Savoir raison garder

« J’ai compris votre message qui nous invite à un changement de paradigme». C’est en substance le message que le Chef de l’Etat, Roch Marc Christian Kaboré, a adressé à ses compatriotes jeudi dernier. Cela, à la veille d’un avis de tempête annoncé pour le 27 novembre 2021, date à laquelle des regroupements d’organisations politiques et de la société civile à cran contre la gouvernance actuelle du pays s’apprêtaient à battre le pavé.

La raison officielle était pour exiger des mesures fortes contre l’insécurité et le terrorisme qui endeuillent quotidiennement des Burkinabè. En dehors de Bobo-Dioulasso et de Ouagadougou où un remake d’octobre 2014 était redouté, les manifestations se sont généralement déroulées sans accrocs dans les autres principales villes du pays et a mobilisé autour de 10 mille personnes selon le ministre de la Sécurité et en attendant le bilan des organisateurs.

Dans la capitale où la manifestation n’a pas été autorisée, la marche s’est muée notamment en actes de vandalisme, en affrontements parfois violents entre groupes de jeunes et forces de l’ordre, avec, à la clé des blessés, des arrestations et le saccage des services de l’état civil de la mairie de la capitale. Un spectacle indigne d’un pays dit en guerre et qui se targuerait d’une conscience citoyenne avant-gardiste.

Dans le contexte actuel ou des pans entiers du territoire sont sous coupe réglée de groupes armés terroristes et plus d’un million de citoyens réfugiés dans leur propre pays, où la gouvernance est remise en cause, la question centrale est moins la « grande ou faible mobilisation » des Burkinabè que la cause de la montée crescendo des tensions sociales au sein de la population à mesure que l’étau des Groupes armés terroristes (GAT) se resserre autour du pays ou de ce qu’il en reste.

Posture surréaliste que seul le politicien burkinabè peut expliquer : diversifier les ennemis pendant que le seul ennemi qui vaut la peine d’être combattu à l’unisson, le terrorisme et ses manifestations connexes (grand banditisme, trafic transfrontaliers et divers) avancent inexorablement, n’épargnant aucune chapelle politique ou idéologique. Ces causes sont justes sans être forcément justifiables. En décidant d’identifier un coupable idéal dans la crise sécuritaire sans précédent qui assaille de toute part le pays, la classe politique et la société civile endossent une responsabilité historique.

Celle d’offrir le territoire comme champ d’expérimentation d’une nouvelle guerre dite de 4e génération où l’ennemi, par des actions de déstabilisation interne, a simplement besoin d’instrumentaliser les contradictions pour gagner à moindres frais sans tirer. Si les manifestations, il faut le reconnaitre, ont toujours eu le don de « faire bouger » l’Exécutif, accréditant l’idée selon laquelle l’Etat ne comprend qu’un certain langage, il va sans dire que la solution à la crise multidimensionnelle ne saurait être dans la désunion, les procès en sorcellerie…

La débauche de moyens divers à laquelle nous avons assisté avant le 27 novembre, de part et d’autre, soit pour mobiliser, soit pour démobiliser, aurait pu utilement servir à juguler, en partie, les incuries justement dénoncées au quotidien. Nous devons tous comprendre une chose importante de notre point de vue.

Après des dizaines d’années de compromission avec des GAT (à qui nous avons offert gite et couvert) et dans un contexte sahélien caractérisé par la circulation à ciel ouvert des armes, le Burkina Faso, comme tous les pays ayant fait cette option politique à un moment de leur histoire, devrait se préparer à « cette guerre de longue haleine contre les alliés d’hier », quels que soient ses dirigeants du moment.

Au moment où le bateau de la république tangue au milieu de vagues géantes, nous devons savoir raison garder. La seule arme tout aussi redoutable et infaillible est celle du dialogue sincère et fécond entre tous les fils et filles de la Nation autour de l’ensemble des points de divergences dans le respect de la légitimité républicaine et de la légalité.

Par Mahamadi TIEGNA

mahamaditiegna@yahoo.fr

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