Attaques terroristes à l’Est du Burkina: A la rencontre d’une population courageuse

Yahaya Kaboré, directeur de l’Agriculture de la Kompienga: « Des agents sont amenés à circonscrire leurs interventions alors que nous sommes là pour le développement rural».

La région de l’Est est un épicentre des attaques terroristes perpétrées contre le Burkina. De Fada, la capitale régionale, à Pama, zone cynégétique et touristique, les populations font face aux menaces terroristes mais aussi au ralentissement de l’activité économique, au chômage technique, à la fermeture des écoles ou encore à la dégradation de la situation sanitaire. Un reportage dans cette zone en février 2019 montre une vaillante population qui rêve d’un retour rapide de la quiétude.

La population de la région de l’Est est devenue otage d’une guerre asymétrique. Nous sommes allés à sa rencontre. La préparation de cette la sortie s’est beaucoup alimentée des nouvelles venant du «front». Elles font écho de l’attaque du détachement militaire du 34e RIA (Régiment interarmes), pré-positionné à Kabonga dans la province de la Kompienga. Même si les soldats ont su échapper aux balles assassines de l’ennemi, on déplore néanmoins des dégâts matériels assez importants.

Quelques jours avant notre départ pour Fada, les médias annonçaient un second passage de l’adversaire sur les lieux, cherchant apparemment à effacer toute présence militaire. Une fois sur place, nous apprendrons qu’il n’y a pas eu de résistance, nos hommes ayant «décrochés» au vu du feu nourri des assaillants. Les réseaux sociaux, toujours au parfum des tribulations de nos FDS, nous renseignent que certains d’entre elles auraient rallié le Togo voisin avant d’être interpellés puis remis aux autorités burkinabè.

Pendant ce temps, le nouveau chef d’Etat-major général des Armées, via un communiqué de presse, a mis en garde tout militaire qui serait pris en flagrant délit d’abandon de poste face à l’ennemi. Il est tombé comme un couperet pour confirmer les rumeurs de la débandade des soldats. L’attaque, nous confie-t-on, a eu lieu peu avant le repas du soir.
C’est dans ce contexte sécuritaire peu reluisant, suscitant à la fois curiosité professionnelle et appréhension de l’inconnu que s’est effectué le voyage sur la région de l’Est.

Pour des raisons évidentes de sécurité, nous empruntons un car. Après trois heures de trajet, nous arrivons à destination autour de 9h. Des conducteurs de cyclomoteurs, appelés « taxi-motos » en quête de clients, nous assaillent. Une personne contactée auparavant, après quelques soucis de communication dûs à la mauvaise qualité du réseau mobile principal, arrive enfin. Nous apprenons de lui que les perturbations téléphoniques sont assez fréquentes et que parfois, la région peut rester des jours entiers sans réseau.

Les Fadalais dansent l’anxiété sur des musiques en vogue

La plupart des autorités ont déserté leurs circonscriptions administratives, nous apprend-on. On aura l’occasion de le constater sur le terrain. Des «missions» de durée indéterminée ou des bobos de santé persistants ont fait échouer bien des rendez-vous.
A la tombée de la nuit, nous prîmes place dans une gargote située aux abords d’un terrain de football, non loin de la route nationale reliant Fada à Pama. Le calme et l’obscurité plus ou moins dense étaient propices pour poursuivre les échanges.

Au loin, de l’un des nombreux maquis qui encerclent cet espace vide nous parvenaient des notes de musique en vogue. Des maquis, Fada en regorge. La nuit venue, ils ne désemplissent pas. Surtout les week-ends. Selon un des gérants, les choses ne sont plus comme avant mais le monde de la nuit «sort quand même». Des suspects auraient été interpellés quelques semaines avant notre arrivée par la police dans le maquis le plus huppé de la ville.

Notre contact qui nous accueillit, s’excusa car le lendemain il devrait se rendre dans la province de la Tapoa, à plus de deux cents kilomètres, précisément à Logobou où une épidémie de méningite foudroyante avait déjà fait plus d’une vingtaine de morts. L’autre compagnon nous fait part de sa sortie dans la province de la Kompienga, sur la thématique de l’insécurité. La gérante de la gargote nous laissa car il était l’heure pour elle de rentrer.

Notre interlocuteur et nous avions tant de choses à nous dire que nous nous séparâmes peu avant une heure du matin. Avant de nous jeter dans les bras de Morphée, la décision est prise, il faut que nous allions à Pama. Mais priorité d’abord à Fada N’Gourma, pour constater la résilience de cette population que nous côtoyons par intermittence depuis le début des années 1990.

