Dans la région du Nord, les producteurs ne font plus de bons rendements agricoles à cause des terres arides. Dans les villages de Ramessoum et Dakiégré, dans la commune rurale d’Arbollé, des femmes résilientes se battent depuis trois ans pour inverser la tendance.
Aguiratou Sawadogo est une veuve de 35 ans. Elle vit à Ramessoum dans le Passoré. Ce 21 juin 2019, sous un soleil de plomb, pioches en main, elle et sa fille WendKuni sont occupées à creuser des petits trous dans leur champ d’environ un hectare. Elle pratique le zaï, une technique culturale de récupération des terres arides. Elle consiste à faire des poquets de 20 à 30 cm de diamètre et de 15 à 20 cm de profondeur, et à les remplir de fumure organique avant les semis. Le zaï favorise l’infiltration des eaux de pluie, fertilise le sol et améliore les rendements agricoles.
Cette technique, reconnait Aguiratou, l’aide à nourrir ses cinq enfants. L’année dernière, son champ n’a produit que grâce au zaï. «La saison écoulée, j’ai récolté du mil que sur la partie où j’ai pu faire des zaï», confie-t-elle. Dans la région du Nord, les cultivateurs sont coutumiers des caprices de dame nature.
A l’image de Mme Sawadogo, elles sont des dizaines de femmes à avoir compris l’urgence de s’investir dans la récupération des terres dégradées, dans un contexte de changement climatique et de rareté des pluies. Parmi elle, figure Marie Valéa, jeune dame frêle de 30 ans, leader communautaire dans la protection de l’environnement et membre fondateur du groupement Nongtaaba. Cette association œuvre dans la vulgarisation des techniques de récupération des sols dégradés depuis 2016. Elle dispose d’un site-témoin de paquets technologiques de récupération des terres arides à Ramessoum. Sur ce site aride de 2,5 hectares, Nongtaaba expérimente le Zaï, les demi-lunes, les cordons pierreux, la Régénération naturelle assistée (RNA), etc.
Les cordons pierreux consistent à réaliser une structure linéaire constituée d’un empilement de pierres. Ils ralentissent la vitesse des eaux de ruissellement, diminuent l’érosion des terres. Les demi-lunes consistent à creuser des trous de 3 à 4 mètres d’envergure, pour former des cuvettes en demi-cercles ouverts. La RNA est une technique d’agroforesterie visant à protéger et gérer les pousses naturelles que produisent les souches d’arbres et arbustes dans les champs. Ces techniques permettent de réhabiliter les terres dégradées, de reconstituer le couvert forestier et d’augmenter ainsi les rendements agricoles.
En première ligne dans ce combat, Mme Valéa retrace les péripéties qui ont conduit à ce champ-école. «Nous avons mangé du couscous sans huile pour piocher ce sol dur, sous la canicule», se remémore-t-elle. Pire, les initiateurs du projet ont été l’objet de railleries, relate le président du groupement Nongtaaba, Boureima Ouédraogo. Loin des débuts difficiles, ce champ-école force de nos jours l’admiration, puisque les terres sont redevenues cultivables. Le couvert végétal est en train de se reconstituer. L’agriculture y a repris ses droits. «Nous cultivons du maïs sur ce terrain où le mil ne poussait plus», témoigne avec fierté M. Ouédraogo.
Un impératif
Après le site-témoin, direction les champs. Les membres de Nongtaaba appliquent les différentes technologies dans leurs exploitations et sensibilisent les villageois à s’en approprier. Le champ de Mme Valéa, est un exemple réussi de reforestation et de récupération des terres arides. En trois ans, et grâce aux demi-lunes et à la RNA, plusieurs dizaines de jeunes plantes peuplent son lopin de terre d’environ un hectare. Formatrice communautaire, elle partage son savoir-faire avec les femmes de Dakiégré, un village voisin à Ramessoum. Awa Ouédraogo et ses deux coépouses pratiquent aussi le zaï, demi-lunes et RNA dans leurs exploitations, grâce à ces enseignements. Aujourd’hui, leurs productions sont passées du simple au double.
Au milieu du champ familial, Mme Ouédraogo évoque les raisons qui l’ont amenée à adopter ces techniques. «Face à la faiblesse des rendements agricoles, nous sommes obligés de pratiquer ces techniques culturales. Nous contribuons de fait à la lutte contre la désertification», argue-t-elle.
Autre champ, même conviction. Bébé au dos, Céline Konkobo, dans son champ personnel, est en train d’ensemencer du sorgho sur son périmètre. Cette femme élancée, mère de quatre enfants, loue les techniques de fertilisation des terres et d’adaptation à la variabilité climatique qui favorisent, par ailleurs, la culture des produits forestiers non ligneux (zamnin, kapok, jujube, karité, etc).
Non loin de l’exploitation de Mme Konkobo, deux lycéens en vacances, Colette et Honoré, sèment ainsi du sorgho dans le champ maternel. L’air timide, la première citée déplore le fait que ces méthodes culturales salvatrices ne soient pas enseignées à l’école.
A Ramessoum comme à Dakiégré, les femmes n’envisagent pas se départir de sitôt de ces pratiques culturales. Et ce, en dépit de la pénibilité du travail de revitalisation des terres dégradées. «Creuser le sol dur est très pénible. Mais que faire quand tu as huit enfants à nourrir et à scolariser ?», s’interroge Lizèta Ouédraogo, membre de Nongtaaba. Dans son champ d’environ un demi-hectare, situé à l’arrière de la concession familiale, elle compte semer du mil, du gombo, des arachides et de l’aubergine. «Si ce n’est grâce à cette technologie, qui peut imaginer que l’on puisse semer sur ce terrain ?», s’enthousiasme-t-elle.
