Unités de séchage de mangues : un secteur « juteux » en quête de financement

La région des Cascades (Banfora) est l’une des régions fruitières du Burkina Faso. La mangue occupe une place prépondérante dans la production fruitière dans cette région frontalière avec la Côte d’Ivoire. Autrefois consommée et commercialisée à l’état brut, la mangue, grâce à la technologie, est aujourd’hui transformée pour faciliter sa conservation et la rendre disponible à tout moment. Pour ce faire, de nombreuses unités de séchage (une vingtaine) ont vu le jour à Banfora et à Bérégadougou, faisant ainsi du secteur de la transformation de la mangue, une opportunité d’emplois pour les jeunes et les femmes.

« Sanlé séchage emploie en moyenne 500 à 600 jeunes et femmes par campagne de séchage », foi de son patron, Yaya Koné.

Le ciel est nuageux en ces temps de pluies, ce lundi 5 septembre 2022 à Bounouna, village situé à l’entrée de la cité du Paysan noir, sur l’axe Banfora-Bobo-Dioulasso. Il est 10 heures 30 minutes. Au sud de ce village rattaché à la commune de Banfora, dans une vaste cour vrombit une grosse machine. Non loin de là, deux gros porteurs sont stationnés. Nous sommes à Sanlé séchage, une des trois unités de transformation de mangue de Yaya Koné. L’unité est composée de onze séchoirs fonctionnels à gaz butane et à la chaudière. « C’est une chaudière que nous avons combinée avec le gaz butane qui devenait de plus en plus rare et coûteux. Un seul séchoir prend huit bouteilles de gaz de 12 kilogrammes et consomme en moyenne 18 bouteilles en 24 heures », lâche Ibrahim Diarra, chef d’usine au sujet du mastodonte qui vrombit sans cesse dans la cour. A l’intérieur des bâtisses, une centaine de jeunes et de femmes sont au travail. Les uns pour le conditionnement de la mangue déjà séchée dans des emballages en sachet, les autres, pour classer des piles de cartons contenant la mangue sèche. « Les deux camions garés dehors sont venus de la Côte d’Ivoire pour un chargement de mangues séchées à destination de l’Europe », nous souffle Yaya Koné. Si à Sanlé séchage, les travailleurs ont de quoi s’occuper, à Saveur tropical, une autre unité de transformation de mangue créée en 2015, tout est à l’arrêt.

L’unité a mis les clefs sous le paillasson et par conséquent, ses 130 employés dont 115 femmes, en chômage technique « en attendant le démarrage de la prochaine campagne ». « La transformation de la mangue par le séchage comprend un ensemble d’opérations assez complexes. Il y a d’abord l’approvisionnement de la matière première, à savoir la mangue. Ensuite, il faut une bonne maitrise des pratiques de la transformation. Enfin, la gestion de la qualité et du conditionnement du produit fini », détaille Yaya Koné. Cette activité, poursuit M. Koné, exige un grand nombre de compétences. De la collecte de la mangue fraiche au conditionnement, en passant par le tri, le lavage, l’épluchage et le séchage, toutes les étapes de la transformation ont été expliquées par Ibrahim Diarra, suivies de la visite des différents compartiments de l’unité de Bonouna. C’est en 2000 que Yaya Koné a créé sa première unité de transformation de mangue pour en compter trois aujourd’hui dans le chef-lieu de la région des Cascades.

Plus de 21 000 emplois créés en 2021

Ces unités emploient en moyenne 500 à 600 jeunes et femmes pendant les périodes intenses de la campagne de séchage avec une vingtaine de permanents, selon le chef d’usine, Ibrahim Diarra.