Nous fîmes appel au premier taxi-moto pour le marché de bétail hebdomadaire afin de prendre le pouls de la cité. Cette infrastructure marchande inaugurée en 2006, fruit de la coopération entre la Suisse et le Burkina Faso, drainait un monde fou à la belle époque. En est-il toujours ainsi ? Oui, mais… Oui, car ce sont les mêmes populations bigarrées, le même vacarme et les mêmes odeurs qui emplissent l’air. Oui, car les affaires se font toujours directement entre acheteurs et vendeurs.

Mais, parce que l’affluence n’est plus la même à vue d’œil. Ce qui nous sera confirmé par la suite par le président de la fédération des marchés de bétail de l’Est, membre du comité de gestion.

L’affluence du jour est d’ailleurs perturbée par une opération conjointe des Forces de défense et de sécurité (police nationale, gendarmerie, police municipale, douane). L’objectif de cette opération est de vérifier les identités des conducteurs et documents d’engins à deux roues. A la fin de l’opération l’on a constaté que chaque entité a embarqué «ses» engins en infraction pour les convoyer à son siège plutôt que de les regrouper en un seul endroit.

Les habitudes décidemment ont la peau dure, même en période de crise.
Après le marché à bétail, visite dans les trois principaux établissements d’hébergement, sur la vingtaine que compte la ville de Fada N’Gourma. A l’Auberge du 11-Décembre, à l’Auberge du Conseil régional ou à l’hôtel Panache, le problème est le même : les affaires vont très mal. Et pour cause, leurs principaux clients que sont les amateurs de chasse et de tourisme cynégétique ont déserté les lieux.

Les sept campements de chasse que compte la région sont tous fermés. Même l’Etat n’organise que rarement ses grandes rencontres statutaires dans cette ville. Que dire alors des ONG ? Les gérants de ces établissements invoquent tous la paix et en appellent à l’Etat pour les soutenir à traverser cette mauvaise passe.

Nous poursuivons nos entretiens dans la ville le lundi. Entre deux tentatives d’arracher une interview, nous fîmes la réservation pour Pama, pour le lendemain mardi. Départ sept heures piles.

Dans l’antre du loup

La gare n’étant pas si éloignée de notre lieu d’hébergement, nous décidâmes de nous y rendre à pieds par une matinée glaciale. Curieusement, nous ne sentions pas trop le froid. Sans doute fallait-il lier cela aux multiples questions qui nous assaillent. Arrivera-t-on à bon port vu que c’est sur cet axe que par deux fois au moins des FDS ont sauté sur des engins explosifs improvisés (EEI).

Notre car sera-t-il intercepté par les «nouveaux maîtres» du terrain ? Certes, les civils ne sont pas leur priorité pour le moment mais comme parfois il faut un début à tout…Plongé dans nos réflexions plus ou moins funestes, nous arrivons. Une demi-heure plus tard, la vingtaine de passagers que nous étions, embarquâmes pour Pama, le chef-lieu de la province de la Kompienga. Il était 7h10.

Au poste de police situé à la sortie Sud de la ville, tout le monde descend pour le contrôle des pièces d’identité. Très rapidement, nous réembarquons pour la suite du trajet après ces formalités administratives. Deux copines devisèrent un court instant puis ce fut le silence. Un silence d’autant plus lourd que pas même la musique ou une animation vidéo qui égaye ne nous est proposée. Nous fîmes le trajet à une allure dantesque malgré l’état très défectueux de la route.

Certains éleveurs ont migré vers des pays voisins, selon Ousséni Gandèma, responsable départemental des ressources animales de Pama.

Nous aperçûmes au passage, à quelques kilomètres d’intervalle, les épaves de deux véhicules militaires victimes des attentats à l’engin explosif improvisé. Cela en ajouta au silence. Dans l’un des villages situés aux abords de la voie, il y avait de nombreuses bicyclettes et des élèves qui s’amusaient dans une cour d’école. Apparemment, les choses sont rentrées dans l’ordre, contrairement aux informations collectées à Fada faisant état de fermetures des établissements scolaires, pensons-nous. Nous déchanterons à notre arrivée.

Un panneau publicitaire fit naître en nous l’espoir que nous n’étions plus loin. Effectivement quelques minutes après, nous fîmes notre entrée dans la ville de Pama. Ouf, nous y sommes sains et saufs. Du véhicule, notre regard tomba sur le panneau de la structure où devraient attendre nos constats. Arrivé à la gare routière, il faudrait refaire le chemin inverse.

Nous nous y rendons à pied car ici, contrairement à Fada, aucun taxi-moto. L’impression qui se dégage aux premiers instants dans cette ville est un climat de méfiance envers l’étranger. Les regards sont ou inquisiteurs ou fuyants. Voire les deux. Pour une ville frontalière tout semble fonctionné au ralenti. Arrivé à notre point de contact et après les salutations d’usage et l’objet de notre mission, nous voici juché sur une grosse moto pour le tour de la cité. Un tour qui prendra fin en milieu d’après-midi.

