
Aujourd’hui, 13 décembre 2018 marque le 20e anniversaire de l’assassinat du journaliste d’investigation, Norbert Zongo alias «Henry Sebgo» et ses trois compagnons d’infortune. Dans sa ville natale, Koudougou, parents, défenseurs des droits humains et autres acteurs sont toujours mobilisés pour que justice lui soit rendue. Reportage !
L’ambiance est morose dans la Cité du cavalier rouge, en cet après-midi du lundi 10 décembre 2018. A la veille de la fête nationale, les Koudougoulais ne semblent pas avoir la tête à la cérémonie commémorative. La circulation est moins dense. Notre véhicule de reportage se fraie facilement le passage. A moindre allure, nous traversons les ruelles du secteur n°6, sous escorte de Robert Zongo, le frère cadet du journaliste d’investigation feu Norbert Zongo. Nous marquons un arrêt devant la cour familiale. Il est 15h 42mn. La grosse porte métallique s’ouvre. Un grand poster de la Vierge Marie, placé à l’arrière de la cour, nous accueille. « Je l’ai construite lorsque notre mère ne pouvait plus se déplacer pour lui permettre de venir prier », lance le frère cadet du défunt directeur de publication de « L’indépendant ».
« Vous voyez cette maison, c’est Norbert qui l’a construite pour maman », dit-il en indexant l’un des vieilles bâtisses de la cour familiale. 20 ans après l’assassinat de son frère aîné, ses souvenirs sont encore vifs, mais aussi douloureux. Emu, il nous replonge dans ce jour sombre du 13 décembre 1998, où son frère a été assassiné et carbonisé avec ses trois compagnons d’infortune. « La date du 13 décembre 1998, c’est comme si c’était hier. Lorsqu’on m’a appelé pour m’informer que Norbert a eu un accident, j’ai demandé si on l’a éliminé ou si c’est un accident », se rappelle-t-il. Arrivé sur les lieux du drame, à Sapouy (province du Ziro), c’était la désolation, raconte-t-il. « J’ai vu le véhicule tout fumant. Je ne savais pas que la chair humaine pouvait puer de la sorte, même à plus de 200 ou 300 mètres…», dit le frère cadet de Norbert Zongo. Il poursuit : «A mon arrivée, j’ai ouvert la portière.
Norbert n’était reconnaissable qu’à travers son colt et son crâne. Ablassé, l’un de ses compagnons avait le postérieur brûlé. Ernest et Blaise étaient carbonisés…Tout ceux qui étaient dans le véhicule étaient brûlés ». Très choqué par ce crime atroce, il lâche : «Lorsque, je suis allé sur les lieux, c’était pour ramener mon frère à la maison. Mais si je le ramenais ainsi, j’allais avoir deux cadavres sous la main. Parce que ma mère n’aurait pas voulu voir son enfant dans cet état. Ce fut une situation très difficile à gérer». Ce fut une journée de tristesse pour les militants des droits de l’Homme également, ajoute-t-il. Deux décennies après son assassinat, la mobilisation pour la manifestation de la vérité n’a pas faibli. Aux premières heures du drame de Sapouy, affirme Robert Zongo, toutes les personnes éprises de justice ont exprimé leur colère et indignation pour que la justice soit faite pour Norbert Zongo. Ce qui s’est manifesté par des marches, des meetings et autres actions pour faire comprendre que la justice doit être rendue au journaliste.
« François Compaoré doit venir répondre »
« Après l’enterrement de Norbert, les gens ont commencé à manifester. D’autres personnes ont été instrumentalisées pour gâcher nos manifestations et pour attaquer le siège du MBDHP, son président et d’autres défenseurs des droits de l’Homme», relate le secrétaire permanent de la boutique du droit du MBDHP section Boulkiemdé, François Sondo. La population, relève-t-il, s’est toujours mobilisée pour montrer sa soif de justice pour Norbert et ses camarades. « A chaque commémoration, la population et toute la famille sortent pour prendre la parole.