L’activité étant saisonnière, la majorité des quelques 1 500 employés de la vingtaine d’unités de transformation de mangue implantées à Banfora et à Bérégadougou, ne sont pas déclarés à la Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS), selon le directeur régional du Développement industriel, du Commerce, de l’Artisanat et des Petites et moyennes entreprises de la région des Cascades, Raoul Tiéné. Sur le plan national, aux dires du président de Professionnel de la transformation de la mangue du Burkina (PTRAMAB), Soumaïla Ouattara, par ailleurs promoteur de Saveur tropical, l’activité de la transformation de la mangue a employé plus 21 000 hommes et femmes pendant la campagne 2021. Maïmouna Héma est employée dans le service de conditionnement à Sanlé séchage. Mère de trois enfants, Mme Héma a une ancienneté de 20 ans dans cette unité de transformation de la mangue. Ancienne employée de commerce, elle se dit épanouie depuis qu’elle a intégré Sanlé séchage. « Avant, j’exerçais le petit commerce. Cela me rapportait mais l’activité de transformation de la mangue que j’exerce il y a 20 ans est nettement meilleure. Avec mon salaire chaque fin du mois, je parviens à soutenir mon époux dans les dépenses familiales et subvenir à certains de mes besoins », se félicite-t-elle non sans remercier Yaya Koné d’avoir mis en place ces unités de transformation qui soulagent de nombreux jeunes et femmes à Banfora. Même son de cloche pour Salimata Soulama, travailleuse de Sanlé séchage depuis 2004.

Le président de PTRAMAB, Soumaïla Ouattara, invite l’Etat à les accompagner avec un fonds de roulement.

« La rémunération me permet d’acheter mes effets d’habillement et ceux de mes enfants sans recourir forcément à mon mari. Je le soutiens aussi financièrement quand il a des difficultés », fait savoir la quadragénaire, toute souriante. Tout comme Maïmouna Héma, Salimata Soulama trouve son activité plus bénéfique que les travaux champêtres qu’elle exerçait avant de décrocher un poste à Sanlé séchage. Madidi Soma Koné est chef de manutention. Avec les membres de son équipe, disposés en file indienne, ce lundi 5 septembre 2022, ils sont occupés par le chargement des camions venus de la Côte d’Ivoire. Les femmes transportent les cartons de mangue pour servir les jeunes garçons à l’entrée des véhicules pour le chargement. « C’est un véritable travail d’équipe. D’ici là, les deux camions seront chargés », fait savoir le chef de manutention. Si M. Koné se réjouit d’avoir gagné du travail grâce à Sanlé séchage, il estime que les conditions de vie des employés peuvent être améliorées. « Je gagne bien ma vie ici. Mais je trouve que l’on peut mieux faire pour nous », suggère-t-il.

Pas de problème d’écoulement

L’activité de la transformation de la mangue a « énormément » contribué à absorber un grand flux des Personnes déplacées internes (PDI) venues de Mangodara du fait du terrorisme, à en croire le promoteur de l’unité de séchage de mangue, Saveur tropical. « La plus grande unité, Sanlé séchage, a employé à elle seule 200 à 300 femmes qui ont fui les foyers d’insécurité pour trouver refuge à Banfora. A Saveur tropical, c’est une vingtaine de femmes déplacées internes que nous avons employé cette année. Ce qui a permis de soulager un tant soit peu leur détresse », confie M. Ouattara. Outre les employés directs, les unités de transformation de la mangue offrent d’autres opportunités à de nombreuses femmes qui, par cette activité, ont initié de petits commerces. Elève en classe de 2de, Djénébou Soma commercialise les mangues séchées pendant les vacances. Ce mardi 6 septembre 2022, comme à ses habitudes pendant les vacances scolaires, la jeune fille, épuisée de se faufiler entre les cars de transport au poste de contrôle de Bounouna, s’est réfugiée sous sa tente de fortune en attendant l’arrivée d’un autre convoi de transporteurs. « Pour éviter de rester à la maison sans rien faire, je viens ici chaque vacance pour vendre les mangues séchées. Dans la journée, je peux écouler un à deux kilogrammes de mangue séchée que j’acquiers auprès des grossistes entre 1 500 et 1 750 F CFA en fonction de la qualité de la mangue pour un bénéfice de 2 000 à 2 500 F CFA », fait savoir la jeune écolière. Bien plus qu’elle, Barakissa Soma s’en sort mieux dans le commerce de la mangue séchée. « Je gagne un bénéfice qui me permet de subvenir à mes besoins. Je peux vendre entre 4 000 et 4 500 F CFA le kilogramme de mangue séchée que j’ai acheté à 1 500 F CFA », soutient celle qui a abandonné ses activités champêtres pour se consacrer à ce petit commerce.

