Amos Zong-Naba, fiscaliste : « Il faut une réforme de la fiscalité pour davantage prendre en compte les impôts verts »

Le fiscaliste, Amos Zong-Naba : « Les recettes issues des impôts verts pourront être utilisées pour la transition écologique ou la restauration de l’environnement ».

Dans cet entretien, le fiscaliste Amos Zong-Naba, par ailleurs inspecteur des impôts et membre de l’association Finance verte active (FINAVEA), apporte un éclairage sur le concept de fiscalité verte ou environnementale. Il fait également l’état des lieux, aborde les enjeux et les perspectives de la mise en œuvre de cette nouvelle fiscalité au Burkina Faso.

Sidwaya (S) : Dans le jargon de la fiscalité, il est apparu un concept nouveau : la fiscalité verte ou fiscalité environnementale. A quoi renvoie cette notion ?

Amos Zong-Naba (A.Z.) : L’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) définit, sur le plan technique, la fiscalité environnementale comme l’ensemble des taxes, impôts et redevances dont l’assiette est constituée par un polluant, ou par un produit ou service qui détériore l’environnement ou prélève des ressources naturelles. Dans son ouvrage La fiscalité environnementale : outil de protection de l’environnement ?, Gilles Rotillon indique qu’elle est née de la prise de conscience par l’opinion et les pouvoirs publlics de la nécessité de mettre en œuvre des politiques de protection de l’environnement. Apparu depuis les années 1920, le concept s’est développé progressivement avec les grandes catastrophes industrielles comme Tchernobyl, Amoco Cadiz, etc.

La fiscalité verte, encore appelée fiscalité environnementale ou écologique ou encore éco-fiscalité, se rapporte donc à des prélèvements effectués sur des personnes, produits ou services à impact négatif sur l’environnement. La contribution au réchauffement climatique en est un exemple. Elle peut revêtir plusieurs formes : taxes, impôts ou redevances. Par ce dispositif qui s’apparente au principe du « pollueur-payeur », le gouvernement vise à inciter les personnes physiques comme morales à l’adoption de pratiques vertueuses à l’égard de l’environnement. Son assiette représente la matière imposable sur laquelle sont calculés les impôts verts ou assimilés. L’objet sur lequel est calculé l’impôt vert ou assimilé est un polluant, mais c’est plus généralement un produit ou un service qui détériore l’environnement ou qui se traduit par un prélèvement sur des ressources naturelles. D’une manière générale, on peut dire que toute mesure à caractère fiscal, fonctionnant comme une incitation économique visant à améliorer les comportements responsables vis-à-vis de l’environnement, relève de la fiscalité verte.

S : Quelle différence existe-t-il entre fiscalité verte et finance verte ?

A. Z. : L’une contient et renvoie à l’autre. Ces deux notions sont voisines. Il ne faudrait pas être seulement focalisé sur le côté mobilisation des recettes, mais accorder une place importante au budget en donnant la priorité aux investissements et aux dépenses des gouvernements dans les domaines qui stimulent la transition vers une économie verte de certains secteurs économiques. En effet, la réforme des subventions coûteuses et dommageables dans tous les secteurs ouvrira un espace budgétaire et libèrera des ressources pour une transition écologique. La finance verte renvoie à la mobilisation des ressources financières, dont les recettes fiscales, pour permettre une production et une consommation durables ou au rôle des finances publiques dans la protection de l’environnement et de leur usage optimal au profit de l’environnement.

S : La fiscalité verte est-elle un concept à la mode ou un véritable outil de développement ?

A. Z. : Ce n’est pas un phénomène de mode d’autant plus que l’écologisation de l’économie génère non seulement de la croissance, notamment du capital naturel mais également une croissance plus forte du PIB et du PIB par habitant ; en investissant seulement 2% du PIB mondial dans dix secteurs-clés, nous pourrons relancer la transition vers une économie
utilisant peu de carbone et exploitant efficacement les ressources. Par exemple, la Suède l’a adopté depuis 1991.

En plus de ce pays, quarante-cinq pays dans le monde ont déjà adopté la célèbre « taxe carbone », une taxe qui vise à taxer les émissions de CO2 et à protéger la planète contre le réchauffement climatique. En France, cette taxe appelée Taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE), a fait parler d’elle ces dernières années.
La fiscalité verte est un véritable outil de développement quand on connaît la valeur inestimable des ressources durables comme l’air, l’eau, la terre, la flore et la faune. En effet, elle permet de préserver ces ressources qui sont très limitées et dont la régénérescence prend de très longues années.

