4 milliards FCFA ont déjà été injectés dans le projet du barrage de Ouéssa, commune de la province du Ioda, dans la région du Sud-Ouest. En 2014, le chef du gouvernement s’est rendu dans cette localité pour attester de l’importance de ce projet qui sera ensuite reconduit dans le référentiel de développement de 2016. Devant les représentants du peuple, le Premier ministre d’alors, Paul Kaba Thiéba, avait déclaré, dans son discours sur la situation de la Nation, que « le financement du barrage de Ouéssa est acquis». Mais sur le terrain, rien n’a véritablement bougé pour ce projet qui devrait rendre navigable le plus important fleuve du Burkina, offrir de l’électricité et des zones agricoles aménagées aux populations.
A quelque 3 km au nord de la ville de Ouéssa, l’activité agricole bat son plein. En cette matinée du mercredi 18 mai 2022, Abdou Ouédraogo, l’un des cousins de l’artiste musicien ivoirien A’Salfo et d’autres producteurs sont à la tâche. A l’aide de motopompes installées au bord du fleuve Mouhoun, Abdou s’affaire à arroser sa bananeraie tandis que ses camarades vaquent à d’autres occupations. Le site devant abriter la cuvette est désormais occupé par des champs. A certains endroits, le lit du futur barrage est noyé dans des touffes d’herbes et d’arbustes. Les seuls indices visibles du projet, ce sont des bornes.
Pour avoir des informations sur l’évolution du dossier Ouéssa, rendez-vous est pris avec la Direction générale des infrastructures hydrauliques (DGIH) du ministère en charge de l’eau qui assure la maîtrise d’ouvrage. La patronne de cette direction, Seimata Oubien, rappelle que ce projet de plus de 40 ans est toujours d’actualité mais que des difficultés d’ordre technique et institutionnel entravent sa réalisation.
Selon elle, l’étude préliminaire du projet, datant de 1994, comportait des limites en ce qu’elle tablait sur un ouvrage de 4 milliards de m3 avec un coût de réalisation de 92 milliards FCFA. « C’était une étude sommaire, sans investigation très approfondie », signale-t-elle. Soulignant que les coûts et les impacts socio-environnementaux y ont été sous-estimés.
Deux décennies de mise en veilleuse
Est-ce en raison des insuffisances de l’étude préliminaire que le projet sombre dans les oubliettes ? En tous les cas, de 1994 à 2014, le projet est mis en veille. Il a été remis au goût du jour, soudainement par une visite du Premier ministre de l’époque, Luc Adolphe Tiao, sur le site.
Lors de cette sortie, le chef du gouvernement avait assuré, au cas où la population en douterait, que l’étude de faisabilité était prise en charge par des Indiens.
Puis après, les autorités burkinabè ont fait volte-face, refusant de confier cette étude à des étrangers. « Pour notre souveraineté, nous avons préféré réaliser nous-mêmes l’étude, quitte à signer une convention en Partenariat public-privé (PPP) avec les Indiens pour la construction de l’ouvrage », confie Seimata Oubien. M. Tiao ajoutait, en outre, que « les travaux allaient démarrer dans un délai raisonnable ».
« La visite de Luc Adolphe Tiao, c’était du bluff», ironise l’ancien maire de Ouéssa, Mathias Somé. Du reste, avec la chute du régime de Blaise Compaoré, en octobre 2014, le projet du barrage est retombé à l’eau jusqu’à l’avènement de Roch Marc Christian Kaboré, deux ans plus tard.
C’est alors que le projet du barrage de Ouéssa a été réintroduit dans le Plan national de développement économique et social (PNDES), le référentiel de développement du président Kaboré. Le 6 mai 2016, le Premier ministre, Paul Kaba Thiéba, déclarait à l’Assemblée nationale, lors de son discours sur la situation de la Nation, que « le financement du barrage de Ouéssa est acquis ».
Mais dans les faits, rien n’était gagné. «Dans le PNDES, nous avons intégré la construction du barrage de Ouéssa, mais nous savions qu’on ne pouvait pas y arriver sans passer par les études », reconnait Seimata Oubien. A l’en croire, le financement dont parlait le Premier ministre se rapportait à l’étude de faisabilité.
La population n’était pas dupe non plus. « On a souvent envie de dire aux politiciens qu’ils mentent», s’agace Sié Léandre Somé, directeur provincial en charge de l’agriculture du Ioba.
Bon an mal an, une nouvelle étude a été lancée le 13 novembre 2017, d’un coût de plus de 4 milliards FCFA. Bouclée en 2019, l’étude a amené les techniciens à redimensionner le barrage.