Quid de la disponibilité de la mangue séchée ?

L’écoulement de la mangue séchée ne pose aucun souci à la quasi-totalité des unités de transformation de mangue à Banfora et à Bérégadougou. Sanlé séchage, grâce à son partenaire allemand, Trading Organic, écoule facilement sa production de 180 à 190 tonnes par campagne. « Nous produisons uniquement pour notre partenaire allemand Trading organic. Lorsque sa commande est satisfaite et qu’il en reste, nous nous tournons vers d’autres partenaires. Cette année, nous avons reçu une commande de 13 conteneurs. Nous sommes donc en train de négocier avec un autre partenaire pour le surplus », indique Yaya Koné. Fonctionnelle en 2015 avec quatre séchoirs, l’unité de transformation Saveur tropical en compte aujourd’hui douze avec une capacité de séchage de 30 à 35 tonnes de mangue par campagne. Cette production, Soumaïla Ouattara la vend à son partenaire Sanlé séchage. Si les unités parviennent à écouler leur mangue séchée, la question de la matière première, la mangue fraiche, constitue par contre un véritable goulot d’étranglement.

Des structures de financement méconnues

La maladie de la mangue, notamment la mouche ravageuse, compromet la disponibilité de la mangue, à en croire Soumaïla Ouattara. « La mouche ravageuse cause beaucoup de pertes dans les vergers au point que les unités ont des difficultés pour s’approvisionner en mangue fraiche », relate avec amertume, le président du PTRAMAB. La question de financement est l’autre paire de manches des unités de séchage de mangue au Burkina Faso dont la plupart fonctionnent sur le mode de préfinancement, selon Soumaïla Ouattara. « Ce sont les clients qui les financent pour pouvoir démarrer. Chose qui limite leur marge de manœuvre dans la négociation des prix du produit fini », regrette M. Ouattara. Pour soutenir ces unités qui contribuent à l’économie nationale avec 7 milliards F CFA mobilisés pour l’achat de la mangue fraiche en 2022, le président du Professionnel de la transformation de la mangue du Burkina suggère à l’Etat de mettre en place un fonds de roulement à des taux raisonnables avec moins d’exigences en termes de garantie. Cela, pour permettre aux promoteurs de l’industrie de la mangue de s’autofinancer.

Barakissa Soma trouve que le petit commerce de la mangue séchée et d’autres produits lui apporte mieux que les travaux champêtres.

A cette préoccupation, le directeur régional des Cascades du ministère en charge du développement industriel, Raoul Tiéné, confie que plusieurs structures et fonds de l’Etat accompagnent les unités de séchage de mangue au Burkina Faso, notamment dans l’acquisition du fonds de roulement. Il dénombre, entre autres, le Guichet 2 du Projet de résilience et de compétitivité agricole (PReCA), le Projet d’appui à la promotion des filière agricoles (PAPFA), le Projet d’appui aux filières agricoles dans les régions du Sud-Ouest, des Hauts-Bassins, des Cascades et de la Boucle du Mouhoun (PAFA-4R), le Fonds burkinabè de développement économique et social (FBDES) et l’Agence de financement et de promotion des petites et moyennes entreprises (AFP/PME). « Malheureuse-ment, ces structures ou fonds sont souvent méconnus des acteurs. Parfois, les conditions difficiles limitent l’accès de ces fonds aux unités de séchage », déplore le directeur régional.

Kamélé FAYAMA

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