Crevettes «made in Burkina» : Des femmes au cœur du business

Des crevettes fraîches de Koubri.

Les crevettes d’eau douce sont vendues essentiellement par des femmes. A Koubri, une commune rurale située à une vingtaine de kilomètres au Sud de la capitale Ouagadougou, elles se battent au quotidien pour tirer de cette activité des revenus pour leurs besoins. Carrefour Africain est allé à leur rencontre à l’occasion de la Journée internationale de la Femme.

Les femmes savent flairer le bon business. Elles se sont donné un monopole de fait dans la commercialisation des crevettes élevées dans des eaux du Burkina Faso. Les crevettes étant à la fois rares et prisées par la classe nantie, ce business leur permet de gagner, à la vente, environ 2000 FCFA de bénéfice sur le kilogramme. C’est un peu mieux que la vente de poisson, une autre activité menée par de nombreuses femmes.

Il est vrai que les vendeuses de crevettes du Burkina sont avant tout des vendeuses de poisson. Et, c’est à la poissonnerie de Koubri, sise au bord de la route Ouaga-Kombissiri que nous avons rencontré, le 12 février 2019, une dizaine de femmes évoluant dans ledit domaine. A 8 heures passées, elles avaient déjà étalé sur un comptoir, des crevettes frites. On voyait aussi des carpes, des silures et des sardines.

Marie Nikiéma, 37 ans, est l’une des locataires de ce petit marché. Elle vend des crevettes, considérées comme un produit de luxe dans certains milieux au Burkina, appelées « kuilsouré» en mooré ou «zonzon» en dioula. Elle cède le kg à 5000 FCFA ou 6000 FCFA. Elle dit en tirer un bénéfice de 1500 à 2000 FCFA par kg.

«Le tas de crevettes frites coûte 1000 F», détaille-t-elle. A Koubri, elles sont au moins une cinquantaine de femmes à exercer dans ce métier, de l’avis de Marie Nikiéma.
A titre comparatif, le kg de carpe ou de silure coûte 1500 à 1200 FCFA. Mme Nikiéma confie que tous les jours de la semaine, depuis plus de 15 ans, du matin au soir, elle court pour proposer ses produits aux clients, généralement des voyageurs de passage.

Acheter et vendre des crevettes n’ont plus de secret pour elle. Avec cette détermination, elle arrive à écouler quotidiennement 10 kilogrammes de crevettes. Ces clients sont les Burkinabè mais parfois des étrangers, selon ses dires. Les bénéfices engrangés servent à subvenir aux besoins de sa famille. «J’arrive à supporter les frais de scolarité de mes trois enfants. J’ai pu m’acheter aussi une mobylette», annonce-t-elle.

Elles se signalent au FESPACO

Une autre femme, ex-vendeuse de crevettes, Pauline Tassembédo, 60 ans, raconte qu’elle a mené cette activité pendant 35 ans avant de s’adonner à la vente des fruits et légumes, afin de libérer la place aux plus jeunes dont Marie Nikiéma. Elle est fière de ce qu’elle a pu réaliser avec la vente des crevettes et du poisson. «J’ai pu construire une maison en ciment et offrir une mobylette à mon époux», dit-elle.

Odile Yamwemba et 3 autres camarades de Koubri devant leurs étals de crevettes au 26e FESPACO.

Les vendeuses de crevettes de Koubri sont si dynamiques qu’elles ont pu se faire une place à la 26e édition du Festival panafricain du Cinéma et de la télévision de Ouagadougou (FESPACO). Au nombre de 4, elles exposent des crevettes et du poisson fumé dans l’enceinte du siège du FESPACO.

Odile Yamwemba, 38 ans, est l’une des exposantes. Rencontrée le jeudi 28 février 2019, à deux jours de la clôture du festival, elle confie que les affaires marchent doucement. « Bilfou-bilfou », affirme-t-elle. Sa jeune camarade, Rosalie Ouédraogo, 28 ans, n’en dit pas plus. Elles estiment à quelque 50 mille francs les recettes déjà récoltées par chacune d’elle et espèrent liquider les 60 kg de crevettes qu’elles ont emmenés de Koubri.

Le business des crevettes, adossé sur celui du poisson, fait vivre les femmes de Koubri. Pour mieux organiser leur activité, elles ont mis en place, depuis trois ans, une association dénommée «Rinongo» (Bien manger en mooré). Sa présidente n’est autre que Marie Nikiéma.

Les femmes s’approvisionnent auprès des pêcheurs installés aux abords des retenues d’eau comme le barrage ‘’Arzoum’’, le Nouveau barrage et le barrage Bazèga. La présidente de « Rinongo » par exemple se ravitaille auprès de Pascal Nana, un jeune pêcheur qui fait office de fournisseur.

Vu l’importance de cette activité pour les ménages, une de promotion est dédié à la production et la commercialisation des crevettes, à Koubri. L’événement de cette année 2019 est attendu au mois d’avril.

Les Ouagalaises ne sont pas en reste

 

Au-delà de Koubri, les crevettes d’eau douce sont aussi vendues par des femmes de Ouagadougou, installées au bord des routes, dans des quartiers comme Tanghin, Samandin. Au quartier Cissin, Salamata Ilboudo est une référence en la matière. Installée devant le Complexe scolaire Steeve Biko, elle se confie. «Je n’attends pas qu’on vienne me livrer les crevettes ici. Je me rends moi-même, chaque matin, à Koubri depuis 25 ans, pour les acheter».

