Mortalité infantile : ‘’IeDa’’, « le génie guérisseur » au Burkina Faso

Avec le REC, beaucoup d’enfants de moins de cinq ans ont été bien pris en charge

Le paludisme, la pneumonie et la diarrhée, sont généralement des maladies qui tuent les enfants de moins d’un an au Burkina Faso. Ces maladies, selon l’ONG Terre des hommes (Tdh), sont curables à travers le Integrated e-Diagnostic Approach (IeDA), une application sur tablette, qu’il a initiée pour accompagner les infirmiers dans le diagnostic des tout-petits. Dans la région de la Boucle du Mouhoun, cette technologie a eu un impact et fait la fierté des agents de santé. Reportage !

Après la prise de taille, du poids et de la température de Sophie Zerbo, âgée de 59 mois au Centre de santé et de promotion sociale (CSPS) Urbain de Toma dans la région de la Boucle du Mouhoun, l’Agent itinérant de santé (AIS), Nonganaba Samba manipule une tablette. Sur l’écran, il enregistre les symptômes et répond à une suite de questions informatisées. Quelques minutes après, le verdict tombe. Sophie souffre d’un paludisme. Elle doit suivre un traitement et revenir dans cinq jours pour un contrôle. A la suite, Amani Toé, âgé de 9 mois est aussi consulté avec le Registre électronique de consultation (REC). En dehors des soins prescris, l’agent note que l’appareil propose parfois des remèdes, tels, le miel au citron, pour un rhume ou une toux. Comme ces deux enfants, ceux de moins de cinq ans sont pris en charge dans les formations sanitaires de la région de la Boucle du Mouhoun, avec la technologie Integrated e-Diagnostic Approach (IeDA), initiée par l’ONG Terre des hommes (Tdh). Cet outil qui fonctionne sans connexion internet, permet aux infirmiers de faire le diagnostic des tout-petits. Il reprend de manière informatisée, le protocole clinique de la Prise en charge intégrée des maladies de l’enfant (PCIME). Tout a été digitalisé et les agents doivent respecter la logique de la PCIME, à commencer par les signes de danger, pour arriver à une prescription correcte, sur la base d’un diagnostic correct. « Avec l’outil, aucune tricherie n’est possible. Les agents sont obligés de suivre toutes les étapes en vérifiant les symptômes, l’alimentation, les vaccinations.

L’AIS Nonganaba Samba, attendant le verdict du REC, après consultation de Amani Toé.

Grâce aux algorithmes, ils réduisent la probabilité d’erreurs », précise Batoma Ouédraogo, Infirmière chef de poste (ICP), du CSPS de Kassan, dans la province du Sourou. Elle souligne que la tablette présente des bandes de diverses couleurs, qui font ressortir l’état nutritionnel de l’enfant. A l’entendre, la courbe verte indique que l’enfant est bien nourri, la couleur jaune révèle une malnutrition aigüe modérée et celle rouge, une malnutrition aigüe sévère. « Si la couleur jaune apparaît, l’appareil nous donne une conduite à tenir, pour que l’enfant ne sombre pas davantage dans la malnutrition. Si des signes de danger se présentent, nous agissons urgemment », explique-t-elle. Pour Mme Ouédraogo, l’agent ne doit pas se limiter aux dires de la maman, pour ce qui amène l’enfant au CSPS. Il doit évaluer le malade et cette procédure à son avis, est un succès pour les agents de santé, qui arrivent à sauver beaucoup de vies.

Des parents satisfaits

La performance du REC n’est plus à démontrer. Les parents l’apprécient et ils considèrent l’outil comme un gage de crédibilité. A en croire l’ICP de Kassan, ces derniers le voyaient au début, comme un portable que les infirmiers aiment manipuler. Amandine Méda, venue en consultation avec son bébé de 14 mois, ignore que cet appareil est destiné aux soins des enfants. Le père de Sophie confie qu’avec cette technologie, la consultation est rapide, avec une prescription plus rationnelle des médicaments. « Avec le REC, les données ne se perdent pas et cela nous rassure plus que la version papier », se réjouit-il.