Notre première destination fut le service provincial des eaux et forêts. On y trouve quelques arbres. Le meilleur bâtiment du service, apprend-t-on, est l’œuvre d’un projet relavant du parc W (Bénin-Burkina-Niger). A notre approche, un jeune homme, en civil, kalachnikov en main, quitta le hangar sous lequel il échangeait avec deux autres jeunes gens.

Il nous fit signe de la main gauche de rester à distance et vint à notre rencontre. Nous nous présentâmes à lui. Nous lui déclinons l’objet de notre venue. Le directeur étant «en mission » hors de la province, il fit appel à l’intérimaire par téléphone. Celui-ci arriva en moins de cinq minutes. Il nous introduisit dans un autre bâtiment menacé par l’usure du temps, qui lui faisait office de bureau. De nos échanges, nous avons compris qu’il était bien disposer à satisfaire notre curiosité mais n’ayant pas reçu d’instruction de son supérieur hiérarchique, il se garda bien de le faire.

Les agents de l’Etat s’accrochent pour servir la population

La chance commença à nous sourire au service départemental des ressources animales. Un jeune homme, de taille moyenne, bien svelte, habillé en polo rouge nous accueillit avec bienveillance. Il s’agit du responsable départemental des ressources animales et halieutiques de Pama, Ousséni Ganamé. Il marqua sa disponibilité pour une interview. A quatre, ils mènent leurs activités mais avec précaution.

Ainsi, ils ont pu gérer assez efficacement la dernière épizootie en date à savoir celle des ânes. De même pour les activités quotidiennes, ils sont obligés de se rendre sur le terrain pour répondre aux sollicitations des producteurs ou pour l’inspection des produits alimentaires, même si c’est « avec beaucoup de peur ». Il a pris l’exemple d’un de ses collègues, parti pour une intervention à Kabonga (Kompienbiga), à une quinzaine de kilomètres de Pama.

« Il a été arrêté par ces mêmes personnes, mis à plat ventre à même le sol, le fusil à bout portant. On lui posa des questions pour savoir s’il était militaire, policier, gendarme ou forestier. Il a répondu non, non, non, non. Ils ont vidé son sac qui contenait les produits vétérinaires. Ils ont fouillé ses poches qui contenaient entre 30 et 40 000 francs. Ils n’ont pas pris son argent de même que son sac et les produits lui ont été restitués avant de le libérer.» Cet agent, tout comme un privé qui officiait dans cette localité ont élu domicile depuis lors à Pama.

Et chaque matin, ils y vont pour mener leurs activités. Beaucoup d’éleveurs peulhs ont préféré rejoindre le Togo, le Bénin ou le Ghana, apprend-on. Les exactions et la stigmatisation en sont les principales causes. Il y a quelque temps, un éleveur a sollicité les services vétérinaires pour vacciner ses animaux dans l’optique de se rendre dans un pays voisin. Il aurait perdu deux de ses bergers, suite à une opération militaire.

Les deux tiers au moins des grands éleveurs sont ainsi partis sous des cieux plus cléments. Le département de Pama comptait jusqu’à 5 000 têtes de bovins. « Notre cri du cœur c’est que la situation s’améliore afin que les gens puissent vaquer à leurs occupations », souligne-t-il.

Les services de l’agriculture sont aussi confrontés à la problématique de l’insécurité dans la province. Pour son premier responsable, Yahaya Kaboré, c’est avec amertume qu’ils vivent cette situation d’insécurité. «Quand vous prenez la route pour Fada, c’est avec beaucoup de prière et d’angoisse parce qu’on ne sait pas ce qui peut vous arriver en cours de route», explique-t-il.

Les activités d’appui-conseils et de supervision des agents sur le terrain sont fortement perturbées car l’accessibilité leur pose des problèmes. D’ailleurs «des agents sont amenés à circonscrire leurs interventions alors que nous sommes là pour le développement rural, pour l’accompagnement des producteurs afin d’éradiquer la pauvreté en milieu rural», ajoute-il. Certains de leurs partenaires qui intervenaient à leurs côtés sur le terrain sont également en pleine réflexion pour voir comment accéder aux sites dans le nouveau contexte.

C’est le cas de la JICA (Agence japonaise de développement international) qui appuyait la province pour la relance de la production de soja qui a rapatrié tous ses techniciens et la GIZ (coopération allemande) pour la production de riz.
Mais les techniciens du monde agricole ne restent cependant pas cloitrés dans leurs bureaux. Ils usent de nouveaux stratagèmes pour se rendre sur le terrain auprès des producteurs.

