Assassinat Thomas Sankara et 12 autres : Le procès suspendu jusqu’ « au retour à l’ordre constitutionnel »

Me Prosper Farama : « Si nous avons pu attendre 34 ans, ce n’est pas aujourd’hui que nous allons vouloir d’une justice expéditive ».

Après trois semaines de suspension, le procès de l’assassinat du capitaine-président Thomas Sankara et ses compagnons a repris, ce lundi 31 janvier 2022, à Ouagadougou. L’audience devrait être consacrée aux plaidoiries de la partie civile. Mais, le procès a été suspendu en raison de l’interruption de la Constitution du Burkina Faso.

A la reprise du procès Thomas Sankara et 12 autres, le lundi 31 janvier 2022 devant le tribunal militaire, après trois semaines de trêve, la suspension de la Constitution a cristallisé les débats durant 5 heures d’horloge. En effet, le procès comme de coutume s’est ouvert à 9h30 minutes en présence de toutes les parties.

Il faut rappeler que la phase des auditions étant close, c’est l’étape des plaidoiries qui devait s’ouvrir. Mais très vite, des praticiens du droit vont déceler des inquiétudes par rapport à la situation nationale. La Constitution étant suspendue par le président du Mouvement patriotique pour la sauvegarde et la restauration (MPSR), les avocats de la partie civile ne sont pas convaincus que les droits des différentes parties soient garantis. Un débat juridictionnel est donc posé.

Par conséquent, ils ont demandé purement et simplement une suspension du procès en attendant un retour à l’ordre constitutionnel normal. Et c’est Me Prosper Farama de la partie civile qui va introduire le premier cette requête verbale de suspension. «  Même si la partie civile est soulagée de la reprise de ce procès, au-delà de toute considération, nous devons rappeler que le Burkina Faso a adhéré à plusieurs juridictions, notamment celle de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples.

Au regard de la situation de la suspension de la Constitution par le MPSR, on est bien obligé de s’interroger sur les conséquences que la poursuite du procès entraînerait », a exposé l’avocat. Il a invoqué à cet effet les articles 125 et 131 de la Constitution du Burkina Faso et les articles 2 et 7 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples. Ces articles stipulent que les juridictions sont garantes des libertés individuelles, collectives et veillent au respect de cette liberté et que le chef de l’Etat est le garant de l’indépendance de la justice.

« Nous n’allons pas juger pour juger »

Pour Me Farama, la Constitution est la loi fondamentale, le siège du droit et de la justice, et le fait de la suspension de cette Constitution, le droit à un procès équitable est biaisé. « Parce que depuis l’ouverture de ce procès, c’est ce que nous avons toujours prôné. Nous voulons un procès juste et équitable, une justice mais pas une justice expéditive. Or en ce moment, nous faisons face à un vide institutionnel avec la suspension de la Constitution. Est-ce que cette juridiction peut-elle tenir cette audience alors que la Constitution est suspendue ? Est-ce que les droits de toutes les parties seront garantis ? Le Conseil constitutionnel existe-t-il ? ».

Autant de questionnements que l’avocat de la partie civile a posés à ses interlocuteurs afin de décrire le risque de passer à côté de l’objectif. Au regard d’un parterre d’éléments évoqués par l’avocat et pour que le procès soit dénué de toute irrégularité, Me Farama a demandé, en vertu du principe de précaution et en vertu de l’article 121 du code de la justice militaire, la suspension de l’audience, en entendant une normalisation de la situation. Il sera soutenu par la quasi-totalité des avocats de la partie civile à commencer par l’avocate Anta Guissé qui a réaffirmé que ce n’est pas de gaieté de cœur que la partie civile requiert la suspension du procès.

« Nous sommes des juristes et nous jugeons dans le respect des principes de sécurité juridique. Notre responsabilité vis-à-vis de la déontologie de la profession est engagée. Et nous savons que dans ce dossier, il y a des accusés qui doivent être jugés par défaut. Ainsi, nous devons rendre justice conformément au droit », a développé Mme Guissé. Pour Me Ferdinand Zeppa toujours du conseil des avocats de la partie civile, quelle serait la légalité d’une décision judiciaire rendue en l’absence de la loi fondamentale ? « Nous devons parvenir dans ce procès à des décisions inattaquables, des décisions fiables et justes », a soutenu Me Zeppa.

Pour l’Agence judiciaire de l’Etat représentée à ce procès par le magistrat Karfa Gnanou, la requête de la partie civile est fondée. « L’Etat partage les inquiétudes des avocats de la partie civile. Je demande au tribunal de faire preuve de compréhension et de précaution. A la lumière de la réquisition des avocats, le tribunal a ici l’occasion d’éviter des critiques prévisibles à la décision que le tribunal viendrait à prendre. Ainsi, nous soutenons fermement la demande de renvoi formulée par les avocats de la partie civile », a dit Gnanou Karfa.

Mais, des avocats de la défense étaient pour la poursuite du procès et se sont dit prêts pour les plaidoiries. Continuer le procès Après une brève concertation entre les avocats de la défense, deux tendances se sont manifestées dont une première souhaite la suspension et l’autre la poursuite des débats. Parmi ces derniers qui demandent la continuation du procès, Me Mamadou Sombié. Il a estimé que la vie ne doit pas s’arrêter parce que la Constitution est suspendue. Et d’ailleurs, pour lui, ce n’est que la Constitution qui est suspendue sinon les lois et règlements qui régissent la vie quotidienne sont en vigueur. « La conséquence première dans un coup d’Etat, c’est la suspension de la Constitution, mais cela ne met pas fin à la vie de la Nation.

Vous comprendrez avec moi que la composition des juges de ce procès n’a pas changé, le procès n’a pas été délocalisé à nouveau, les juges assesseurs sont toujours les mêmes, les serments n’ont pas changé, ce qui veut dire que notre juridiction est restée inchangée et les audiences peuvent se poursuivre sans problèmes », a décrit l’avocat. Il sera soutenu dans cette logique par le parquet militaire qui estime que le débat sur la suspension de la Constitution est un débat politique et non judiciaire, qu’il faut laisser aux politiciens.

« En vertu de la séparation des pouvoirs, le pouvoir judiciaire est libre de fonctionner même en l’absence d’une Constitution et les juridictions de droit commun le font en ce moment. Ainsi, le parquet ne voit pas la nécessité de la suspension du procès », a conclu Mme le procureur militaire, Pascaline Zoungrana. Le président du tribunal militaire, Urbain Meda, a pris une trentaine de minutes avec ses juges pour examiner les différents arguments. Il a fini par décider de suspendre l’audience pour une bonne administration de la justice et a invité les différentes parties à rester à l’écoute pour la reprise qui se fera après le rétablissement de la Constitution.

Wanlé Gérard COULIBALY


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