Ah, les filles de mon voisin… !

Les filles de mon voisin exagèrent. Chaque soir, le quartier ressemble à un hippodrome, un espace de course hippique où de farouches mâles en chaleur s’adonnent à un sprint épique. La cour du voisin est devenue une destination à ne pas manquer au point que la devanture de mon domicile s’apparente à un parking géant. L’embouteillage qui y règne est digne d’un grand marché mais un marché de quoi ? Qu’est-ce que les filles de mon voisin ont de plus ou de mieux que ma mignonne cousine qui attends toujours l’élu de son cœur ? Combien de fois me suis-je plaint auprès de la meute de prétendants zélés des filles fatales du voisin ?

J’ai même soufflé à leur père mon calvaire de chaque soir quand vient l’heure de rentrer chez moi. Il a souri du coin des lèvres avant de me confier que lorsqu’il faisait la cour à la mère de ses filles, il avait bataillé dur et sur tous les fronts pour pulvériser ses concurrents et remporter la femme en or. Je n’eus pas le temps de placer un mot quand il ajouta que la femme est comme la viande d’éléphant, c’est celui qui a le couteau le plus aiguisé qui s’empare de gros morceaux. Comme pour dire que ces filles étaient en promo mais que les moineaux n’avaient pas droit au Calcio.

Je suis resté bouche bée face à l’enthousiasme déplacé d’un père sans repère qui magnifie ses propres impairs au lieu d’être sévère. Mais qu’est-ce que vous voulez ? Ainsi va la vie à vau-l’eau dans nos familles en guenilles ; ainsi marche l’autorité parentale dans les dédales de l’irresponsabilité totale.

Hélas, je continue de slalomer entre des bolides mal garés pour avoir accès à ma cour. Cette chronique n’est pas une chronique. C’est le reflet hideux d’une société en perte de valeurs dans laquelle paraître vaut mieux qu’être ; où l’ostentatoire est plus apprécié que le discret ; où le bruit parle mieux que le silence et le calme. C’est le ressenti d’une plume qui saigne entre les pages sombres d’une vie sale de ratures.

Les filles de mon voisin sont devenues des stars. Elles font la Une des réseaux sociaux où elles ne vont pas du dos de la cuillère pour exposer les rondeurs de leur relief montagneux. Quand vous tombez sur leurs statuts sur Facebook, WhatsApp ou Tik-tok, vous tombez des nues mais aussi dans le piège de la chair qui affaiblit. Il paraît qu’elles font des directs au cours desquels elles déballent parfois leur malle pour mieux faire mal aux mâles que nous sommes. Les réseaux sociaux sont devenus le refuge des cas sociaux de notre société. Ça fait mal de voir la fille de l’autre, poser et s’exposer de la sorte au point d’indisposer tout le quartier, tout le pays. Et ce qui blesse davantage, c’est la passivité coupable avec laquelle les parents acceptent cette innocente permissivité de leur rejeton. Tous ces prétendus prétendants qui défilent et font le pied de grue devant la porte de mon voisin ne connaissent même pas mon voisin. Ils ne connaissent pas la femme de mon voisin. Ils n’entrent jamais dans la cour, ne serait-ce que pour les salamalecs d’usage.

Ils « s’en foutent » des parents des filles qu’ils courtisent. Pourtant ,la branche doit ses fruits aux racines de l’arbre ! Le comble, c’est parfois l’âge des amants des filles en aimant du voisin décevant ; il y en a de tous les âges, mais ce qui choque, ce sont ces croulants vestiges à la tête et au menton blancs qui se jouent l’outsider des tocards dans le peloton des jeunes favoris à la culotte pleine. Mais comme leur poche n’est pas moche, on les pomponne de câlins comme des mioches tout en les dépouillant à la pioche. J’ai vu le sincère étudiant traverser son enfer pour mordre la poussière devant cette porte. J’ai même vu la passion du charpentier du quartier se tramer dans la douleur. Combien de fois le jeune boulanger épris de la benjamine avait fait abonner gracieusement la coquine gamine aux prestations de sa pâtisserie. Eux, ils venaient et entraient dans la cour du voisin. Ils saluaient le voisin presqu’à genou. Quand vint le moment de demander la main d’une des filles, ils ont plutôt reçu un coup de pied.

Le mariage n’est peut-être pas une fin en soi, mais il contribue à mieux faire respecter la femme. Eduquons nos filles à avoir des relations saines et sérieuses ; soyons des parents-coaches qui communiquent avec leurs enfants sur le sens de l’amour, de l’amitié, du mariage, de la famille. Incitons-les et aidons-les à se jeter à l’eau, quand bien même le foyer n’est pas un long fleuve tranquille. Soyons optimistes et partageons-le avec nos enfants. Ce n’est pas parce que les gens divorcent qu’ils subiront le même sort. Exigeons des prétendants de nos filles le respect et la vérité et méfions-nous de tout esprit matérialiste. Ne faisons pas de nos filles des marchandises à vendre au point d’être les proxénètes de nos propres enfants. Combien de parents sont capables aujourd’hui d’éconduire le propriétaire de la V8 rutilante qui vient juste pour flirter avec leur fille à la porte ou dans les chambres de passe sans mettre les pieds dans la cour pour faire connaissance ? Combien ont plus d’égard pour le pauvre jeune étudiant ou le modeste tâcheron prétendant intègre qui pédale ou marche à pied que pour l’infidèle ventru marié amorti, distributeur de sous ? Au nom de la tradition, il y a des parents de bonne famille qui ne prennent pas un copeck du prétendant de leur fille tant qu’il ne valide pas les premières démarches essentielles. Mais c’est quoi la tradition ? C’est quoi une bonne famille ?

Clément ZONGO clmentzongo@yahoo.fr

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