Les avis des producteurs sur la situation sont également recueillis avant tout déplacement des techniciens. Et «pour le moment Dieu merci, que ce soit nos collègues sur le terrain, de même que ceux qui sont au siège, personne n’a été victime d’agression». Pour l’heure, il ne leur est pas revenu que des producteurs ont commencé à quitter la province.

Nous nous rendîmes au haut-commissariat pour présenter nos civilités au premier responsable de la province. Il est «en mission», fit savoir son secrétaire général. Cet administrateur civil chevronné se contenta de nous dire ce que tout le monde savait à Pama. N’ayant reçu aucune consigne de la hiérarchie. Notre entretien se déroula entre arabesques sur son calepin, coups d’œil furtifs et gesticulations disproportionnées.

Les élus locaux ne sont pas épargnés par cette psychose généralisée. «Même pour aller au service, si tu ne te donnes pas le courage, tu ne veux même pas qu’on t’appelle M. le maire», affirme le premier adjoint au maire de Pama, Lamourdja Tandamba, dont le titulaire, rentré hier «de mission» est reparti «en mission» ce matin. Au service, la concentration n’est pas non plus à son maximum à cause de la peur, dit-il.

Et d’ajouter : «Si tu es chez toi à la maison, à partir de 19h-20h, si une moto même passe devant ta cour tu as peur. Si cette personne s’arrête je ne pense pas qu’elle va te trouver chez toi. Tu risques de sauter par le mur parce qu’on ne sait plus qui est qui. Notre vie a totalement changé. Tu ne peux même plus aller chez ton voisin sans l’avertir. Si quelqu’un t’approche même pour de bonnes informations, tu n’oses pas les lui donner parce que tu ne sais pas qui il est ». Il affirme que de nombreuses familles ont préféré quitter la commune pour aller s’installer ailleurs.

Deux jeunes hommes, attablés dans une gargote, écouteurs aux oreilles, tripotent leurs Smartphones. Ils confirment être à présent désœuvrés. Ils disent rentrer chez eux aussitôt la nuit tombée pour ne ressortir qu’au lever du jour. La maitresse des lieux, un garçonnet à ses côtés, est affalée sur sa chaise à l’ombre de son kiosque tandis que son employée cure des ustensiles de cuisine. Elle affirme que « ça va un peu » en ce qui concerne le chiffre d’affaires.

Par contre, elle se contenta d’un sourire figée à la question de savoir si la situation d’insécurité y est pour quelque chose dans la baisse de la quantité de repas vendu quotidiennement. Elle ne prépare de nos jours que la moitié du volume habituel. Rien de surprenant à cette perturbation de l’économie locale quand on sait que les débits de boissons ont été fermés sur instruction des terroristes. Seuls quelques téméraires font de la résistance ou vendent leurs boissons sous le manteau.

L’élu évoque le fait que certains habitants viennent lui demander s’ils sont toujours au Burkina Faso et si le gouvernement est informé de la situation qui prévaut. «Nous leur répondons que c’est parce qu’il est au courant que les militaires qu’il nous envoie sont victimes d’explosion», précise-t-il. Il déplore la fermeture des établissements scolaires dans la province. Soit 74 écoles primaires, un établissement préscolaire, 9 collèges d’enseignement général et trois lycées publics.

Conséquences, plus de 600 enseignants et des milliers d’élèves se retrouvent dans la nature. Malgré tout, la vie se poursuit.

Les mariages et les cérémonies coutumières ont lieu dans la commune, souligne-t-il. C’est dire que les populations en tous les cas font preuve de résilience dans ce contexte d’insécurité aigue.

Nous avons pris congés des Pamalais, aux environs de 17 heures pour regagner Fada N’Gourma. Un voyage retour qui s’est déroulé dans une ambiance détendue, malgré la vitesse démentielle du chauffeur et les secousses liées aux nids de poule.

Alassane NEYA


Des victoires encourageantes et un couvre-feu de 19h à 6h

Des nouvelles très réjouissantes parviennent des fronts Est et Nord dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. Après notre passage, l’armée a mené des actions de riposte vigoureuses et sanglantes. Ainsi plusieurs groupes d’assaillants ont été neutralisés, selon des informations fournies par l’Armée à travers des communiqués. Des assaillants qui avaient visé une patrouille de gendarmerie le 28 février dans la zone d’Aribinda, ont subi une riposte au cours de laquelle huit d’entre eux ont été neutralisés, selon un communiqué de l’Etat-Major général des armées.

Bien avant, une opération menée dans les zones de Kompienbiga, de Kabonga et au Campement, du 19 au 20 février, a permis de mettre 29 assaillants «hors d’état de nuire» toujours selon l’Etat-major des Armées.
Pour poursuivre dans cette lancée, un couvre-feu a été instauré de 19h à 6h dans toute la région de l’Est, pour compter du jeudi 7 mars au samedi 20 avril 2019, selon un communiqué du gouvernorat de la région.