Quand je regarde mon fils chaque matin avant de quitter la maison, je me demande toujours ce qui l’attend demain, après-demain ou même plus tard. Je me demande ce qu’il fera, ce qu’il sera, ce qu’il aura sous ce ciel qui s’affaisse chaque jour. Je me demande si je pourrais toujours être là, pour lui, rien qu’à lui. Je me demande comment il ferait sans moi, sans nous, dans cette jungle de plus en plus peuplé de titans et de mutants de tout genre. Souvent, j’ai envie de me battre à sa place dans toutes les arènes du futur qui l’attendent au carrefour des vicissitudes. J’ai envie de mener toutes ses grandes batailles en attendant qu’il soit prêt à faire la guerre. J’ai même souvent tendance à vouloir tout lui donner avant qu’il ne me demande la moindre chose. Déjà, je lui pardonne tout, même ce qu’il n’a pas encore commis. Oui, en bon père tendre et sensible, il nous arrive tous de vouloir choyer nos enfants, de les dorloter au point de vouloir leur éviter tout. Mais peut-on prémunir nos enfants de tout ? Peut-on leur donner tout sur un plateau d’or et dormir tranquillement le grand soir venu ?
Non, nous ne pouvons pas ; nous ne devons pas. L’amour qui se mue en assistanat permanent et tourne à la dépendance absolue est destructeur. Quand on aime son fils, on lui apprend que la vie est un grand autel sacrificiel et c’est perpétuel ! Quand on tient à son fils, on ne tient pas la canne à sa place ; on ne lui apporte pas du poisson surgelé au goût avarié ; on le laisse aller à la pèche, seul. On ne lui tend pas du « pain anglais » ou des biscuits fourrés au chocolat pour bourrer ses tripes ; on le laisse mettre la main à la pâte pour savoir que ce n’est pas de la tarte ! On ne serre pas les poings à sa place ; on lui apprend à toujours donner le premier coup sans porter des gants, sans coup férir. On lui apprend à aller au charbon et à mains nues, à tirer les marrons du feu. Parce que la vie, c’est d’abord un combat qui se mène à un contre un, face à soi-même. « Si tu n’es pas capable de battre le tremblotant perdant qui se réfugie dans ta glace, tu ne peux pas inquiéter le sérieux téméraire qui t’attend au tournant », me disait mon père. Il me disait que la vie est un long ruisseau tarissable au gré des saisons et que je devais affûter chaque jour mes armes pour éviter la sentence des larmes. Il me disait toujours de me préparer à faire les choses par moi, à compter sur moi, rien que sur moi.
Nous aimons trop nos enfants et « trop » c’est un défaut ! Nous n’avons souvent d’yeux que pour eux et au-delà des limites du bon sens nous élevons parfois nos diablotins au rang de petits dieux. On n’entretient pas un enfant comme on tient un œuf, comme un bien qui nous appartient. On n’éduque pas un enfant comme s’il était destiné au marché de bétail. On le dresse comme une branche fraîche pendant qu’il est tendre et souple, malléable à volonté. On le moule dans le sosie de sa propre histoire, on le sculpte sur le socle de la fierté dans les carcans du culte de la combativité. On lui inculque les principes de base d’être un homme, et « un homme ne pleure pas » ; il larmoie sous le coup de l’émoi. Vous voyez !
Il ne suffit donc pas de faire un enfant, assurer sa pitance et répondre à toutes ses doléances et errances, fuir ses responsabilités pour le confier à la providence. Non, c’est trop facile de penser que c’est Dieu qui éduque quand nous-mêmes nous sommes mal éduqués. C’est hasardeux de croire …
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