Putsch du MPSR II : retour sur 72 h agitées

Les auteurs du coup d’Etat disent avoir agi pour recadrer la lutte contre le terrorisme.

Pour la seconde fois en 2022, les ouagalais se sont réveillés avec des coups de feu, en ce petit matin du 30 septembre. L’on avait assisté huit mois plutôt à un scénario semblable, le 24 janvier de la même année, lorsque ce qui était présenté comme une mutinerie d’une partie de l’armée s’est finalement avéré être un coup d’Etat, conduit par le lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba qui venait d’évincer Roch Marc Christian Kaboré du pouvoir. S’agit-il alors d’une mutinerie ou un second coup d’Etat comme en janvier ? De ces interrogations légitimes des citoyens, il se révèlera qu’il s’agit effectivement d’un coup de force.

Durant toute cette journée du 30 septembre, tous les signes d’un coup d’Etat étaient réunis mais en l’absence d’une déclaration officielle, personne ne savait vraiment ce qui se passait : coupure du signal de la télévision nationale, entrée de cette même télévision aux mains de militaires, premier ministère jouxtant le média inaccessible, tirs aux abords de Kosyam, le palais présidentiel et au camp militaire Baba Sy, certains axes de la capitale interdits d’accès par des hommes en armes.

Pendant ce temps, aucune information au sujet du lieutenant-colonel Damiba. Contacté par certains médias locaux, l’ex-ministre porte-parole du gouvernement, Lionel Bilgo, répondant aux rumeurs sur l’arrestation de tout l’exécutif, avait rassuré que ni le président, ni aucun membre du gouvernement n’était arrêté et que la crise était purement militaire et était en voie de résolution. Face à cette incertitude, les médias internationaux, notamment français, parlent de chaos. Le signal de la télévision nationale, entre temps revenu, est de nouveau coupé quelques instants plus tard, ajoutant un peu plus à la confusion.

Sans même être situés, de jeunes manifestants, drapeaux russes et burkinabè en mains, se sont retrouvés à la place de la Nation, demandant le départ du lieutenant-colonel Damiba et appelant au partenariat avec la Russie au détriment de celui avec la France Il a fallu attendre aux alentours de 20h, pour voir sur les écrans de la télévision nationale, un groupe de militaires, certains cagoulés, mine grave pour ceux que l’on pouvait dévisager, livrer une déclaration.

Des propos de leur porte-parole, le Capitaine Kiswensida Azaria Farouk Sorgho, on apprend la destitution du Lieutenant-colonel Paul Henri-Sandaogo Damiba de sa fonction de président du Faso et du MPSR, la dissolution du gouvernement, de l’Assemblée législative de Transition, de la Charte de la Transition, la suspension de la Constitution, des activités des partis politiques et des organisations de la Société civile, la fermeture des frontières terrestres et aériennes et l’instauration d’un couvre-feu de 21h à 5h du matin jusqu’à nouvel ordre et le maintien des accords signés par le Burkina Faso avec les partenaires internationaux.

Est également annoncée, la convocation d’Assises nationales pour l’adoption d’une nouvelle charte et la désignation d’un nouveau président de la Transition, civil ou militaire. Dès lors, l’opinion nationale et internationale venait d’être située. Il s’agit bel et bien d’un coup d’Etat qui porte la griffe du capitaine Ibrahim Traoré, puisque tous les communiqués sont signés de lui et précisent qu’il est le nouveau président du MPSR.

Objectif dévoyé

Pour justifier le coup de force, les auteurs expliquent que les objectifs de départ, depuis l’avènement du MPSR en janvier 2022 dont ils sont d’ailleurs partie prenante, ont été dévoyés. A les entendre, ils ont été trahis par leur leader, le lieutenant-colonel Damiba, qui s’est plutôt illustré dans des « aventures politiques malheureuses », au détriment du retour de la sécurité et des déplacés internes dans leur localité de départ.

Le capitaine Traoré est vu par nombre de Burkinabè comme un sauveur.

Selon le capitaine Sorgho, le président Damiba a persisté avec l’articulation militaire à la base de l’échec du régime Kaboré, au détriment d’un programme de réorganisation de l’armée qui aurait permis aux unités combattantes de lancer des contre-offensives. Il pointe du doigt « les choix hasardeux » du lieutenant-colonel Damiba qui ont progressivement affaibli le système sécuritaire. « Les lourdeurs administratives qui caractérisaient le régime déchu se sont aggravées sous la Transition, compromettant ainsi des opérations à caractère stratégique », explique le porte-parole des putschistes.

