Pratique à la peau dure, l’excision demeure un véritable défi pour les défenseurs des droits de la femme. De l’administration publique aux associations, de nombreuses actions sont menées pour combattre ce phénomène qui attriste de nombreuses femmes au Burkina Faso. A Douroula, une commune rurale dans la province du Mouhoun, d’anciennes exciseuses se sont reconverties dans des Activités génératrices de revenus (AGR).
Samedi 15 février 2020. Il est 11 heures 30 minutes à Douroula, commune rurale à une trentaine de kilomètres au nord de Dédougou dans la région de la Boucle du Mouhoun. En cette période de saison sèche, c’est l’oisiveté dans les campagnes, en attendant la reprise des pluies pour les travaux champêtres. Un groupe de femmes de cette commune rurale, des anciennes exciseuses, ont décidé d’occuper sainement ce passage à vide par une Activité génératrice de revenus (AGR). La cinquantaine en moyenne, trois femmes de ce groupe, avec Assita Drabo à leur tête, s’activent dans une cour d’habitation à extraire du jus de noix de karité. Ces anciens « bourreaux » des jeunes filles qui, après avoir pris conscience des conséquences dangereuses de la pratique de l’excision et de son interdiction par la loi, se sont résolus à troquer leurs lames et couteaux contre des AGR. « La pratique de l’excision nous avait été transmise par nos parents qui l’ont eux aussi reçue de leurs parents. C’est une pratique ancestrale qui se transmettait de mère en fille que nous pratiquions dans le passé. Mais au regard de son interdiction par la loi, et les multiples sensibilisations que nous avons reçues, nous sommes aujourd’hui bien conscientes des nombreuses conséquences de cette pratique sur la vie de la femme. C’est pourquoi, en guise de repentir, nous nous investissons dans la fabrication de beurre de karité pour gagner sainement notre vie », confie Assita Drabo. Sage-femme de formation et responsable d’une ONG de mutuelle de santé, Aminata Coulibaly s’investit sans relâche dans l’éradication de la pratique de l’excision dans la province du Mouhoun. Sollicitée par une association œuvrant dans la lutte contre la pratique de l’excision, la sage-femme, avec l’assistance des hommes de droit et des responsables religieux et coutumiers, dit avoir convaincu au cours de symposiums tenus en 2010 et en 2011 à Dédougou de nombreuses exciseuses à l’abandon de cette pratique dévastatrice pour l’autre moitié du ciel. « Au cours des formations avec les femmes qui pratiquent l’excision, comme lors des symposiums, nous insistons sur les conséquences de cette pratique chez la jeune fille et chez la femme », soutient Aminata Coulibaly.
Choquer par des témoignages
Pour faire percevoir les conséquences de cette pratique d’une autre époque, dame Coulibaly laisse entendre qu’à la maternité du Centre hospitalier régional (CHR) de Dédougou, quand elle y était, le personnel de santé n’hésitait pas à inviter les accompagnants, surtout les vieilles femmes, des femmes enceintes à assister à l’accouchement lorsqu’il y a des complications liées à l’excision. « Nous le faisions afin qu’elles constatent de visu les dégâts causés par l’excision, question de les choquer et jouer sur le moral. Donc nous essayons de convaincre par les formations, la dissuasion et par les cas-témoins », relate Aminata Coulibaly. Dans ce combat contre l’excision, Sita Mana, victime de cette pratique « ignoble » à l’âge de quatorze ans, s’est promise d’œuvrer à ce qu’aucune fille de Bondokuy dans la province du Mouhoun, son village natal, ne souffre le martyre comme elle. A cet effet, elle a créé en 1993, l’association « Yenimahan » (changement de mentalité en langue bwamu) pour, non seulement, sensibiliser les coutumiers aux dangers de l’excision, mais aussi convaincre les exciseuses pour son abandon au profit des AGR. « Victime de l’excision à l’âge de 14 ans, j’ai pris la résolution de la combattre en créant l’association Yenimahan. Depuis 1993, les membres de l’association œuvrent dans la sensibilisation sur les conséquences de cette pratique à la peau dure qui attriste de nombreuses femmes. Les débuts n’ont pas été du tout faciles, mais avec la persévérance et l’accompagnement de ma famille, nous avons pu engranger quelques résultats », se réjouit Mme Mana. Partie de Bondokuy, Sita Mana et son association ont fait le tour des villages de la province du Mouhoun où la pratique de l’excision était ancrée dans les habitudes des populations. De Ouarkoye, à Kona, en passant par Ouona et Tchiériba, l’opposante à la pratique de l’excision a pris son bâton de pèlerin pour convaincre l’abandon de l’ablation du clitoris. Dans sa stratégie de communication, Sita Mana organise des causeries-débats avec les exciseuses au cours desquelles, des séances de projection de films sur les images terrifiantes de l’excision leur sont projetées afin de les amener à se rendre compte des conséquences de leurs actes. « Les causeries-débats et les projections de films sur les conséquences de l’excision sont nos principales armes pour amener à une prise de conscience des méfaits de cette pratique défendue pour des raisons culturelles. Des anciennes exciseuses qui ont même fait la prison se sont jointes à nous pour nos séances de sensibilisation dans cette lutte et sont aujourd’hui des membres actifs de l’association », soutient la présidente de Yenimahan.