Ainsi, grâce à la fiscalité verte, on peut promouvoir les activités qui n’ont pas d’impact négatif sur les ressources citées plus haut mais aussi décourager (taxer fortement) les activités qui usent (négativement) notre environnement. Vous avez certainement entendu parler du système « pollueur-payeur » qui consiste à taxer plus ceux qui dégradent ou polluent l’environnement de par leurs activités.

S : La principale finalité de la fiscalité verte est-elle l’élargissement de l’assiette fiscale ou la protection de l’environnement ?

A. Z. : La principale finalité de la fiscalité verte est la protection de l’environnement et des ressources durables sans lesquelles toute vie sur terre est menacée, même s’il y a aussi des objectifs de recettes fiscales. Il y a la fiscalité environnementale proprement dite et celle des fiscalistes. La première vise à réduire les atteintes à l’environnement et la deuxième qui consiste à renflouer les caisses de l’Etat avec des recettes stables et prévisibles n’induit pas de profonds changements de comportement.

Il faut une prise de conscience collective de la réalité du réchauffement climatique et reconnaître que les denrées les plus chères de la vie humaine, animale, végétale que sont la terre, l’air, l’eau, la flore ou la faune sont en train d’être polluées et en voie de disparition. Il n’est plus besoin d’être météorologue ou climatologue pour se rendre compte de l’évidence du réchauffement climatique. Alors, pour inverser la tendance et impulser une réforme verte qui consiste à régénérer notre environnement, la fiscalité verte s’avère être un instrument puissant. En somme, la fiscalité verte, c’est à la fois l’efficacité économique et l’efficacité environnementale.

S : Quel est l’état des lieux de la fiscalité verte au Burkina Faso ?

A. Z. : Cette question en elle seule peut faire l’objet d’un mémoire (rires). Jusque-là, la prise en compte de cette notion est encore timide. Dans le code général des impôts, il y a, par exemple, la taxe sur les emballages et sachets plastiques biodégradables et non biodégradables autorisés qui est « un impôt vert » qui s’applique aux emballages et sachets plastiques destinés à la vente et à ceux réservés à l’usage personnel du fabricant ou de l’importateur. Les recettes de cette taxe vont dans le budget de l’Etat. Il y a la Taxe sur les véhicules à moteur (TVM) qui est un impôt local dont les recettes vont aux budgets des collectivités territoriales. Dans d’autres codes, il y a la taxe sur l’eau (Contribution financière de l’eau) ou certaines redevances dans le secteur minier.

S : Au Burkina Faso, outres ces cas, quelles pourraient être les matières imposables en matière de fiscalité verte ?

A. Z. : Les matières imposables sont de plusieurs ordres. La liste n’est pas exhaustive. Il y a, par exemple, les sachets plastiques qui sont déjà imposés tout comme l’eau, les zones minières qui doivent être restaurées après l’exploitation minière, la coupe du bois, les permis de chasse, les véhicules motorisés émettant du carbone, les usines ou autres machines émettant du carbone, le charbon, les pesticides, etc. Les personnes imposables pourront être toutes celles qui détiendront, importeront ou achèteront ces types de biens.

S : La mise en place de la fiscalité verte est-elle opportune dans le contexte burkinabè, vu que certains crient déjà à une pression fiscale forte ?

A. Z. : Oui absolument ! C’est opportun, puisqu’il y a déjà des impôts, taxes et redevances qui vont dans ce sens. Cependant, à la FINAVEA, nous militons d’abord pour une éducation environnementale qui commande une prise de conscience collective du péril en la demeure. Ensuite, nous suggérons une réforme de la fiscalité pour tenir davantage compte de l’environnement à travers les impôts et taxes existants et l’instauration de nouveaux impôts.

Ainsi, la taxe sur les emballages plastiques gagnerait à être réformée et renforcée en appliquant rigoureusement les textes et règlements en la matière. En effet, le rendement de cette taxe est encore faible et l’impact négatif des sacs, sachets, emballages plastiques et assimilés se poursuit. Les services en charge du recouvrement de ces taxes et toute la chaîne des acteurs doivent être sensibilisés, outillés et motivés pour une plus grande effectivité de cet outil fiscal.

