Vive la Révolution ! A bas la Révolution !

Quand j’étais encore jeune, je pensais que le destin d’un homme se trouvait dans le creux de ses mains, au bout de ses poings. Je rêvais les poings fermés. Avant, il était vain de se prévaloir d’être un vrai homme quand on était incapable de former un bon poing. Cela peut paraître rigolo et même banal, mais aujourd’hui, très peu de Burkinabè savent former un poing, le bon poing. Ceux qui savaient bien le faire ont tous passé l’arme à gauche. Même l’Homme au poing levé a fini comme un « vulgaire » passant. Il est mort le poing fermé. Aujourd’hui, on le cherche avec des torches en plein jour, mais c’est trop tard ! On remue ciel et terre ; on exhume avec délicatesse ce qu’on avait enfoui avec hargne à moins d’un mètre de profondeur. Aujourd’hui, on creuse et on bêche presqu’à l’infini ; on pousse l’outrecuidance jusqu’au cœur de l’ADN ; même les chromosomes ne sont pas plus informés. On ne tue pas un héros deux fois ! Mais gardons les poings fermés et regardons la vérité en face.

Depuis que ceux qui nous ont appris à former le poing se sont donné des coups de poings, nous n’osons plus montrer le poing. Personne ne peut taper du poing sur la table. Notre poing ne pèse même plus un gramme. Le révolutionnaire d’hier est devenu un mercenaire. Pire, il s’est rendu pieds et poings liés. Sa dignité n’est plus que du papier mâché, sa fierté se conjugue au passé. Certains ont vite troqué le poing avec des points ; les points qui procurent du foin, le beurre et l’argent du beurre. C’est pourquoi, quand ils disent « la patrie ou la mort », comprenez plutôt « la patrie ou mon or ! » Les rescapés aux pieds bots se sont vite reconvertis pour souper à la table du « diable » ou de « l’affable agneau ». Ils ont broyé leur propre poing pour se goinfrer avec la main gauche. Après le passage de l’étoile filante, tous les autres phénomènes célestes n’étaient que des OVNI sans nids. Pour paraphraser le Messie : « d’autres viendront après moi, pour poursuivre mon œuvre et mon combat ; mais ce seront des affabulateurs, des pêcheurs en eau trouble ! ». Jusqu’à nos jours, trop de faux prophètes se sont proclamés ; ils ont été mal acclamés, parce qu’ils ont tous mal déclamés l’évangile. Leur sermon a manqué de serment. Ils ont tous flotté dans la tunique du héros.
Il ne suffit donc plus de lever le poing en l’air dans le vide pour être cru. Il ne suffit plus de lancer les slogans les plus bandants pour être craquant. A l’épreuve du temps, l’histoire a révélé le bon et l’ivraie. On ne mange plus dans la Révolution, la Révolution ne nourrit plus le « révolutionnaire ».

Même notre devise ressemble à une formule mal vissée qui s’improvise. Lisez-là et dites si elle est fidèle à elle-même ; si elle nous ressemble encore et vraiment. Il faut parfois s’aventurer à chanter l’hymne national pour se rendre compte qu’on s’est planté. Justement, qui d’entre nous sait bien chanter notre hymne national, le Dytaniè ? Combien ont déjà essayé de comprendre sa substance ? Combien peuvent l’entonner sans trébucher entre le ton et le rythme ? Cela fait honte de voir que même au sommet de la tour de Babel, l’hymne de la Victoire sonne parfois le glas du patriotisme de façade. Il ne suffit pas de décréter la montée et la descente des couleurs pour en faire un réflexe républicain et patriotique. Un réflexe ne se décrète pas ; soit il est en nous, soit il nous a quitté. Depuis qu’on a lancé en grande pompe la fameuse montée des couleurs, combien perpétuent la tradition ? Quand vous regardez le drapeau national, parfois vous voyez un banal tissu délavé en lambeaux ; fouetté au gré du vent et de la pluie.
De mémoire d’enfant, j’ai vu le directeur de l’école courir descendre lui-même le drapeau, avant qu’une goutte de pluie ne le profane. J’ai vu des gens s’arrêter net, surpris par la montée d’un symbole plus fort que tout. J’ai vu des gens garder leur position comme des robots, juste pour honorer le drapeau. Ce même drapeau ! Quand on avait le privilège d’être au pied du mât, on se sentait au service d’un dieu. Quand on tenait le drapeau, on le tenait avec une discipline qui frisait l’idolâtrie.
Aujourd’hui, on monte le drapeau sans plus jamais le descendre. Parfois c’est à la radio qu’un citoyen indigné se plaint pour que le « pauvre oublié » soit remplacé. Mais entre nous, combien coûte un drapeau national ?

Qu’est-ce que cela coûte-t-il de le monter le matin et de le descendre le soir ? Combien de services publics dans notre administration ont un drapeau sain et sauf ? Avec tous ces écueils, ils parlent de civisme. Quand en compétition internationale, un Burkinabè est obligé de « quémander » vainement un kimono plus conventionnel que le sien pour entrer dans l’arène et défendre les couleurs « tachetées » de son pays, à qui profite le patriotisme manqué ? Avec tous ces révolutionnaires convaincus, le pays des Hommes intègres ressemble à un vaste champ de blé après l’orage. On navigue à vue, on tend le cou, mais malheureusement le tunnel n’a même pas de bout. Le vrai révolutionnaire, ce n’est pas forcément celui qui porte une arme à feu. Ce n’est pas toujours celui qui lève le poing faible en l’air. La vraie Révolution se trame dans la tête et dans le cœur. Mais hélas ! Vive la Révolution ! A bas la Révolution !

Clément ZONGO
clmentzongo@yahoo.fr

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