Prise en charge des tranches sociales ONEA : L’inquiétude des gérants de bornes- fontaines à Yako

A la borne-fontaine du secteur 1, les clients sont généreux à l’endroit du fontainier.

Dans la batterie de mesures sociales prises par le Président du Faso, Roch Marc Christian Kaboré, le jeudi 2 avril 2020 pour soutenir la population face à la pandémie du COVID-19, figure celle de la prise en charge de la tranche sociale des factures de l’Office national de l’eau et de l’assainissement (ONEA). A Yako, les fontainiers et gérants de bornes-fontaines ne disposent pas jusque-là d’informations de la part du chef de Centre de l’ONEA de la ville, relatives à leur dédommagement. Toute chose qui les plonge dans une incertitude avec surtout comme corollaires, une éventuelle précarité et misère. Nous avons fait le constat, le jeudi 9 avril 2020, dans quelques bornes-fontaines de la ville.

Ce jeudi 9 avril 2020, il est environ 9 heures, lorsque nous arrivons à la borne- fontaine de Fati Sankara, située au secteur 2 de Yako. Autour d’elle, on aperçoit des clients quelque peu excités. Et pour cause, l’eau est gratuitement servie. Ils sont venus, les uns avec des bidons, les autres avec des barriques. Tous jugent salutaire l’initiative de l’Etat rendant gratuite la tranche sociale du liquide précieux.

A côté de ces clients, la promotrice, Fati Sankara, sourire aux lèvres, dit être aussi contente de la mesure même si, selon elle, quelques usagers récalcitrants, notamment les utilisateurs de gros récipients telles les barriques refusent de se soumettre au principe qui veut que le service se fasse par ordre d’arrivée. Mais à la question de savoir si la gratuité est profitable à dame Sankara, elle répond par la négative sans la moindre hésitation.

«En tant que responsable de cette fontaine, sincèrement la mesure de gratuité ne m’arrange pas. Nous ravitaillons gracieusement les clients alors que nous avons des charges à honorer dans nos familles», déplore-t-elle. Et de poursuivre que le gouvernement devrait impliquer les tenanciers dès l’entrée en vigueur de la mesure, vu leurs multiples charges familiales.

Saidou Dianda est le gérant de la borne- fontaine du secteur 6. Ce quartier est l’un des plus touchés par la pénurie d’eau. Les services de l’ONEA y offrent leurs grâces dans la nuit à des heures assez tardives. Là aussi, l’eau est gracieusement servie aux usagers conformément à la mesure qui stipule que « les fontainiers doivent servir gratuitement toute personne qui se présenterait devant eux durant la période sinon ils risquent de sanction ».

Fati Sankara souhaite que le gouvernement soutienne les tenanciers des fontaines.

Visiblement, l’or bleu gratuit dans cette fontaine fait des heureux, aux dires de Rachelle Ouédraogo, une dame trouvée sur place en compagnie d’autres clients. Elle dit être venue chercher ses bidons d’eau servis par le gérant depuis la nuit. Cependant une question taraude l’esprit du propriétaire, Saidou Dianda. Comment nourrir sa famille de 16 membres durant tout ce temps de gratuité sans aucun soutien financier ?

«J’ai un sérieux problème ici du fait des coupures répétées de l’eau. Le jour où l’eau vient, c’est tard, dans la nuit. Sinon nous servons gratuitement les usagers», s’exclame-t-il. Pour lui, les fontainiers n’ont pas été associés à cette mesure gouvernementale, surtout dans cette période de propagation du COVID-19 avec son corollaire de ralentissement des activités socioéconomiques et de mesures d’hygiène assez contraignantes.

Face à cette situation, M. Dianda dit broyer du noir depuis la mise en œuvre de la mesure et ne sait pas à quel saint se vouer. « Actuellement, rien ne va chez moi. Non seulement je ne dors pas la nuit parce que je suis obligé d’être là pour servir les gens, mais en retour, je n’ai rien. Vraiment, il faut que le gouvernement fasse quelque chose pour nous les gérants et tenanciers des fontaines », lance-t-il.

Malgré son état de précarité, ce sexagénaire pense que l’Etat peut trouver des mécanismes pour aider tous ceux qui exercent dans le domaine de commercialisation de l’eau à travers les fontaines. « Le gouvernement peut, par exemple, nous aider avec des vivres. A défaut, il peut réduire les prix des denrées de première nécessité. Sinon, c’est assez compliqué pour nous. J’ai beaucoup de bouches à nourrir. Mais comment faire si je travaille à perte ?», plaide Saidou Dianda.

Des clients généreux

Et pourtant, si la plupart des tenanciers et gérants de la ville se plaignent du fait de n’avoir pas été pris en compte par les mesures de l’Etat, ce n’est pas le cas chez Wahab Rabo, le gérant de la borne- fontaine située au secteur 1. Car, il dit bénéficier souvent de l’appui financier de quelques clients généreux, sans aucune exigence de sa part. Selon ses propos, il s’agit de bonnes volontés qui sont conscientes de sa misère en ce moment. « Moi, je ne me plains pas trop quant à l’application de la gratuité de l’eau.

Saidou Dianda : « Jusque-là, nous ne savons pas ce que l’Etat a prévu pour nous».

Car, il y a des usagers qui viennent se servir de l’eau et m’encouragent en me donnant de l’argent. Quand je refuse, ils me disent que c’est leur contribution pour me soutenir. C’est pour cela que j’accepte de prendre ce qu’ils me donnent. Sinon, je n’oblige personne. », a-t-il révélé.

Au secteur 3, la borne-fontaine de Awa Kouanda fait l’exception. Chez elle, la mesure est appliquée mais avec une technique non recommandée. Car, nous a confié un client en absence de dame Kouanda, après cinq bidons d’eau servis, le surplus est payant. Ce client qui a souhaité garder l’anonymat a ajouté que cette règle s’applique aussi à toute personne excédant une barrique d’eau. Mais cette révélation est purement rejetée par Awa Kouanda que nous avons jointe au téléphone par l’entremise d’un client.

« Le gouvernement a dit de servir gratuitement l’eau. Nous allons le faire mais notre sort se trouve entre les mains du gouvernement. Actuellement, la tête de mon robinet est gâtée et je n’ai même pas d’argent pour la réparer. Que l’Etat nous vienne en aide afin que nous puissions combattre ensemble cette maladie et que chacun puisse vaquer librement à ses occupations», lance-t-elle tout apeurée et visiblement courroucée par la révélation de ses clients à son absence.

Saisi sur la question, le chef de centre de l’ONEA de Yako, Moussa Kaboré, dit ne pas disposer jusque-là d’informations assez précises sur la procédure de dédommagement des fontainiers. « Ce que nous savons pour le moment, c’est que la gratuité s’applique exclusivement au besoin de consommation domestique.

Et que les prélèvements de plus de 200 litres d’eau sont interdits. », a dit M. Kaboré qui indique par ailleurs que si dédommagement il y a, le processus se fera sur la base du volume d’eau distribué et du coût moyen de vente habituel à la borne-fontaine.
En attendant, les promoteurs des bornes- fontaines de Yako sont invités à plus de patience jusqu’à ce que les responsables de l’ONEA de la ville aient des informations assez précises à leur endroit.

Zézouma Elie SANOU
(AIB-Passoré)

Laisser un commentaire