Rapport annuel « Goalkeepers  » sur les ODD : « Le nombre de personnes vivant dans la pauvreté extrême a augmenté de 7% », Cheikh Oumar Seydi, directeur Afrique de la Fondation Gates

« Les importants progrès réalisés durant les cinq dernières années dans la lutte contre le paludisme et la tuberculose ont été effacés par la pandémie de la COVID-19 ».

Le 4e rapport annuel « Goalkeepers » de la Fondation Bill & Melinda Gates, a été lancé le 15 septembre 2020. A l’occasion, le directeur pour l’Afrique de la Fondation, le Sénégalais Cheikh Oumar Seydi, évoque dans l’interview qu’il a accordée à Sidwaya, l’impact de la pandémie de la COVID-19 sur les Objectifs de développement durable (ODD) des Nations unies. Mais avant, il situe le contexte de l’adoption des « Goalkeepers ».

Cheikh Oumar Seydi (C.O.S.): En septembre 2015, les leaders mondiaux se sont accordés sur des Objectifs de développement durable (ODD). Deux ans plus tard, la Fondation, en concertation avec ses partenaires, a pensé que la meilleure façon de suivre annuellement l’état d’avancement des ODD est de les chiffrer, ce qui permettait aux décideurs de rectifier le tir. Le rapport vise donc à mesurer l’état d’avancement des ODD et de permettre de prendre des décisions idoines pour les atteindre.

S: Quelles sont les principales conclusions du 4e rapport annuel ?

C.O.S. : Ce rapport est exceptionnel compte tenu de la COVID-19 qui a eu des conséquences catastrophiques sur le travail qui a été fait pendant toutes ces années pour atteindre les ODD. A titre illustratif, le taux de vaccination mondiale est passé de 84% à 70%, soit un recul de 25 ans pendant seulement 25 semaines. Le nombre de personnes vivant dans la pauvreté extrême a aussi augmenté de 7% après plus de 20 années consécutives de déclin. Aussi, les importants progrès réalisés durant les cinq dernières années dans la lutte contre le paludisme et la tuberculose ont été effacés par la pandémie de la COVID-19. La pandémie, avec ses conséquences néfastes, a donc eu un impact important sur nos pays.

S : Comment trouver une solution à cet impact négatif ?

C.O.S. : En matière de développement, il ne faut jamais se décourager. Certes, la situation est grave, inquiétante mais il faut continuer de redoubler d’efforts. Il y a trois aspects importants à considérer. Le premier est de s’assurer de continuer la fourniture des services de santé malgré la COVID-19. Le paludisme ne prenant pas de vacances, les soins de santé primaires doivent donc se poursuivre. Le second chapitre est l’impact économique qu’on ne peut pas oublier, surtout dans des pays où au moins 80% des populations travaillent dans le secteur informel.

Aujourd’hui, le télétravail que vous et moi sommes connectés en ligne et qu’on arrive à faire notre travail malgré la pandémie de la COVID-19 a amplifié et est un luxe que les acteurs du secteur informel ne peuvent pas se permettre. Ils sont obligés de trouver quelque chose à faire pour nourrir leur famille. Le troisième aspect important est la lutte contre la COVID-19 elle-même. Il faut suivre simultanément ces trois volets qui sont très importants. Aussi, il ne faudrait pas perdre de vue les possibilités pour la maladie de se propager. On ne peut pas s’isoler dans un monde où nos pays ont besoin les uns des autres.

Nous sommes dans un monde où la collaboration est extrêmement importante surtout au moment où nous sommes en train de trouver des traitements qui permettent de jouer un effet de relais en attendant que les vaccins soient prêts. Il nous faut donc une collaboration de tous les pays et de tous les acteurs, y compris le secteur privé, pour trouver une solution globale bénéfique à tout le monde, en fonction de nos moyens. Ainsi, les pays qui ont plus de moyens doivent dépenser plus que ceux qui n’en ont pas. Les compagnies pharmaceutiques par exemple doivent proposer des produits abordables afin que l’on puisse s’en sortir ensemble. Car, on ne peut pas être dans une situation où la crise touche juste une partie du monde, dans certains pays mais pas d’autres. Le travail en synergie à l’échelle mondiale s’impose.

S : Le rapport propose-t-il de réorienter les actions afin d’atteindre les ODD ?

C.O.S. : Nous vivons une crise mondiale qui exige une réponse mondiale. Toute tentative d’un pays à se protéger tout seul en négligeant les autres est tout simplement vouée à l’échec. Tous les Etats et les acteurs doivent collaborer et mettre tous les moyens nécessaires pour qu’on puisse avoir les traitements qu’il faut le plus rapidement possible et aboutir à des vaccins. Tout devrait être mis en place pour pousser les institutions et les gouvernements du Nord comme du Sud à s’asseoir sur la table et s’accorder sur des règles qui puissent nous sortir de cette crise mondiale qu’on ne peut pas gérer pays par pays !