Désormais, le volume d’eau est ramené de 4 milliards de m3 à 1,550 milliard de m3. « Nous avons vu qu’avec les 4 milliards de m3, le barrage allait inonder beaucoup de localités, y compris la route nationale 1, la ville de Boromo et le chemin de fer reliant Bobo à Ouagadougou», dévoile Mme Oubien.
L’ancien maire de Ouéssa, Mathias Somé, a suivi les travaux de l’étude. Pour lui, « celle-ci a montré que l’importance de l’eau n’avait pas été bien maîtrisée dès le départ car elle noyait le nouveau pont de Boromo construit à hauteur de 7 milliards FCFA ».
De son avis, la solution était de reconstruire un nouveau pont plus haut. Cette idée n’a pas été retenue pour des raisons financières. « Il était encore question de reprendre les études de manière à ce que l’on ne soit pas obligé de casser le pont de Boromo », se souvient-il.
Sur cette question, Achille Segda, Directeur des opérations de maintenance des ouvrages hydrauliques (DMOH) à la DGIH, pointe du doigt le manque de coordination entre les différents projets de l’Etat. A l’écouter, il n’y a pas eu une synergie d’actions entre le projet du pont de Boromo et le projet du barrage de Ouéssa.
Le Mouhoun navigable sur 700 km
Mme Oubien laisse entendre qu’une fois achevé, le barrage de Ouéssa permettra de rendre le fleuve Mouhoun navigable jusqu’à Samandéni, sur une distance d’environ 700 km. « Les travaux de recalibrage du fleuve ont déjà commencé sur une distance d’environ 100 km», révèle-t-elle.
En tenant compte de l’ensemble des aménagements à effectuer sur le site et la construction de l’infrastructure, le coût total du projet, à la lumière de la dernière évaluation, est fixé à environ 720 milliards FCFA, à peu près la moitié du budget du Burkina. La puissance de la centrale électrique attendue passe désormais de 22 MW à 4 MW.
Au niveau institutionnel, l’étude d’impact environnemental et social est achevée. Ce sont au total 24 localités et 2 590 personnes dont 23,33% de femmes, qui sont affectées par le projet. Parmi les Personnes affectées par le projet (PAP), environ 2 245 perdent des arbres privés, 2 280 des portions de terres, 495 des infrastructures d’approvisionnement en eau et 546 des habitats et annexes.
Mais il reste l’avis de faisabilité environnementale, non encore obtenu. Sans ce document, indique-t-on, la déclaration d’utilité publique du domaine ne peut se faire.
Il faut également noter que l’enquête publique qui permettra de confronter les impacts à la faisabilité sociale ou à l’acceptabilité sociale du projet n’a pas démarré. De ce point de vue, Fidèle Hien, ancien ministre et fils de la région, admet que le projet Ouéssa n’est pas totalement mûr. « Donc cela veut dire que Ouéssa est un projet qui est en stand-by », note-t-il. La validité de l’étude d’impact environnemental et social étant de trois (3) ans, il faudrait la reprendre une fois l’an 2023 dépassé.
En tout état de cause, la responsable en charge des infrastructures hydrauliques persiste et signe que le projet n’est pas abandonné. Mieux, souligne-t-elle, le dossier est sur de bons rails. « Depuis 2019, nous tapons à toutes les portes pour chercher les financements nécessaires », indique-t-elle.
De l’incertitude sur un projet ambitieux
Ouéssa n’est pas un cas isolé dans la région. Le projet du barrage de la Bougouriba dont la pose de la première pierre a été faite en 1998 par le Premier ministre de l’époque, Kadré Désiré Ouédraogo, n’est toujours pas réalisé. D’un volume de 1,050 milliard de m3, ce projet, longtemps resté dans les tiroirs, a été relancé sous le régime de Roch Marc Christian Kaboré.
L’ancien ministre Fidèle Hien avoue que la construction de ce barrage portera un coup d’arrêt au projet de Ouéssa. De ses explications, Bougouriba, qui est un affluent du fleuve Mouhoun, est un projet parfaitement rentable, tant au niveau de la production d’électricité, de l’irrigation que de l’approvisionnement en eau potable. Puis, ajoute-t-il, ce projet est entièrement bouclé, il ne reste que le lancement des travaux. Même son de cloche chez l’ancien maire de Ouéssa, Mathias Somé. « Si la Bougouriba lance les travaux, il serait difficile que l’on parle encore du barrage de Ouéssa », lâche-t-il.
Outre le projet Bougouriba, le ministère en charge de l’eau a réveillé en 2021, le dossier du barrage du Noumbiel, toujours dans la région du Sud-Ouest.