Pour ce qui est de la taxe sur l’eau, de l’effectivité de la fiscalité comme outil de protection de l’environnement dépend une véritable gestion durable de l’eau. La Contribution financière de l’eau (CFE), qui existe, peine à être rentable malgré l’épuisement de cette denrée. La fiscalité sur l’exploitation de l’eau par les industriels, les mines, … doit alors être une réalité grâce à un suivi des plus rigoureux et l’application de sanctions adéquates.
Quant à la taxe sur les pesticides, il est évident que les nuisances répétées dues aux pesticides, allant jusqu’à des pertes en vies humaines, peuvent s’atténuer fortement par une lourde taxation, lorsque ces pesticides n’auront pas fait l’objet d’interdiction. A la complexité de cet exercice, il faudra opposer la nécessité de garantir une production et une consommation durables et saines.

Il faut aussi agir sur des taxes comme celles sur les véhicules à moteur (TVM), dont l’assiette devra être réformée de sorte à comporter une partie fixe et une partie variable en fonction de l’âge du véhicule concerné, de sa capacité d’émission de Gaz à effet de serre (GES). Les informations requises se collecteront au moment de la visite technique au CCVA, ce qui nécessite une dotation en matériel de ce centre à cet effet. Il s’agit ici d’une mise en œuvre possible de la taxation carbone. Le recouvrement de cette taxe pourrait être amélioré en revoyant son mode de recouvrement. En lieu et place du système déclaratif, le CCVA pourrait retenir cette taxe lors de la visite technique et la reverser.

Une fiscalité incitant à l’éco-citoyenneté peut être promue par l’octroi d’avantages fiscaux en termes d’exonérations aux entreprises respectueuses de l’environnement par leur choix de moyens de productions propres et non polluants. Ainsi, il serait nécessaire de faire une analyse des exonérations qui permettra de faire l’inventaire des dépenses fiscales non dommageables à l’environnement au Burkina Faso.
Enfin, la fiscalité verte concerne également la réforme des subventions. Les subventions aux énergies fossiles ne bénéficient pas toujours aux couches les plus défavorisées.

La fiscalité verte signifie aussi la capacité à dégager des ressources disponibles en réduisant certaines dépenses publiques, chose qui est certes difficile, mais pas impossible avec une bonne communication à l’endroit des concernés. Les gains en ressources issus de la réforme des subventions pourront servir à des investissements verts structurants, à la production d’énergies renouvelables, à la création d’emplois verts et décents qui généreront de nouveaux revenus.

S : Existe-t-il un mécanisme juridique pour l’opérationnalisation de la fiscalité verte au Burkina Faso ?

A. Z. : Le mécanisme juridique consiste par exemple, dans notre arsenal juridique fiscal notamment dans le Code général des impôts ou d’autres codes, à mettre l’accent sur certains aspects de la fiscalité. L’expression « fiscalité verte » ou « impôts verts » n’existe jusque-là pas dans le Code général des impôts malgré quelques dispositions fiscales qui renvoient à la préservation de l’environnement (exemple de la taxe sur les emballages). Ainsi, il suffit d’introduire à travers une loi de finance (rectificative ou initiale), ou dans la révision de la loi 058 portant Code général des impôts, une réforme des impôts existants et la création de certains allant dans ce sens.

S : Quelles solutions pour une mise en mouvement optimal de la fiscalité verte au Burkina Faso ?

A. Z. : La première des choses à faire est la prise de conscience collective que notre environnement, avec tout son contenu, court au péril et qu’il faille le sauver. Cela nous amènera à changer nos habitudes de production et de consommation. Ensuite, il faut une large concertation entre tous les acteurs sur la nécessité de la mise en œuvre optimale de la fiscalité verte au Burkina Faso.

Cela y va de notre survie, car aujourd’hui pour manger, respirer sain et boire sain bref, pour vivre sain, cela relève pratiquement de l’utopie. Aussi, cette mise en œuvre doit aller crescendo en alliant sanctions positives (primes écologiques par exemple pour les entreprises remplissant les critères écologiques, exonérations) et sanctions négatives (surtaxe, pénalités ou amendes). Nous devons surtout réformer ce que nous avons déjà au niveau de notre fiscalité pour prendre davantage en compte la protection de l’environnement et des ressources. Enfin, une partie des recettes issues des «impôts verts » qui seront mis en place pourront être utilisés pour la transition écologique ou la restauration de l’environnement.

Interview réalisée par
Mahamadi SEBOGO

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