A la question de savoir si l’activité est rentable, elle répond : «Comme toute autre activité, souvent on gagne, souvent on perd. J’ai pu dans tous les cas m’occuper de mes trois enfants depuis la disparition de mon mari, il y a plus de 20 ans», déclare-t-elle.

Une autre, Safi Sawadogo, rencontrée derrière le barrage de Tanghin, dit s’approvisionner auprès des pêcheurs installés à Loumbila et Mogtédo. Elle dit acheter le kg de crevettes à 4 600 FCFA pour le revendre au-delà de 6000 FCFA. Elle vend le poisson et les crevettes depuis maintenant 20 ans. Ces commerçantes rencontrent des difficultés. On peut citer, entre autres, le besoin de hangars plus appropriés et à un coup accessible.

La location moyenne des hangars à Koubri est de l’ordre de 3 000 FCFA par mois. Les vendeuses de crevettes souhaitent aussi disposer de congélateurs et de vitrines pour mieux conserver et exposer les différents produits halieutiques. En attendant, les marchandises sont vendues dans des conditions hygiéniques non satisfaisantes.

De l’avis du 1er adjoint au maire de Koubri, Jérôme Zangré, le site créé depuis 2007 sera bientôt aménagé à leur profit. Une étude menée sous la houlette de la direction régionale des ressources animales serait bouclée. «Il y aura par exemple des foyers améliorés pour le fumage des poissons afin que les voisins ne soient pas indisposés par la fumée. On attend la validation du document», a confié le maire adjoint.

Des vertus nutritives indéniables

La crevette possède des qualités nutritives. Sa consommation aiderait à baisser la tension. Selon le vétérinaire halieute, chargé de recherches au Centre national de la recherche scientifique et technologique (CNRST), Nessan Désiré Coulibaly, les produits de pêche sont souvent indiqués dans les désordres métaboliques. La crevette serait de cette catégorie des produits régulateurs du dysfonctionnement métabolique. «Elle a une qualité nutritive indéniable», a-t-il ajouté.

Le vieux Adama Nikiéma, un client de Salamata Ilboudo, en est certain. «Je souffre de l’hypertension. Mais j’ai remarqué qu’en consommant les crevettes, ma tension ne monte pas», se réjouit-il.

Le 1er adjoint au maire de Koubri, Jérôme Zangré, promet un site bien aménagé pour les vendeuses de poissons et de crevette.

Pour le 1er adjoint au maire de Koubri, Jérôme Zangré, la promotion de la filière passe par la sensibilisation des pêcheurs aux bonnes pratiques. «C’est-à-dire exploiter de façon responsable en utilisant des filets adaptés. Savoir jauger les quantités et la qualité. Penser aux générations futures», affirme-t-il. Pascal Nana est de cet avis. Cependant, il confie que c’est parce qu’ils n’ont pas le choix. «Nous agissons ainsi pour notre survie », fait-il comprendre.

Ablassé Tapsoba du groupement « Songtaaba » des pêcheurs est conscient des mauvaises pratiques de ses camarades. Toutefois, il assure qu’ils essaient d’adapter leurs outils de travail aux normes recommandées. Et d’ajouter qu’il devient de plus en plus difficile d’échapper au contrôle des agents des eaux et forêts qui sanctionnent les pêcheurs qui, à la recherche des crevettes, captent les petits poissons.

Pour accroître la production du « kuilsouré », Dr Coulibaly croit qu’il serait intéressant de passer de la pêche de la crevette à son élevage, dénommé, crevetticulture. Avec cette donne, il pense que le développement de la filière crevette prend en compte la production, la transformation et la commercialisation. Cette espèce aquatique est sensible aux variations que subit son milieu ambiant.

Il a ajouté que d’une manière générale, le marché burkinabè est défini par un sous-approvisionnement chronique de produits halieutiques. « En 2018, 126 000 tonnes de poisson consommées, seulement 24 000 viennent de la production locale», a-t-il poursuivi. Pour l’instant, les femmes de Koubri comme celles de Ouagadougou tirent leur épingle du jeu dans la commercialisation des crevettes d’eau douce. Mais si des efforts en crevetticulture ne sont pas faits, elles pourraient se retrouver sans marchandise.

Habibata WARA


Historique de l’élevage des crevettes au Burkina Faso

Selon Dr Nessan Désiré Coulibaly, la crevette aurait été introduite au Burkina Faso dans les années 60 par les autorités de l’époque. Notamment par le président Maurice Yaméogo qui l’a fait venir de la Côte d’Ivoire pour ensemencer les barrages du Centre. Pabré, Koubri et le barrage de Salbisgo sont cités.

Aujourd’hui, on trouve les crevettes dans les régions du Plateau central, du Centre (Koubri), le Centre-Ouest (Salbisgo) et de l’Est (Manni). Toutefois, les raisons de l’existence de cette espèce dans ces eaux restent à rechercher.
Il semble aussi que Koubri est devenu le principal centre de production de crevettes au Burkina Faso grâce au défunt Salif Diallo, alors ministre en charge de l’environnement. Celui-ci aurait encouragé la promotion de cette espèce dans la localité.