sandrine Doulkom et à Léontine Yelkouni, toutes deux, élèves en classe de première A4 au lycée provincial de Yako. Ces deux filles, âgées respectivement de 20 et 21 ans, ont décidé de prendre le dessus sur l’oisiveté en meublant leurs vacances à travers la confection de briques, un métier jusque-là réservé aux hommes pour le commun des mortels.

Il est 10 heures le vendredi 24 juillet 2020 au secteur n°6 de Yako au moment où nous sommes allés à la rencontre de ces deux braves filles sur leur site de travail. Elles ont pour patron, Yamba Nakoulma, un étudiant inscrit en Lettres modernes à l’Université Joseph-Ki-Zerbo de Ouagadougou, en vacances à Yako, mais originaire de Munissia, un village de la commune rurale de Latodin au Passoré. Vêtues de pantalon et assises à même le sol, Sandrine et Léontine attendent impatiemment du ciment de la part d’un éventuel demandeur pour la confection des briques. Après des minutes d’attente, elles se déportent avec Yamba Nakoulma sur un autre site.

Là-bas, tout le matériau est prêt pour le travail. Les deux jeunes filles se mettent à la tâche. Il n’y a donc pas de temps à perdre pour ces passionnées de leur « boulot ». Le bruit des pelles et des brouettes s’entremêlent. Tout d’abord, elles commencent par faire le mélange du sable et du ciment indispensables à la confection des briques. Après cette étape, intervient la confection des briques proprement dite. «Par jour, nous confectionnons des briques en utilisant 10 à 15 sacs de ciment. Et ce, en fonction du besoin du demandeur. Par sac de ciment, nous fabriquons entre 45 et 65 briques. Il faut aussi préciser que les 65 briques par sac sont fabriquées pour ceux qui les revendent. Parfois nous sommes sollicitées hors de la ville de Yako.

Sandrine Doulkom : « Pour le moment, nous ne possédons pas de matériels de confection».

Par exemple, le jeudi 23 juillet dernier, nous étions à Bouda à une dizaine de kilomètres de la ville», explique Sandrine, toute souriante. A la question de savoir la raison de leur engouement pour ce type de travail, Sandrine Doulkom, de corpulence mince, répond que tout serait parti d’un coup de main qu’elle a donné à son voisin en train de fabriquer des briques. «Un jour, le voisin confectionnait ses briques, juste en face de la cour. Je suis sortie pour l’observer avec admiration. C’est alors qu’il a plaisanté avec moi, en me demandant si je pouvais l’aider. Je suis sortie immédiatement de la cour sans la moindre hésitation et j’ai commencé à travailler avec lui. Il m’a donné 2000 F CFA et le lendemain, c’était la même chose. Avec le temps, le travail m’a plu», relate-t-elle.

« Tous les passants me contemplaient »

Et de poursuivre que c’est ainsi qu’il lui a fait la proposition de travailler avec elle, au cas où cela l’intéresserait.

« J’avoue que lorsque j’ai commencé à travailler avec lui, tous les passants me contemplaient en m’encourageant. Cela m’a galvanisé à continuer le travail», poursuit Mlle Doulkom. Pour elle, c’est par la suite qu’elle a rejoint l’étudiant qui venait de prendre son indépendance après avoir maîtrisé le travail avec le même voisin. Ce dernier a recommandé l’élève Sandrine à l’étudiant Yamba Nakoulma, sous prétexte qu’elle disposait d’un savoir-faire presqu’incroyable dans la confection des briques.

L’élève de première A4 du lycée provincial de Yako confie avoir été démotivée par son géniteur au début, lorsqu’elle l’avait informé qu’elle souhaiterait exercer le métier. Son père lui avait répondu que ce type de travail était strictement réservé aux jeunes garçons. « Je lui ai dit qu’il n’y avait pas de travaux strictement réservés aux garçons. Et que
l’émancipation sous-tendait que les filles pouvaient, elles aussi, faire les mêmes travaux que les garçons, pourvu qu’elles y mettent de la volonté. Sans pour autant me laisser décourager par les propos de mon père, j’ai continué à travailler.

L’étudiant et patron dit faire ce métier, faute de moyens financiers.

Il m’appréciait au fur et à mesure que je travaillais. Cela m’a donc plu et m’a réconforté», a déclaré la lycéenne. L’intérêt pour ce métier a amené Sandrine Doulkom à parler de son
activité de vacances à sa camarade et amie de classe, Léontine Yelkouni, également en vacances. Elle n’a pas hésité avant de répondre favorablement à la proposition. « Au lieu de dormir et se réveiller tous les jours sans rien faire parce qu’on est en vacances, j’ai accepté sa proposition», confirme Léontine Yelkouni, enthousiasmée.

Pour les deux jeunes filles, bien que le travail soit contraignant, elles disent l’exercer par passion, mais aussi parce qu’elles gagnent leur pitance quotidienne. Elles souhaitent, à travers leurs économies, contribuer à soulager leurs parents dans les dépenses pour la scolarité et bien d’autres besoins. «L’argent que je gagne pourrait m’aider à acheter mes fournitures scolaires pour la rentrée prochaine, mes vêtements et mon maquillage. C’est ma façon d’aider mes parents.

Je m’en fous de ce que mes camarades diront de moi», déclare Léontine Yelkouni, tout en précisant que tout se passe bien entre elle et leur patron, Yamba Nakoulma. Celui-ci dit exercer le métier, faute de moyens financiers pour assurer les frais d’inscription à l’Université et des dossiers des concours directs de la session de 2020. Il a, par ailleurs, expliqué qu’il loue le matériel utilisé pour la confection des briques. La pelle et la brouette sont louées à 500 F CFA chacune.

« Quand bien même nous payons, le propriétaire nous contraint à garantir nos cartes nationales d’identité burkinabè», fait remarquer Sandrine Doulkom. Les deux élèves ont saisi l’opportunité pour solliciter l’accompagnement des autorités et de bonnes volontés dans l’acquisition du matériel afin de mener à bien leur activité.

Zézouma Elie SANOU
elko-sanou@yahoo.com

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