L’islam n’autorise pas l’excision
La direction régionale de la femme dans la Boucle du Mouhoun, selon son premier responsable, Innocent Stanislas Tuina, ne cesse, elle aussi, de multiplier les actions pour combattre ce phénomène d’une autre époque dans le « grenier du Burkina ». « Nous faisons de notre mieux à travers les séances de sensibilisation avec l’appui de certaines associations pour faire comprendre les effets néfastes de l’excision dans les contrées où elle perdure. Des ciné-débats aux patrouilles dissuasives, en passant par des audiences foraines et les causeries éducatives, nous usons de tous les moyens à notre pouvoir pour faire passer le message afin de convaincre à abandonner la pratique de l’excision », foi du directeur régional de la Femme, de la Solidarité nationale, de la Famille et de l’Action humanitaire de la Boucle du Mouhoun, Innocent Stanislas Tuina. Et avec ces actions de sensibilisation, M. Tuina soutient que la population a l’information sur les dangers que courent les jeunes filles en se faisant exciser. Seulement, il faut travailler à les convaincre à la dénonciation. Chose qui n’est pas du tout aisée. « Il y a eu des acquis avec les multiples sensibilisations qui ont permis de donner l’information. On sent qu’il y a aussi un recul parce qu’avant, la pratique se faisait au vu et au su de tout le monde, et c’était une multitude de jeunes filles qu’on excisait. Mais comme on sait que la pratique est condamnée, on ne peut pas se la permettre à ciel ouvert et avec un grand nombre d’enfants comme de par le passé. Maintenant il faut redoubler d’efforts dans la dénonciation », suggère Innocent Stanislas Tuina. Indexé comme une raison évoquée pour la pratique de l’excision, l’islam, selon les propos de Abdoul Karim Akabi, coordonnateur et Imam du Cercle d’étude de recherche et de formation islamique (CERFI) de la Boucle du Mouhoun, est au contraire contre l’excision des filles. « Nulle part dans le livre Saint, il est mentionné que le musulman doit pratiquer l’excision. La tradition du prophète Mohamed n’aborde nulle part la pratique de l’excision dans l’Islam. Par conséquent, ni le coran, ni le prophète de son vivant, n’a autorisé la pratique de l’excision », martèle Abdoul Karim Akabi. « Dans aucune coutume du Burkina, il n’est dit nulle part qu’il faut exciser forcément la femme.
Sur l’aspect religieux aussi, il faut reconnaître que la pratique de l’excision est antérieure aux religions révélées (ndlr : le christianisme et l’islam) », renchérit la professionnelle de santé, Aminata Coulibaly. En réponse à une certaine opinion qui estime que la pratique de l’excision est conseillée par l’islam, Abdoul Karim Akabi soutient que c’est une opinion antique, antérieure à l’islam qui n’a aucun fondement dans la religion islamique. « En aucun cas, le coran ou les textes du prophète n’ont dit qu’une femme non excisée est souillée. Selon les récits historiques, l’on nous enseigne que dans le temps, le messager de Dieu a appris qu’il y avait des peuples qui le faisaient. Etonné d’abord de savoir que certains de ses compagnons pratiquaient l’excision, il les a conseillés d’enlever une toute petite partie du clitoris afin de permettre à la femme de trouver du plaisir de même que son mari. En Islam, la femme n’est en état d’impureté que lorsqu’elle voit ses menstruations ou ses lochies », soutient imam Akabi. Pour laver les Imams de tout soupçon et donner la vraie et la bonne information aux fidèles, il préconise que ces derniers évoquent la question lors des prêches dans les mosquées. Ce qui permettra du même coup d’éclairer les musulmans sur ce sujet. « Par contre, le prophète a conseillé la pratique de la circoncision pour des bienfaits pour l’homme tout comme la coupe des cheveux et des ongles », clarifie le coordonnateur du CERFI de la Boucle du Mouhoun.
Kamélé FAYAMA