S : Avec la COVID-19, est-ce que les partenaires africains ont-ils à craindre une baisse des financements qu’ils recevront de la Fondation Bill et Melinda Gates?

C.O.S. : Depuis que la crise de la pandémie est installée, nous travaillons d’arrache-pied sur les financements qu’on a toujours eus mais aussi on s’est beaucoup focalisé sur certains aspects de la crise. Nous avons été, par exemple, parmi les premiers partenaires à travailler avec le Centre africain de prévention contre les maladies (Africa CDC) en ordonnant le financement qu’il faut pour pouvoir donc suivre le travail qu’ils font dans plusieurs pays. Nous avons aussi travaillé avec l’Union africaine (UA), en particulier avec la plateforme qui a été mise en place pour soutenir la distribution des produits médicaux, en y mettant pour la première fois le produit qu’on appelle Dexaméthasone pour soigner les malades de la COVID-19.

Nous avons plusieurs autres partenaires comme l’OMS, l’UNICEF, avec lesquels nous travaillons tous les jours. Notre travail n’a pas arrêté, il inclut aussi certains endroits où il faut aider des patients atteints d’autres maladies à avoir accès à leurs médicaments, sans avoir nécessairement besoin de se déplacer. Car, plus il y a des déplacements, plus il y a des possibilités d’avoir des contaminations. En résumé, c’est une situation exceptionnelle qui interpelle tout le monde. Depuis que la crise nous a frappé, nous continuons justement d’accompagner les gouvernements et d’exécuter nos différents programmes.

S : Les pays africains n’ont donc pas à craindre d’une baisse quelconque de financements ?

C.O.S. : Honnêtement, le problème n’est pas une question de baisse de financements. La crise est là et a changé toutes les données. Même si les partenaires au développement multipliaient justement leurs financements, ce n’est pas nécessaire et ne règlera pas le problème du jour au lendemain. Il faudrait qu’il y ait une bonne concertation par rapport au règlement de cette crise. Les partenaires se complètent sur les programmes qu’ils proposent. Imaginez-vous cinq ans de travail de progrès sur le paludisme qui sont effacés en quelques semaines !

S : Par rapport à la recherche du vaccin contre la COVID-19, d’autres pensent que la Fondation Bill et Belinda Gates veut utiliser les populations africaines comme cobayes afin de tester certains vaccins. Qu’en pensez vous ?
C.O.S. : C’est une polémique qui n’a absolument aucun sens. Il y a quelques semaines seulement, on venait de célébrer l’Afrique libérée de la forme sauvage de poliomyélite. Comment cela a été réalisé ? C’est dû aux campagnes de vaccination mais les gens n’en parlent pas. Scientifiquement, il est à prouver que la vaccination fait une différence. Depuis que l’Alliance globale pour les vaccins et l’immunisation (GAVI) a été mise en place, la mortalité infantile a été réduite de façon drastique et la Fondation accompagne la GAVI dans cette action. L’année 2000, il y avait un débat sur l’importance ou la valeur de la vaccination.

Mais dans quel monde on se trouve ? C’est un débat qui n’est pas prouvé scientifiquement. Nous sommes une Fondation, nous avons un statut qui fait qu’on n’a pas une orientation sur le profit. Je ne sais pas de quel laboratoire vous parlez ! Nous nous donnons des moyens pour accompagner tous les efforts qui sont faits dans la santé globale. Nous allons continuer à reconnaître l’importance de la vaccination. En plus, les programmes de planification familiale que nous accompagnons sont en concertation avec les peuples que nous voulons servir et les gouvernements qui sont impliqués. Nous continuerons de soutenir les initiatives comme le Partenariat de Ouagadougou. Franchement, à mon avis et en tant qu’agence de développement, c’est une polémique qui n’a pas de sens.

S: Le Burkina s’est engagé dans la gratuité des services de planification familiale. Est-ce que le pays peut s’attendre davantage de l’accompagnement de la Fondation ?

C.O.S.: Le Burkina Faso est un partenaire très important de la Fondation Bill et Melinda Gates et nous allons continuer à accompagner ce pays dans la mesure de nos possibilités. Nous avons un accord de partenariat avec le Burkina Faso sur des axes bien ciblés. Nous apprécions la collaboration que nous avons dans ce pays. Nous apprécions également le travail que font les dirigeants de ce pays, pour accompagner les populations, surtout dans des conditions sécuritaires parfois extrêmement difficiles. Nous allons continuer à faire ce travail et à les accompagner, car ce pays est exceptionnel !

Interview réalisée par Boureima SANGA
bsanga2003@yahoo.fr

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