Au regard de cette donne, le groupe de patriotes qu’ils sont, ont été emmenés à prendre leur responsabilité. Il s’agit donc d’un recadrage dans la conduite de la Transition, pour se concentrer sur l’objectif principal qui est la lutte contre l’insécurité. Au lendemain de cette annonce, il a été donné de voir des manifestations de soutien dans la ville de la part de jeunes surtout, brandissant des drapeaux de la Russie, appelant ceux qui viennent de prendre le pouvoir à se tourner vers ce pays et de rompre définitivement avec la France dans le domaine de la sécurité.

En effet, aux côtés des drapeaux russes, mais aussi maliens et burkinabè, on pouvait également voir des pancartes et banderoles sur lesquelles on pouvait lire « France dehors » ou « France dégage ». Alors que l’on pensait que le coup d’Etat était consommé, la suite des évènements de la journée du 1er octobre a montré que les choses étaient loin d’être définitivement acquises pour le capitaine Traoré et ses hommes. Dans un autre communiqué des auteurs du coup de force, il est indiqué que le président Damiba se serait réfugié au niveau du détachement militaire français de Kamboinsin, à la périphérie de Ouagadougou, d’où il préparerait une contre-offensive.

Dès cet instant, les manifestants se sont illustrés par des actes de violence et de vandalisme en s’attaquant à l’Institut français et à la guérite de l’ambassade de France. A Bobo-Dioulasso, l’Institut français de cette ville a aussi reçu la visite des manifestants en colère. Dans la même journée, dans une interview qu’il a accordée à nos confrères de Radio Oméga, le capitaine Traoré a laissé entendre qu’il n’était pas dans une logique d’affronter ses frères d’armes à cause d’un individu, dénonçant une tentative de manipulation de quelques éléments par le lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba.

Plus tard, dans un communiqué publié sur la page Facebook de la présidence du Faso, dans des propos attribués à Paul-Henri Sandaogo Damiba, celui-ci démentait l’information sur sa présence chez les forces françaises à Kamboinsin. «Je démens formellement m’être refugié dans la base française de Kamboinsin. », indique-t-il, tout en demandant au capitaine Ibrahim Traoré et compagnie de revenir à la raison. Du côté des acteurs en armes, il est revenu que la contre-offensive était bien réelle, car les soldats fidèles au lieutenant-colonel Damiba étaient prêts à affronter leurs frères d’armes, proches du capitaine Traoré pour reprendre le contrôle du pouvoir.

L’on s’acheminait alors vers une confrontation malheureuse entre unités d’élite de l’armée nationale : les forces spéciales fidèles à Damiba contre les « cobras » du capitaine Ibrahim Traoré. C’est donc la peur au ventre que la plupart des habitants de la capitale, passeront la nuit, tant la situation était explosive avec la forte probabilité d’un affrontement entre frères d’armes aux conséquences incalculables. Dans la même nuit, un communiqué levait le couvre-feu et la mesure de fermeture des frontières terrestres et aériennes.

Ce qui rendait plus compliqué un affrontement qui allait engendrer certainement un bain de sang, dans la mesure où le mouvement de soutien aux nouveaux maitres du pays s’est amplifié à travers une « veille patriotique » la même nuit. Est-ce cela qui a permis d’éviter l’affrontement ? Toujours est-il que le désormais ex-président du Faso a consenti à battre retraite et à « capituler ».

Médiation

Des manifestants, drapeaux russes et burkinabè en mains, en soutien au capitaine Traoré

La journée du 2 octobre a été cruciale dans la mesure où elle a acté la fin du pouvoir du lieutenant-colonel Damiba. Sous la médiation de leaders coutumiers et religieux, le président du MPSR 1 a officiellement accepté de renoncer au pouvoir en mettant sur la table sept conditions dont le respect de son intégrité physique, celui de ses collaborateurs directs et la garantie de ses droits.

Ce même jour, le président Damiba et quelques-uns de ses proches, atterrissent à Lomé, destination qu’il aurait lui-même choisie pour son exil. Dans une vidéo diffusée ultérieurement sur les réseaux sociaux, le président Damiba a affirmé renoncer au pouvoir et a appelé à soutenir les nouvelles autorités. Dans la matinée de ce 2 octobre, des blindés parmi lesquels se trouvait le capitaine Ibrahim Traoré, pénètrent dans les locaux de la télévision nationale où le porte- parole, le capitaine Sorgho, livre un communiqué.

