Attaques terroristes à l’Est : L’hôtellerie et le marché à bétail dans l’impasse

Des bovins de toutes les catégories sont disponibles au marché à bétail

Les attaques terroristes ont impacté négativement l’économie de la région de l’Est, notamment dans les secteurs du bétail et de l’hôtellerie. De ce fait, certains employés sont en chômage technique et risquent de perdre définitivement leur boulot si la situation perdure.

Le marché à bétail est l’un des piliers de l’économie dans la région de l’Est. Ce secteur, jadis florissant, subit directement les effets pervers des attaques terroristes. Et déjà, le comité de gestion du marché tire la sonnette d’alarme sur ce qui s’apparente à un marasme économique.

Selon ce comité, le marché à bétail de Fada N’Gourma a perdu de sa superbe. Car, dit-on, le business dans ce secteur a baissé du tiers. Le secteur de l’hôtellerie n’est pas en reste, puisque le taux de remplissage a chuté du tiers à la moitié, voire plus.

Pour le constater, nous nous rendons le 3 février 2019, au marché à bétail de Fada N’Gourma, à la sortie-est de la ville. Bâtie en 2006 sur une superficie de huit (8) hectares, cette gigantesque infrastructure fait la fierté de la cité de Yendabli. Elle dispose de plusieurs compartiments répartis entre les bovins, ovins et caprins sans compter la zone de stockage fourrager et la zone administrative.

Ce marché a pour vocation d’approvisionner le Burkina Faso et surtout les pays de la sous-région ouest-africaine en animaux. En cette période d’harmattan, le vaste espace qu’il occupe est poussiéreux obligeant ainsi de nombreuses personnes à faire usage d’un cache-nez pour se protéger.

Une foule de marchands venus d’horizons divers s’active et les marchandages vont bon train. Entre les va-et-vient des uns et des autres, s’entremêlent les beuglements et les bêlements des bêtes, les ruades et les tentatives de saillie des taureaux. C’est dans cette belle ambiance que se font les transactions.

De l’argent en vitesse

Là, un homme de taille moyenne, la barbe grise et drue s’empresse de fourrer dans son boubou, un paquet de billets de banque. Un autre vendeur d’animaux propose à ses clients, trois veaux gras. Un acheteur arrive et les deux discutent des prix. Plus loin, une poignée de main suivie de bénédictions sont échangées entre deux partenaires en affaires.
De ce marché, pas moins de 100 millions FCFA de chiffres d’affaires y sont réalisés par semaine, confie-t-on.

Le gérant de l’hôtel du 11 Décembre, Amadou Sinini, envisage une réduction temporaire de son personnel pour faire face à la crise

Mais depuis 2017, avec la recrudescence des attaques terroristes, les affaires battent de l’aile. Du coup, les recettes hebdomadaires ont dégringolé. Foi du comité de gestion du marché, les collectes se situent actuellement entre 200 000 et 250 000 FCFA, contre 800 000 francs avant la crise. Amadou Kolado Maïga, le président de la fédération des marchés à bétail et membre du comité de gestion, rappelle en substance que les propriétaires d’animaux sont astreints à l’acquittement des taxes.

Ainsi, détaille-t-il, tout propriétaire de bétail paie 500 FCFA par tête de bovin et 100F pour les ovins, caprins et autres espèces asines. L’équipe des collecteurs, installée à une distance respectable, veille au grain. Elle est composée des représentants de la commune de Fada N’Gourma et de la fédération des éleveurs.

De l’avis de Amadou Kolado Maïga, la tranche de février à juillet n’est pas «la bonne période» pour faire des affaires. Les éleveurs ont certes l’habitude d’aller en transhumance vers les pays comme le Bénin et le Togo, mais compte tenu du contexte sécuritaire difficile que traverse la région de l’Est du Burkina, ils sont partis plus tôt que prévu. Ces éleveurs se sentaient-ils menacés et par qui ?

A cette question Kolado reste évasif : «je ne sais pas par qui ils sont menacés mais ils ont dit tout simplement qu’ils ne sont pas en paix ici, ils vont repartir. Mais je ne sais pas qui les menace ».

L’hôtellerie, fortement touchée

La région de l’Est, considérée comme la destination privilégiée pour les touristes de vision et autres visiteurs de tous genres, a perdu de sa superbe. Le constat est désolant dans le secteur de l’hôtellerie où les gérants peinent à sortir la tête de l’eau. Bachour Mounah propriétaire et gérant du Panache hôtel, se plaint du manque de clients.

Ce pionnier de l’hôtellerie à Fada N’Gourma, se désole du fait que sa ville n’attire plus grand monde. Même les services de l’Etat qui y organisaient des séminaires et autres ateliers se font de plus en plus rares, explique-t-il. Ces organisateurs, faut-il le reconnaître, préfèrent croquer la vie à belles dents dans la capitale plutôt que de courir derrière les frais de mission dans une contrée incertaine déclarée zone rouge.

M. Mounah qui, peu avant la crise sécuritaire, avait réhabilité son établissement à près d’une trentaine de millions FCFA, déchante. Le bâtiment à deux niveaux dispose des chambres à coucher aux standards internationaux, d’un jardin avec piscine et cascades, une salle de réunion sonorisée de 50 places.

Une vue d’ensemble de « Panache hôtel » de Fada N’Gourma

Dans cet hôtel, outre le restaurant à l’air libre, on y trouve une spacieuse salle à manger climatisée modulable pour offrir 200 à 300 places assises. Tout semble désespérément vide.

