Attention, mon voisin aussi sera candidat ! Il me l’a dit hier. Après avoir mené une analyse sans complaisance de la situation, en bon patriote, il a décidé de prendre ses responsabilités. Il entrera en lice en 2020. Dans les jours à venir, il créera son parti et installera ses représentants sur toute l’étendue du territoire. Il m’a dit qu’il ne laissera aucun hameau ou lopin de terre où l’on peut battre campagne. Contre vents et marées, il ira de l’Est à l’Ouest, du Nord au Sud annoncer la bonne nouvelle : le changement ! Son parti n’est ni de l’opposition ni de la mouvance. Il n’est ni au centre ni à l’extrême. Il est quelque part et partout à la fois avec le peuple. C’est pourquoi d’ailleurs son emblème est un caméléon. Le parti du caméléon s’adapte à tout, en tout temps et en tout lieu. Il entend diriger avec tact et modération, sans exagération.
Il gouvernera avec tout le monde et le Conseil des ministres sera délocalisé à la maison du Peuple, au théâtre de l’Amitié ou à la place de la Gare. En cas d’échec aux élections, il ira à la soupe boire au nom du peuple. Son slogan de campagne sera «plus rien ne sera comme avant, avant». Il combattra la corruption jusqu’à éradication; aucun dossier pendant ne sera pendu à la potence de la tolérance; aucun dossier brûlant ne sera brûlé au panthéon des impunis. Plus rien ne croupira dans les tiroirs du dilatoire. La justice sera tellement indépendante qu’elle jugera sans l’aide d’une balance graduée, comme Dieu lui-même. Dans ses cent premiers jours, il donnera tellement d’espoir que l’espérance de vie du citoyen lambda grimpera d’un cran. Son mandat sera consacré à la veuve et à l’orphelin. Mon voisin arrive ! Pour lui, la course au pouvoir ne doit pas être une course de vitesse. Comme le caméléon, c’est posément au trot assis qu’il franchira la ligne d’arrivée.
Il m’a dit que la campagne se jouera en «steeple-chase», mais il la fera avec l’allure d’un «attelé». Son discours ne sera pas un échafaudage de maux déplacés et de vérités taillées sur mesure. Il parlera au peuple avec le cœur. Pour lui, la politique n’est pas un fourre-tout hérétique aux relents d’intérêts égoïstes et corporatistes. Il ira au charbon sans porter des gants ; il mangera le haricot sans huile à la table du digne gueux sans jouer au philanthrope venu du ciel. Il serrera dans ses bras l’infortunée victime sans céder à la tentation du bain de foule spectaculaire. Il ne fera pas la politique en lisant Machiavel, mais en écoutant Gandhi et King. Pour lui, le «vivre-ensemble» n’est pas un folklore de messes basses et de tours de passe-passe. On ne se réconcilie pas à chaud, parce que le cœur des hommes n’est pas un brasier qui s’éteint avec de l’eau. La paix est une guerre symétrique qui se remporte à mains nues et à cœur vaillant. La paix ne porte pas un faix plein de méfaits non défaits. Il n’y a pas de paix contournée à la craie sur un macadam de drame hanté. On n’enjambe pas un serpent vénimeux le cœur bénin.
La vérité qui se dissimule sans scrupule secrète le poison qui s’accumule. Mon voisin s’est prononcé sur le débat déplacé sur la forêt classée à déclasser. Il a rigolé de dépit avant de me confier que sa candidature n’est pas celle de l’arbre qui cache la forêt. «Ce sont des ébats de mioches où l’évidence éblouit les yeux d’un aveugle. C’est une forêt touffue de non-dits, mal dits par des érudits de midi qui pensent que le zénith porte un bonnet», m’a-t-il lancé. Je suis resté coi à sa saillie mais il n’y a pas de Kua ! Il veut simplement dire qu’il n’a pas le temps de perdre de l’altitude en regardant en plongée la coulée de boue infecte et salissante. C’est en prenant vraiment de la hauteur que l’on se rend compte que le désert avance à grands pas. C’est pourquoi le colon au «long nez pointu» a poussé sa vision au-delà du bout de son nez en classant la forêt depuis 1936. Il m’a même dit que l’on peut raser une forêt avec un décret, mais on ne peut pas faire pousser un potager avec un décret.
Il m’a enfin lancé que le Nobel alternatif devrait s’arracher la barbe blanche, car ses yeux n’ont encore rien vu ! Après tout, le Nobel, on pourrait aussi penser à l’attribuer aux «Non bels», à ceux qui détruisent pour construire, non ? Entre déclasser ce qui a déjà été classé et déplacer ce qui n’est même encore tracé, lequel est mieux placé pour servir de panacée ? La candidature de mon voisin, elle, ne sera ni déclassée ni déplacée !
Clément ZONGO
clmentzongo@yahoo.fr