La famille Zongo garde toujours espoir que justice sera rendue à leur frère », témoigne le défenseur des droits humains. Les 13 décembre sont des souvenirs difficiles, parce des Burkinabè ont brûlé leurs semblables, déplore le président du comité exécutif de l’ANEB-Koudougou, Moumouni Zoungrana. Sa structure, a-t-il indiqué, a toujours pris l’engagement de se battre aux côtés du peuple burkinabè pour la manifestation de la vérité dans l’affaire Norbert Zongo. «Chaque année, l’ANEB sort pour réclamer la vérité et la justice. Nous étions ridicules pour certains, parce que les années s’écoulaient, mais il n’y avait pas de justice pour Norbert Zongo et ses compagnons. Les gens étaient déçus », affirme M. Zoungrana. Mais, dans cette lutte pour la justice, soutient-il, l’ANEB a toujours ravivé les flammes au sein des universités.
Et, le non-lieu de 2006, renchérit-il, n’a pas calmé les ardeurs. Pour lui, si la mobilisation avait faibli, le dossier serait rangé dans les oubliettes. «C’est notre mobilisation qui a fait que le dossier vit toujours. Sinon, l’on dira que c’est un grand homme et c’est tout », s’est-il convaincu. D’abord, la réouverture du dossier pendant la transition est un bon signe, selon Robert Zongo. Aussi, le 5 décembre 2018, la justice française a émis un avis favorable pour l’extradition de François Compaoré, le présumé commanditaire du crime de Sapouy. « François doit venir répondre, le juge veut l’entendre. Depuis 20 ans, une veillée est organisée chaque 12 décembre, pour que la vérité puisse jaillir.
Tant qu’on ne saura pas ce qui est arrivé à Norbert, son âme se baladera », confie le frère du journaliste. Avec cette décision de la justice française, il pense que le dossier va connaître une célérité. Car, quel que soit le temps, François Compaoré, le principal accusé va venir au Burkina Faso. « Il n’y a pas d’inquiétudes dans ce sens », rassure-t-il. Dans la province du Boulkiemdé, ville natale du journaliste, les militants des droits de l’Homme gardent aussi l’espoir que François Compaoré sera extradé vers le Burkina Faso.
Rester vigilant
C’est une victoire partielle pour le moment, atteste François Sondo. « Mais, j’ai la foi qu’il va venir, parce que les Français ont compris que les arguments que le Burkina Faso a fournis nécessitent qu’il vienne répondre de ses actes», insiste le secrétaire permanent de la boutique du droit du MBDHP, section du Boulkiemdé. La pression ne doit pas baisser, à entendre M. Sondo. Pour y parvenir, il faut organiser des activités pour que les populations n’oublient pas ce qui s’est passé et que sa famille sache que les Burkinabè tiennent à la vérité.
« Sa maman souhaitait voir le jugement avant de mourir. Mais avant de quitter ce monde, elle m’a dit que même si, elle n’a pas vu le procès, elle dira à Norbert qu’elle a vu la fuite de Blaise Compaoré », rapporte François Sondo. Pour ce 20e anniversaire, la population doit sortir massivement, pour que le pouvoir actuel sache que les personnes éprises de justice tiennent à la vérité, déclare le défenseur des droits humains. « Nous ne devons pas être fatigués dans notre lutte pour que la lumière soit faite dans l’affaire Norbert Zongo.
Je souhaite que le processus aille à son terme », signifie-t-il. Mais, avant que François Compaoré ne soit extradé au « pays des Hommes intègres », M. Sondo souhaite que les suspects sérieux, identifiés par la commission d’enquête, et récemment arrêtés disent le rôle qu’ils ont joué dans l’assassinat de Norbert Zongo et de ses compagnons. L’objectif final, souligne le président du comité exécutif de l’ANEB-Koudougou, Moumouni Zoungrana, c’est la vérité et la justice pour Norbert Zongo.
Donc, tous les Burkinabè doivent rester vigilants, à son avis, comme ils l’ont « toujours » été pendant tous ces 20 ans. Ceci, afin d’obtenir la justice pour les victimes du drame de Sapouy et tous ceux qui sont tombés injustement dans le combat pour l’instauration d’un Etat de droit au Burkina.
Abdel Aziz NABALOUM