L’ancien ministre Hien reste convaincu que la concrétisation de ce projet réduirait les chances de réalisation du barrage de Ouéssa. « En vérité, si Noumbiel doit être réalisé, il élimine automatiquement Ouéssa», tranche-t-il. Le barrage de Ouéssa apparaît comme un projet politique. Des Premiers ministres, des ministres en charge de l’agriculture et de l’eau, des techniciens de tout bord ainsi que des partenaires au développement, se sont rendus à plusieurs reprises sur le site. Des promesses sont faites par-ci, des engagements pris par-là. Mais jusqu’à présent, l’ouvrage se fait toujours attendre.
Une situation qui pousse l’ancien maire de Ouéssa à s’interroger sur la bonne foi des autorités: « Je me suis posé la question de savoir est-ce que ce n’était pas à cause des élections que les politiciens ont fait du bruit autour de ce projet ?». En attendant, Achille Segda essaie de calmer les esprits en précisant que le projet du Noumbiel est à l’étude et ne dispose pas, pour l’instant, d’une fiche technique. Les cabinets qui ont réalisé l’étude technique sur le projet Ouéssa ont été approchés.
Il s’agit du consortium composé des cabinets STUDI international, l’Agence conseil pour l’équipement, l’eau et l’environnement (AC3E) et Energy infratech. Rencontré, Issaka Congo, technicien à l’AC3E, nous a lancé ceci à la figure: « Nous n’avons pas le droit de divulguer des informations sur le projet ».
La raison évoquée est que les clauses du contrat avec le ministère en charge de l’eau empêchent les techniciens de se prononcer sur le projet. Rencontrés le 19 mai 2022 à Gaoua, les responsables de la direction régionale en charge de l’eau du Sud-Ouest disent également ignorer les contours de ce projet. Comme quoi, tout est piloté au niveau central par la DGIH. « Nous sommes simplement des facilitateurs », nous confie-t-on.
Le doute s’installe
Au regard du doute qui plane sur ce projet, l’optimisme n’est pas le mieux partagé à Ouéssa et ses environs. « Le barrage de Ouéssa, tout le village en parle mais il tarde à se concrétiser », relève un habitant de la localité.
« Ce projet de barrage, c’est quelque chose qui nous dépasse », renchérit Léon Hien, président du Conseil villageois de développement (CVD) de Ouéssa. En dépit des obstacles, il s’efforce d’y croire, sauf que l’’invasion du site par les exploitants agricoles le rend sceptique de tout.
« Le site est en train d’être exploité ou morcelé par les propriétaires terriens pour être revendu à d’autres personnes. Personnellement, j’ai perdu espoir », s’alarme M. Hien. Par contre, Sylvain Poda, point focal eau potable et assainissement de Ouéssa, dit compter sur la bonne volonté des autorités. Après avoir conduit 4 missions sur le site, il affirme que cela est déjà un bon signe pour l’avenir du projet.
La maîtrise d’ouvrage rassure également quant à l’aboutissement de ce projet ambitieux. De l’avis de Seimata Oubien, il est inadmissible de parler de statu quo dans la mesure où il y a eu des évolutions. « Si nous avons cru en injectant autant d’argent dans l’étude, c’est parce que nous savons que c’est un projet qui ne va pas rester dans les tiroirs », croit-elle savoir. Pour un projet vieux de plus de 40 ans, combien de temps faut-il encore attendre avant de voir le bout du tunnel ? Telle est la question.
Ouamtinga Michel ILBOUDO
Il faut arrêter de bâcler les études
La mauvaise conduite des études de faisabilité sur la réalisation des infrastructures hydrauliques est en train de devenir un phénomène de mode au Burkina Faso. Ce qui est relaté dans cet article n’est que la face visible de l’iceberg. Carrefour africain avait fait le même constat en 2017, à la suite d’un reportage sur le barrage de Guitti dans la province du Yatenga. Des failles décelées au niveau des études techniques ont causé des pertes sèches aux entreprises qui ont eu le marché et à l’Etat. Les entreprises étaient obligées de prendre des découverts en banque pour terminer les travaux. Philippe Compaoré, porte-parole du groupement d’entreprises EBATP/GECAUMINE, par ailleurs directeur général de GECAUMINE, s’était inquiété de l’avenir de sa société. «Nous avons fait une très mauvaise affaire sur toute la ligne », s’indignait-il. Finalement, l’Etat, qui devait débourser 4,5 milliards FCFA, a consenti plus du double, soit environ 10 milliards FCFA pour réaliser cette infrastructure. Aujourd’hui, l’histoire se répète avec le projet de Ouéssa où l’étude de faisabilité comporte de nombreuses insuffisances. La question que l’on se pose est de savoir si ces lacunes sont dues à l’incompétence des entreprises ou au laxisme des principaux acteurs ? En tous les cas, il faut imprimer une certaine rigueur dans la conduite de ces études et sanctionner les fautifs.
O.M.I