Dans cette adresse, il remercie le peuple pour son soutien et annonce que la situation est désormais sous contrôle, appelant chacun à vaquer librement à ses occupations en se départissant de tout acte de violence et de vandalisme. A leur sortie, le capitaine Traoré, tel un sauveur, voire un messie, est ovationné par une foule en liesse. Et l’on retient l’image de son salut adressé à ces centaines de personnes massées aux abords de la télévision nationale et qui a fait le tour des médias à l’étranger.

Dans l’après–midi, le nouveau capitaine du navire Burkina, rencontre les secrétaires généraux des départements ministériels à qui il demande de changer de rythme en abandonnant les lourdeurs administratives pour aller vite, car « au Burkina, tout est urgent ». Aux termes de 72 h de folles journées où le pire a été frôlé et évité de justesse, les Burkinabè ont repris tranquillement leurs activités avec le sentiment que tout ira désormais vite et bien.

Gabriel SAMA


Les défis du Capitaine Traoré

Désigné président de la Transition par les forces vives de la Nation, réunies à la faveur d’Assises nationales, le14 octobre 2022, le capitaine Ibrahim Traoré devra désormais être à la hauteur de plusieurs défis pour réussir le retour de la sécurité au Burkina Faso. Les quelque 300 participants qui ont pris part aux Assises nationales, tenues les 14 et15 octobre à Ouagadougou, se sont conformés à l’article 5 de la Charte de la Transition adopté par les forces vives, à cette même occasion.

Celui-ci stipule, en effet, que le président de la Transition est le président du MPSR, qui n’est autre que le capitaine Ibrahim Traoré. Le choix de l’officier de 34 ans comme président de la Transition n’a donc pas souffert de débats, dans la mesure où il y avait la possibilité que ce poste échoit à un civil ou à un autre militaire, un haut gradé en l’occurrence comme la rumeur l’a propagé quelques jours avant la rencontre.

Il faut dire que les Burkinabè qui estimaient que le capitaine Traoré devait garder « sa chose », pour emprunter cette expression en vogue au Burkina, ont été renforcés dans leur conviction par les soutiens du jeune capitaine qui, du début des évènements du 30 septembre jusqu’à la date de la tenue des Assises, ont toujours clamé qu’ils ne toléreront aucun choix autre que celui d’Ibrahim Traoré.

Plébiscité par les forces vives, porté par une onction populaire et désormais investi de pleins pouvoirs après sa prestation de serment devant le Conseil constitutionnel, le 21 octobre dernier, le président de la Transition est maintenant attendu au pied du mur. Des défis qui l’attendent, figurent en bonne place, la cohésion au sein des Forces de défense et de sécurité et l’unité de l’armée surtout.

Les évènements du 30 septembre et les deux jours qui ont suivi ont montré une certaine fissure, une division au sein de l’armée, car il s’en est fallu de peu pour que l’on assiste à un affrontement entre frères d’armes pour le contrôle du pouvoir, alors que pendant ce temps, les terroristes eux n’observent pas de répit dans leur folie meurtrière.

L’autre aspect qui mérite une attention particulière est l’adhésion des hauts gradés à la volonté du capitaine Traoré pour vaincre l’hydre terroriste. Il est à espérer que ces derniers puissent accompagner leur jeune frère, en mettant à contribution leurs expériences et leur expertise avec sincérité.

C’est sans doute au regard de cette donne que le nouveau président de la Transition a, lors de sa prestation de serment, appelé ses frères d’armes à taire leur querelle et à aller à l’unité pour venir à bout du terrorisme, car les ennemis sont, eux, unis. Cette unité retrouvée devra faciliter l’opérationnalisation du programme de réorganisation destiné à permettre aux unités combattantes de lancer des contre-offensives pour plus d’efficacité sur le terrain.

D’ailleurs, la non réalisation de ce programme fait partie des reproches que les auteurs du coup d’Etat du 30 septembre ont fait à l’ex-président Damiba. La reconquête des pans du territoire sous contrôle djihadiste et la résolution de la crise humanitaire à travers le retour des personnes déplacées internes dans leur localité d’origine, le retour de l’administration dans les zones où elle a déserté, constituera une première victoire. L’autre défi de cette transition, version MPSR 2, est la promotion de la bonne gouvernance et la lutte contre la corruption. Des audits ont été réalisés sous la présidence de Damiba et l’on s’attend qu’ils soient rendus publics afin que l’on soit définitivement situé.

D’autres préoccupations comme la réconciliation nationale, la flambée des prix, la relance économique sont autant de chantiers qui attendent le capitaine Traoré et son nouveau premier ministre, Me Apollinaire Kyelem de Tambela. L’organisation des élections et le retour à une vie constitutionnelle normale, dernier acte de cette Transition de 21 mois, seront tout autant scrutés.

G. S.