Le responsable régional de Tdh, Youssouf Gamsoré, annonce l’arrivée de tablettes d’une capacité de 3 à 4 giga de RAM

Séraphine Toé, la mère de Amani Toé renchérit que cet outil donne un examen plus complet de l’enfant. C’est la raison pour laquelle, les agents de santé sont suivis par des équipes de Tdh sur le terrain, pour un respect de la prise en charge. « Des collègues sont souvent interpellés sur l’oubli de certains aspects dans la PCIME», souligne l’ICP. En octobre 2021, 151 enfants ont été consultés avec le REC à Kassan. Le responsable du Centre d’information sanitaire et de surveillance épidémiologique (CISSE) du district sanitaire de Tougan, Emmanuel Lankoandé, note qu’en 2020, 92% des enfants ont été pris en charge avec l’outil. Les 8% sont ceux consultés au moment où la tablette était en panne ou transférée au district sanitaire pour synchronisation. L’objectif visé de Tdh, de l’avis de son responsable régional de la Boucle du Mouhoun, Youssouf Gamsoré, est d’atteindre un taux d’application de la PCIME à hauteur de 90%, mensuellement ou annuellement.

Moins de décès

Les statistiques de Tdh révèlent que de janvier 2016 à novembre 2021, 919 352 nouveaux enfants ont été enregistrés avec la tablette et 2 464 954 consultations effectuées dans la région. Avec ces chiffres, l’ICP du CSPS de Tchériba, Moussa Ouisnoma indique que le REC a contribué à la baisse du taux de mortalité, comparativement aux années antérieures. De 2019 à 2021, aucun décès n’a été enregistré au sein de son CSPS.  Sa collègue de Kassan, rend aussi grâce à Dieu de n’avoir pas enregistré de décès durant les quatre années de son service dans cette localité. Si les agents de santé qualifient la tablette comme un ‘’génie’’, ils se plaignent parfois de sa lenteur, qui ne leur facilite pas les recherches. Ce qui les amène souvent, selon l’Infirmière diplômée d’Etat (IDE), Lucie Simboro, du CSPS de Tchériba dans le Mouhoun, à faire recours aux fiches PCIME. « Quelques fois, lorsque nous finissons d’enregistrer un enfant, l’appareil s’éteint et nous ne savons pas s’il a été enregistré ou non.

Les parents estiment qu’avec le REC, il ya une prescription plus rationnelle des médicaments

Cette situation explique une discordance dans le rapport mensuel, entre le nombre d’enfants consulté avec l’outil et la fiche PCIME », justifie-t-elle. Après consultations, il est recommandé aux agents de reproduire toutes les données dans le registre de consultations journalières. Une double tâche qu’ils n’apprécient pas, parce que selon eux, c’est trop leur demander, du moment que tous les renseignements sur l’enfant sont déjà enregistrés par l’outil. Au CSPS de Tchériba, en plus de la tablette, il y a l’oxymètre de pouls combiné au REC, qui permet de prendre la saturation en oxygène chez tous les enfants âgés de moins de deux mois, ceux de 2 à 59 mois ayant une classification selon la PCIME de la bande rose ou jaune. Cette initiative de Tdh, introduite en août 2021, est en phase d’essai dans les districts de Dédougou, Boromo et dans quelques centres de formations sanitaires. Le Directeur régional de la Santé (DRS) de la Boucle du Mouhoun, Sidzabda Kompaoré, fait savoir que la reproduction de ces données est nécessaire, parce qu’il est le support primaire physique, qui demeure dans la formation sanitaire et il doit être maintenu pour toute fin utile, comme les besoins de correction, de validation et de recherche. Le Médecin chef du district (MCD) de Toma, Serge Mohamed Sanou, précise que lorsque les tablettes sortent pour la synchronisation, l’enfant doit être pris en charge sur la version papier. « Que l’appareil soit là ou pas, nous avons toujours besoin d’une source de vérification et il est important que nous ayons des traces de ce que nous faisons », martèle-t-il.

Transférer les compétences

Les districts sanitaires n’ont pas encore cette possibilité d’extraire les données contenues dans les tablettes. Cette extraction selon le responsable du CISSE de Tougan, Emmanuel Lankoandé, leur parvienne de Tdh. Il estime que les CISSE doivent être à mesure de faire des analyses de façon progressive, sans être dépendants, afin de leur permettre de déceler des insuffisances.

L’oxymètre de pouls, combiné au REC pour la prise de la saturation des nourrissons, est en phase d’essai à Tchériba

Les responsables de Tdh, soulignent que le processus de transfert de cette technologie au ministère de la Santé annoncé peine à voir le jour, du fait de la Covid-19, mais l’espoir demeure. Avec deux districts au départ, le projet IeDA couvre de nos jours, neuf régions du Burkina Faso. L’objectif étant d’amener l’Etat burkinabè, à passer à l’échelle nationale avec ces outils digitalisés, en vue de réduire le taux de mortalité au pays des ‘’Hommes intègres’’.

Afsétou SAWADOGO

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