Narcisse Dabiré, docteur en sciences de gestion : « L’assurance est une opportunité pour le monde agricole »

Le docteur en sciences de gestion, Narcisse Dabiré : « Les sociétés d’assurance doivent changer leur façon de concevoir leurs produits »

Narcisse Dabiré est docteur en science de gestion et cadre d’assurance. Les travaux de sa thèse ont porté sur le développement de nouveaux produits d’assurance agricole au Burkina Faso. Dans cet entretien, il revient, entre autres, sur les résultats de sa recherche et le rôle social et économique de l’assurance.

Sidwaya (S) : Qu’est-ce que l’assurance ?

Dr Narcisse Dabiré (N. D.) : L’assurance est une solidarité organisée entre des personnes exposées à l’éventualité de la survenance d’un même risque et qui mettent en commun leurs moyens financiers entre les mains de l’assureur afin de lui permettre de venir en aide à celles d’entre elles, qui viendraient à connaître un évènement malheureux.

S : L’assurance constitue-t-elle un luxe ou un véritable enjeu de développement pour un pays comme le Burkina Faso ?

N. D : L’assurance joue un double rôle dans la société. D’abord un rôle social qui consiste à prendre en charge les victimes des sinistres comme l’accident de la circulation, la maladie, l’incendie, etc. Dans ces situations, l’assureur verse aux victimes une somme d’argent pour alléger leurs charges financières et éviter qu’elles soient une charge pour leur communauté. Sur le plan économique, l’assurance permet de pérenniser les activités des entreprises et de sauver les emplois à la suite d’un sinistre. Les assurances génèrent également des recettes fiscales pour l’Etat, les produits d’assurance étant taxés entre 8% et 20%. Les compagnies d’assurances accompagnent aussi les investissements. Au Burkina Faso, la construction de plusieurs infrastructures a été possible grâce aux garanties que les sociétés d’assurance accordent aux entreprises chargées de la réalisation de ces travaux. C’est le cas notamment de la construction des échangeurs, du bitumage des routes etc. Enfin, les assureurs collectent de l’épargne qu’elles placent dans les banques et qui servent à financer l’économie nationale. En un mot, l’assurance n’est pas un luxe mais un véritable outil de développement !

S : Comment se porte le marché de l’assurance au Burkina Faso ?

N. D. : D’une manière générale, le marché de l’assurance se porte bien au Burkina Faso. Pour preuve, le chiffre d’affaires réalisé par l’ensemble des compagnies d’assurance au 31 décembre 2019, s’élève à 95 milliards F CFA. Mais l’assurance étant une activité adossée à l’économie, le ralentissement de l’activité économique se ressent également sur le secteur des assurances. Aujourd’hui, les compagnies d’assurance subissent le coup de l’impact de la crise de la COVID-19 et de l’insécurité. Certains clients ont revu à la baisse leur budget d’assurance, voire résilier leurs contrats d’assurance en raison de l’insécurité et de la crise sanitaire engendrée par la maladie de la COVID-19.

S : Il y a un faible taux de pénétration de l’assurance au Burkina Faso, moins de 1%. Qu’est-ce qui explique cela ?

N. D. : Le faible taux de pénétration de l’assurance dans notre pays s’explique par la faible culture d’assurance, un manque d’éducation financière qui est elle-même exacerbée par le faible niveau d’alphabétisation de la population. Les contrats d’assurance sont rédigés en français et exigent qu’on ait un certain niveau en français pour les comprendre. Il est donc difficile de commercialiser des produits d’assurance dans un contexte où la population est majoritairement analphabète.

S : Le fait que l’assurance soit méconnue des populations ne constitue-t-il pas aussi un frein ?

N. D. : Le véritable problème réside effectivement dans le fait que l’assurance n’est pas bien connue des populations, ce qui engendre certaines interprétations. On entend souvent dire que les sociétés d’assurance sont promptes à prendre les primes mais traînent les pieds quand vient le moment de payer les sinistres. Mais il faut noter que l’activité de l’assurance fait appel à plusieurs acteurs, notamment les experts quand survient un sinistre. Cela fait croire que les procédures sont souvent longues. L’avis d’un expert peut prendre du temps en fonction de la complexité du sinistre. Mais il faut reconnaître que les compagnies d’assurance doivent aussi travailler à payer diligemment les sinistres.

S : Faible culture assurancielle, mauvaise perception, à qui la faute : les sociétés d’assurance ou les pouvoirs publics ?

N. D. : S’agissant de la mauvaise perception de l’assurance, il revient principalement aux assureurs, de travailler à soigner leur image auprès du public en fournissant des prestations de qualité et donc à régler les sinistres dans les délais prescrits par la loi. Elles doivent aussi créer et commercialiser des contrats d’assurance simples, dont le vocabulaire utilisé est à la portée des assurés. Les produits d’assurance doivent être adaptés aux besoins, aux réalités des assurés. Enfin, les primes d’assurance doivent être fixées de sorte à tenir compte du pouvoir d’achat du segment de clientèle visé. Quant à la faible culture d’assurance, les pouvoirs publics et les assureurs doivent travailler ensemble au moyen d’actions de sensibilisation dans les principales langues locales parlées du pays.

