COVID-19 : Des Mangalais toujours sceptiques

A Manga, certains individus prennent la menace sanitaire liée au COVID-19 à la légère.

Plusieurs semaines après la confirmation, le 9 mars 2020, de cas de COVID-19 au Burkina Faso, certains habitants de Manga doutent encore de cette maladie.

Ali* est vert de rage. « C’est devenu de la paranoïa maintenant », s’indigne-t-il, après que sa poignée a été esquivée. Son vis-à-vis a préféré un salut militaire, mal esquissé mais lui permettant de rester bien à distance. Leurs échanges sont brefs et empreints d’aménité malgré les piques d’Ali.

Il est 18h 50, ce samedi 4 avril 2020, à cette station d’essence bordant la grande artère de la ville de Manga, la capitale régionale du Centre-Sud. Depuis quelques minutes, c’est le branle-bas général, dans « la cité de l’épervier », pour rejoindre les concessions. Rentrer chez soi à 19 heures pour ne ressortir qu’à 5 heures du matin. C’est la routine chez les Mangalais, depuis le 21 mars 2020, date du début du couvre-feu nocturne, décrété par le président du Faso pour limiter les concentrations humaines et stopper la chaîne de propagation du coronavirus.

Les premiers cas de COVID-19 sont détectés dans le pays le 9 mars 2020. Au 3 avril, 318 cas et 16 décès sont confirmés par la cellule nationale de veille. Ces chiffres, encore moins la maladie elle-même, n’inquiètent pas autant Ali, la trentaine. Il s’est même fait une idée sur la pandémie : « C’est une maladie de Blanc. Pour nous les africains, elle n’est pas si dangereuse comme on veut nous le faire croire ».

Une maladie sélective ?

Pour sa défense, la rengaine d’Ali est la « chaleur » omniprésente sous les tropiques « qui n’en fait qu’une bouchée du virus ». Chiffres à l’appui, il présente le décompte macabre de centaines de morts au quotidien dans plusieurs pays d’Europe et des Etats-Unis d’Amérique, et pour l’Afrique entière « seulement un peu plus de 300 morts depuis le début de l’épidémie ». D’ailleurs, pour nombre de cas confirmés en Afrique subsaharienne, les concernés, selon Ali, n’en demeurent pas moins des « Blancs ».

« Ceux dont l’identité est connue au Burkina Faso sont des grands types qui passent leur temps sous l’air conditionné. Que ce soit chez eux à la maison, au bureau comme dans leur voiture, c’est la climatisation en permanence », lance-t-il. « Il faut que de temps en temps ne serait-ce qu’une ou deux heures par jour, ils sortent un peu sous le soleil comme nous pour renforcer leur système immunitaire », ironise-t-il, avec un brin d’humour.

Contre le COVID-19, Ali n’est pas le seul à Manga à vouer une confiance totale à ses anticorps de mélanoderme. De bleu vêtu, le bonnet vissé sur la tête, le quinquagénaire Albert est aussi un partisan de la théorie de « l’immunité black contre le coronavirus ». Les travaux physiques à profusion pour la recherche de la pitance et la chaleur permanente, dit-il, sont les épreuves quotidiennes qui ont fini par renforcer la résistance des Burkinabè de la basse classe contre le virus à couronne.

« Relâcher la pression »

« Quand tu observes bien les symptômes de la maladie, ça ressemble à d’autres maladies déjà présentes chez nous. Ce qui veut dire que notre organisme saura bien se défendre », argumente-t-il également. N’empêche, sous le hangar de vente de dolo, où Albert, assis, s’efforce de partager sa conviction, l’affluence n’est pas celle des grands jours. Il est l’unique client qui s’est fait servir sa calebassée sur place.

« Les autres viennent payer avec des bidons, c’est pourquoi il n’y a personne », informe la vendeuse des lieux, la bouche et le nez dissimulés sous un masque. Pour se prémunir du coronavirus, Albert conseille une grande cure de la bière de mil à défaut de vraie rasade de bière ou de liqueur. Les disciples de Bacchus sont en effet, pour lui, les mieux lotis pour résister à la maladie. « L’alcool nettoie la gorge et emporte les bactéries et autres virus dans l’estomac qui finit le travail », argue-t-il, dans un éclat de rires. Et si cela n’est pas suffisant, sa botte secrète, c’est la « décoction à base de feuille de neem, d’eucalyptus et de citron ».

Justin, un adolescent friand des réseaux sociaux, a lui aussi entendu parler de ce remède de grand-mère « efficace contre le COVID-19 ». Il a lu sur la toile, confie-t-il, que quelques gorgées par jour du cocktail est la recette miracle comme la maladie. « C’est un tradi-praticien qui disait cela », affirme-t-il. La « potion qui guérit » n’étant plus pour lui un secret, Justin confesse qu’il craint moins la maladie maintenant. Il ne comprend d’ailleurs pas que pour « une épidémie qui fait moins de victimes que le paludisme, on décide d’accentuer la paupérisation générale en plombant l’économie ». Et de suggérer : « il faut qu’on relâche la pression sinon ce sont, plutôt, les mesures prises qui vont nous tuer ».

Mamady ZANGO

*Noms d’emprunts pour préserver l’anonymat des intervenants.

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