La tournée dans les champs s’est poursuivie sur le périmètre agricole d’un demi-hectare de zaï entretenu par deux coépouses et leurs enfants. «Nous sommes les maîtresses des travaux champêtres et vous les hommes, les propriétaires des greniers», rétorque l’une d’entre elles, d’un ton comique, à notre guide qui le félicite.
Sa coépouse, Aminata Simporé, évoque les bienfaits des zaï. Pour elle, l’exploitation de cette technique est harassante, mais ses retombées (fertilisation des terres, accroissement de la production…) sont plus importantes.
Des hommes reconnaissants !
Dans cette partie du pays, l’engagement des femmes à vaincre l’aridité des sols a produit des résultats encourageants. En trois ans, elles ont principalement contribué à réaliser 218 hectares (ha) de zaï et 97 ha de demi-lunes à Dakiégré, 85 ha de Zaï et 44 ha de demi-lunes à Ramessoum. Soit un total de 303 ha de zaï et 141 ha de demi-lunes. Quant à la RNA, elle est pratiquée sur 140 ha, avec 97 ha à Dakiégré et 43 ha à Ramessoum.
Le rôle des femmes dans la vulgarisation des techniques de régénération des terres arides est reconnu et salué par les hommes. «Sans les femmes, le site-témoin n’allait pas voir le jour», reconnaît Boureima Ouédraogo. Pour sa part, le président du comité villageois de développement de Dakiégré, Bernard Sawadogo, souligne que les différentes techniques culturales se répandent dans la quasi-totalité des ménages grâce aux femmes. Boureima Kafando, facilitateur du Projet Drylands Development (DRYDEV) qui accompagne le groupement Nongtaaba dans la récupération des terres, apprécie positivement le dévouement de ces «paysannes innovatrices».
«L’implication des femmes dans la maîtrise et la diffusion de ces techniques est d’une grande portée. Nous sommes dans un milieu où les hommes sont peu sensibles à la récupération des terres. En plus, étant dans une zone aurifère, les hommes sont toujours partis à la recherche de l’or, abandonnant les femmes à elles-mêmes», argumente-t-il. Selon l’agent d’agriculture d’Arbollé, Bibata Kinda, les femmes n’ont pas souvent accès aux bonnes terres et ne disposent pas de moyens modernes de production agricole. Ces techniques culturales constituent donc une alternative pour elles d’accroître leurs rendements et d’améliorer leurs conditions de vie.
Les techniques expérimentées ont permis d’augmenter les productions agricoles (maïs, sorgho, niébé, sésame) de l’ordre de 500 Kg à 1,5 tonne à l’hectare et de lutter contre la famine. Depuis que Marie Valéa applique ces techniques, sa famille est à l’abri de l’insécurité alimentaire. Ses enfants mangent à leur faim, en tout temps, se réjouit-elle. Sur la même parcelle, Ratnéré Sawadogo récolte aujourd’hui au moins deux charretées de sorgho, contre une auparavant.
«L’accroissement des productions de l’ordre de 60 à 100 %, selon les spéculations, permettent de couvrir les besoins céréaliers des ménages. Les femmes utilisent les surplus pour mener des activités génératrices de revenus. Elles assurent les charges sanitaires et la scolarisation des enfants», soutient M. Kafando.
De l’avis des spécialistes, l’œuvre des « productrices innovatrices » a eu un «impact positif réel» sur l’environnement, en si peu de temps. Le défrichage incontrôlé dans les champs a cessé, disent-ils avoir noté ; de même que le développement remarquable du couvert végétal à Ramesoum et Dakiégré, témoigne le chef de service départemental de l’environnement d’Arbollé, Pierre Semdé. Au regard des avantages de ces techniques culturales dans l’agriculture familiale et la protection de l’environnement, le chef du canton de Ramessoum, Naaba Koom, appelle à leur appropriation massive. «Dans le contexte de rareté des pluies, il n’y a pas autre alternative que de se lancer dans la récupération des terres dégradées, si l’on veut atteindre la sécurité
alimentaire», conseille-t-il.
Cependant, le manque d’équipements adéquats (pioches, pelles, brouettes, triangles à pente, etc.) constitue un handicap pour les amazones du Nord, déterminées à redonner vie aux terres « mortes ».
Mahamadi SEBOGO
windmad76@gmail.com
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Des chiffres qui interpellent
Sous l’effet du changement climatique et de l’action humaine, la dégradation des terres et la déforestation atteignent des niveaux inquiétants. Au Burkina Faso, de 2002 à 2013, 5,16 millions d’hectares de terres, soit 19% du territoire national, ont été dégradés. 105 mille ha de superficie de forêts sont perdus par an.
Au niveau mondial, 12 millions d’hectares sont perdus chaque année, soit 23 hectares par minute. Par an, 20 millions de tonnes de céréales auraient pu être cultivées sur ces sols arides. 74 % des pauvres dans le monde sont touchés directement par le phénomène.
Ces chiffres appellent à des actions fortes et structurelles afin de réduire sensiblement l’impact négatif du phénomène sur la productivité agricole, la sécurité alimentaire, la pauvreté, la biodiversité, la sécurité, les migrations, la paix et la cohésion sociales.
M.S
Sources: ODD & MEEVCC