S : Il est de plus en plus question d’assurance agricole dans notre pays, avec des projets pilotes. Est-ce une véritable opportunité pour le monde agricole ?

N. D. : La part de l’Afrique dans l’assurance agricole mondiale est inférieure à 1%. Cette assurance agricole est une opportunité pour le monde agricole en ce sens qu’elle permet de sécuriser les récoles et même les agriculteurs. Les études d’impact des projets-pilotes d’assurance agricole au Burkina Faso montrent que les agriculteurs qui avaient une expérience dans l’assurance agricole avaient des rendements meilleurs que ceux qui n’étaient pas assurés. Les agriculteurs assurés prenaient des décisions de productions plus efficaces et étaient plus résilients face aux aléas climatiques.

S : N’est-il pas utopique de vouloir mettre en œuvre une assurance agricole en milieu rural?

N. D. : Il faut tenir compte des réalités de chaque milieu et revoir même la manière de concevoir les produits d’assurance et de les distribuer. Les résultats auxquels nous sommes parvenu dans le cadre des travaux de notre thèse montrent qu’il faut adopter une démarche participative en matière de création de produits d’assurance agricole, c’est-à-dire impliquer les producteurs agricoles. C’est ce qu’on appelle l’innovation participative. Les études ont montré que les clients adoptent plus facilement les produits pour lesquels ils ont participé au processus de création en émettant leurs idées, en formulant leurs suggestions, leurs critiques. Ce qui facilite aussi la commercialisation du produit !

S : Les conditions d’assurabilité du secteur agricole sont-elles réunies au Burkina Faso ?

N. D. : Ici, les assureurs ont toujours considéré le monde agricole comme un secteur inassurable du fait des risques d’anti-sélection et d’aléa moral dont je parlais plus haut mais aussi et surtout du manque de statistiques sur le secteur. Pour concevoir un nouveau produit d’assurance, les assureurs ont besoin de disposer des statistiques sur le domaine concerné sur cinq ou dix ans. Alors qu’au niveau du monde agricole, ces données ne sont pas toujours disponibles. Il faut travailler à réunir ces conditions d’assurabilité du monde agricole. Les résultats de notre thèse postulent qu’il faut une collaboration entre l’Etat, les assureurs et les agriculteurs, représentés par les organisations paysannes. L’Etat fournit les statistiques agricoles, facilite les formalités administratives et intervient pour organiser le monde paysan en associations ou groupements afin de permettre aux assureurs d’avoir des interlocuteurs. Le rôle des organisations paysannes est de recenser les préoccupations, les attentes, les besoins, les suggestions de leurs membres et de les communiquer aux assureurs dont le travail consistera à monter le produit et le commercialiser et à régler les sinistres.

S : Concrètement, comment cette assurance agricole va-t-elle s’opérer?

N. D. : Compte tenu des difficultés évoquées plus haut, la formule d’assurance agricole qui sied aujourd’hui et qui a fait ses preuves ailleurs et fait l’objet de projet-pilote au Burkina Faso, est l’assurance indicielle. Elle est une assurance basée sur un indice qui peut être la sécheresse, l’inondation, la perte des rendements moyens. Cet indice doit être défini au départ et porté à la connaissance de l’assuré. Il faudrait aussi que l’assurance couvre une culture qui représente une part importante du revenu total de l’agriculteur.

S : Il y a aussi la question des primes d’assurance qui doivent être adaptées aux capacités financières du monde paysan….

N. D. : Dans le cadre de notre étude de thèse, nous nous sommes également intéressés à la question de la prime d’assurance. Nous sommes arrivés à la conclusion que, pour que la prime d’assurance soit accessible aux agriculteurs, l’Etat doit jouer sa partition en subventionnant, par exemple, la prime, la recherche-développement des produits d’assurance de sorte que les sociétés d’assurance ne soient pas les seules à supporter les frais de cette recherche. Dans la plupart des pays qui
ont expérimenté l’assurance agricole, la subvention de la prime d’assurance par l’Etat est de l’ordre
de 50%.

S : Sur quels autres leviers peut-on encore actionner pour un meilleur ancrage d’une culture assurancielle au Burkina Faso ?

N. D. : Il faudrait d’abord que les assureurs changent la façon de concevoir les produits d’assurance, qu’ils co-construisent les produits avec les clients ! Pour ce qui est de l’assurance agricole, les assureurs peuvent recourir aux organisations paysannes comme canal de diffusion de leurs produits. On pourrait aussi coupler les produits d’assurance avec les crédits agricoles ou même l’achat des

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intrants agricoles de sorte que le producteur soit automatiquement assuré, lorsqu’il prend un crédit ou achète de l’engrais. Les sinistres doivent être payés diligemment de sorte à faire des assurés des relais pour la vulgarisation des produits d’assurance dans leurs milieux. Il faudrait également simplifier les contrats d’assurance et envisager de commercialiser des produits d’assurance dans les langues locales. Dans le domaine de l’assurance agricole, l’Etat a déjà fait un grand pas en supprimant la taxe d’assurance qui était de 12%.

Interview réalisée par
Mahamadi SEBOGO
Windmad76@gmail.com

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