L’Auberge du Conseil régional, réalisée en 2008 par celui-ci à l’occasion des festivités du 11 Décembre, n’est plus que l’ombre d’elle-même. Ses clients se comptent au bout des doigts. Avant les attaques, il enregistrait jusqu’à 15 clients par jour, de l’avis de Joël Dayamba, le gérant. De nos jours, la situation est tout autre. « On peut souvent faire deux jours sans avoir un seul client et le chiffre d’affaires a baissé de plus de la moitié», se désole-t-il.

Amadou Sinini, gérant de l’Auberge du 11 Décembre explique que la situation va de mal en pis. «Depuis que la région a été déclarée zone rouge, nous connaissons une baisse très sensible du chiffre d’affaires au niveau de l’Hôtellerie», soutient-il.

Le taux de remplissage, selon ses explications, est passé de l’ordre de 40 à 45 % en période morte à seulement 15% actuellement.
M. Sinini dit trimer pour joindre les deux bouts alors qu’il doit faire face à des charges incompressibles tels que les salaires, les impôts, les taxes et les frais d’électricité. « Ce qui peut baisser un peu c’est l’électricité, mais là aussi ce n’est pas tout à fait çà parce qu’on a les chambres froides, les congélateurs qu’il n’est pas question de débrancher. Tout cela joue beaucoup sur l’équilibre entre recettes et dépenses », relativise t-il.

Le stress des employés

Au regard de cette situation peu reluisante, les employés des différents hôtels vivent dans le stress. Car, il n’est pas exclu que les employeurs procèdent à des licenciements pour motif économique. Pour preuve, le gérant de l’Auberge du 11 Décembre dit prendre des dispositions pour libérer temporairement le tiers de ses employés. « Sur les 27 employés on va libérer au moins une dizaine.

Nous allons piloter avec le reste et quand la situation va s’améliorer nous allons revenir à nos anciennes amours », précise-t-il. Les amateurs de chasse, révèle M. Sinini, sont les plus grands consommateurs de produits de l’hôtellerie et du tourisme. Vu l’insécurité grandissante, dit-il, ils ne viennent plus. Pour sa part, Bachour Mounah tente de faire de la résistance. Il s’engage à maintenir ses 15 employés à leur poste, mais jusqu’à quand va-t-il tenir le coup ? Mystère et boule de gomme.

Pour l’heure les regards des hôteliers de la région de l’Est sont tournés vers les autorités burkinabè. Amadou Sinini demande au gouvernement des mesures d’accompagnement. « Il faut que l’Etat nous vienne en aide sur tous les plans, aussi bien fiscal que des subventions pour nous permettre de sortir la tête de l’eau.

Ce n’est pas de l’amusement. On a créé de l’emploi et du jour au lendemain, sans qu’il n’y ait une raison suffisamment valable nous soyons obligés de fermer une partie des activités en attendant que les choses s’améliorent », supplie Amadou Sinini. Joël Dayamba, lui également compte sur les autorités et les différents acteurs de développement pour survivre. « Partout dans le monde, nous voyons ce qui se passe ; mais concernant notre pays et particulièrement pour notre région, nous souhaitons qu’il y ait la paix », prie-t-il.

Alassane NEYA


Amadou Kolado Maïga, président de la Fédération des marchés à bétail de l’Est
«Nous prions Dieu de ramener la paix»

« Yirgou c’est déplorable puisque c’est un conflit interethnique. C’est entre nous-mêmes. Nous en tout cas on ne souhaite plus voir ce genre de chose au Burkina. Ici au niveau de la région de l’Est, les éleveurs se sont organisés pour apporter leur contribution aux personnes affectées par ce conflit. Une somme d’environ 600 000 FCFA.

En tout cas nous mêmes on s’inquiète puisque partout où l’on est aujourd’hui il faut s’inquiéter. On ne comprend pas. Mais si cela s’avère en tout cas c’est très dangereux. Si cela ne cesse pas au niveau du Burkina ce n’est pas bon. Le Burkina est un pas en paix, le Burkina comme on le dit est un pays des hommes intègres, donc il faut qu’on s’intègre pour avoir la paix. J’ai 74 ans, je n’ai jamais vu cette situation au Burkina si ce n’est pas maintenant.

Il faut sensibiliser les populations et mettre les gens à l’aise. Les éleveurs et les agriculteurs peuvent se bagarrer mais, eux ils ont une limite mais un conflit interethnique n’a pas de limite puisqu’il peut continuer jusqu’à vos petits-enfants. Donc nous on ne souhaite pas cette situation au niveau de la région de l’Est. On peut se manquer, par exemple pour des dégâts de champ ou bien autre chose, mais un conflit-interethnique on ne le souhaite pas. Inch Allah.

Que tous les Burkinabè mettent de l’eau dans leur vin pour qu’on puisse réussir puisque le Burkina n’a jamais connu cette situation. Donc il ne faut pas qu’on la commence. J’ai fait presque tous les pays de l’Afrique de l’Ouest, mais je n’ai jamais vu un pays où il y a la paix plus qu’au Burkina. Mais vous savez que chaque chose à son jour : le jour que ça vient ça va venir, le jour que ça passe ça va passer. On veut la paix au Burkina. Que chacun se promène où il veut, travaille où il veut et recherche ce qu’il veut ».

N.A.